mercredi 30 décembre 2009

Persécution, de Patrice Chéreau: œuvre de friction

Daniel (Romain Duris) rénove des lofts immenses, les uns après les autres, compulsivement. Il vit aussi au milieu de ses chantiers, rendu intraçable par les déménagements constants que ce choix lui impose. Il voit de temps à autres Sonia (Charlotte Gainsbourg), qui elle-même voyage fréquemment pour des motifs professionnels, et qui semble s'accommoder de cette relation en pointillés. L'acceptation tacite des règles du jeu fixées par Daniel vole en éclat lorsque surgit un clodo amoureux de lui (Jean-Hugues Anglade).


Monsieur Chéreau, vous êtes gonflé. Gonflé de nous servir un film dont le protagoniste principal est si peu aimable. Ce Daniel, rien ne lui plaît, rien ne lui convient jamais, il serait du genre à trouver à ronchonner depuis le milieu du plus paradisiaque des paradis. Purisme enragé de l'esthète aspirant aux relations les plus parfaites possibles? Complexe du bon samaritain exaspéré par les faiblesses de ses contemporains (lui qui semble avoir tout compris à tout, et ne se prive pas d'en donner le mode d'emploi)? Sans doute rien de tout cela.



Les abandonniques ont ceci de particulier que les atours les plus flamboyants de leur phobie ressemblent à s'y méprendre à ceux de la misanthropie: ils fuient avant d'être délaissés, parfois même longtemps avant que ne se profile chez l'autre l'envie de partir. Le comportement de l'entourage est disséqué, continuellement évalué, soumis à d'innombrables épreuves dont les modalités exactes changent au rythme des angoisses de l'arbitre. Et de fait Daniel (peut-être le véritable persécuteur de l'histoire) cherche en permanence les preuves des trahisons qu'il suppose avoir été commises par Sonia mais aussi par Michel (Gilles Cohen), l'ami dépressif fasciné par l'apparente indépendance de Daniel. Il faut que ceux-ci endurent sans broncher d'être ignorés en public, ou de voir leur histoire intime étalée et analysée devant des amis communs. La plus anodine réserve, la plus petite objection déclenche la fureur de Daniel et le bannissement de la personne en cause, sans appel. Le seul espace d'apaisement est représenté par une conversation téléphonique entre Daniel et Sonia: elle est loin, il est visiblement heureux de lui manquer mais la réciproque ne semble pas être vraie, il est content de la savoir loin et éprise de lui, il n'a pas envie d'abolir la distance.

Un qui ne supporte pas la distance entre Daniel et lui, et qui va tenter de l'abolir en s'offrant tout entier, tout nu, c'est le fou. Est-il si fou que cela, d'ailleurs? Est-ce qu'il ne serait pas un peu le jumeau de Daniel, à ceci près qu'il aurait choisi de jeter à bas toutes les barrières afin fusionner plus complètement avec l'autre? Une différence de forme plutôt que de fond, car finalement cet illuminé vit tout autant que Daniel dans la terreur d'être délaissé. Daniel le comprend confusément et se trouble, car si lui refuse qu'on vienne altérer son isolement choisi le fou, de son côté, veut vivre à jamais sous le joug d'une idylle totalitaire.


Un peu comme dans le très beau Intimité, Chéreau filme ses personnages sans glamour, il les montre pour ce qu'ils sont sous des lumières volontiers pâles et des éclairages crus. Nulle ellipse ou flash-back pour enjoliver l'histoire, on est avec eux tout du long et on arpente avec eux leurs multiples contradictions. Sans que les acteurs y soient pour rien (Duris délivre un jeu toujours aussi dense, Charlotte est idéalement douce et désemparée, Anglade joue sur le fil du ridicule en ange consolateur) on reste à la porte des émotions, spectateurs d'un séisme qui n'a pas crevé notre surface.