vendredi 24 février 2012

Exit light, enter night: Alien (Ridley Scott, 1979)

Cassandre, Ellen Ripley, même combat ou presque. Alien , c'est la victoire de toutes les chieuses de la terre (et d'au-delà de la Terre, manifestement), les filles couillues qui refusent de la fermer juste parce que. Celles qu'on accuse d'être "prise de tête", qu'on traite de "chats noirs" pour la seule raison qu'elles sont lucides, et pas dupes des sornettes qu'on leur sert. Bizarrement, l'oiseau de mauvais augure sera la seule survivante du Nostromo.



Seront passés à la trappe:
- le perpétuel volontaire pour les missions dont on devine dès le départ qu'elles vont mal tourner (John Hurt), et qu'on peut supposer être con/suicidaire/les deux;
- les mécanos intellectuellement limités, sauf dans le domaine de la blague grasse (Harry Dean Stanton et Yaphet Kotto) ;
- le capitaine dont le paternalisme vis-à-vis de ses subordonnés sent bon l'attitude du mâle alpha (Tom Skerritt), mais pas totalement déconnecté de sa part de féminité pour autant puisqu'il écoute de la musique classique;
- la navigatrice légèrement hystérique (Veronica Cartwright), puisqu'il est bon d'avoir dans le casting (j'allais écrire "dans le décor" mais c'est presque ça) un personnage féminin qui réagit comme la nana archétypale telle que les hommes se la représentent, c'est-à-dire qui panique et pousse des cris stridents à la première occasion;
- l'officier scientifique tellement froid et psychorigide que, vous allez rire, c'est justement un androïde (Ian Holm).



S'il y a une leçon à tirer de ce film, elle tient en deux points: 1) ce n'est pas une bonne idée du tout d'aller regarder ce qui se passe dans un vaisseau spatial échoué dont le pilote est mort d'horrible manière. Dans le même ordre d'idées, il est mauvais pour la santé de se pencher au-dessus d’œufs inconnus dont le contenu fait "bloup bloup". 2) c'est la grande gueule de l'histoire (celle qui utilise son cerveau et son esprit critique) qui reste en vie à la fin (Comme si j'avais besoin d'encouragements! NdA)



Ellen Ripley, c'est la petite sœur frondeuse au milieu des hommes paternalistes (Dallas), condescendants et jaloux de leur gros intellect (Ash) ou concupiscents (les mécanos), la fille rebelle de l'ordinateur de bord nourricier et sur-protecteur ("Mother"). Je n'irai pas jusqu'à la lecture féministe du personnage (Ripley serait une sorte de vestale gardienne du vaisseau-utérus face à l'envahisseur extraterrestre qui représenterait le pénis.... mouais...), mais pour moi il s'agit clairement d'un spécimen rare de personnage de femme à la fois pensante (à meilleur escient que bien des hommes) et agissante (plus efficacement que bien des hommes) qui tranche agréablement avec l'encore trop habituel prototype de "damoiselle en détresse" fonctionnant sur le mode binaire "je sursaute au moindre bruit / je me mets sans cesse en danger et les hommes passent leur temps à venir me sauver". Lara Croft peut remballer son mini-short et Angelina sa grosse bouche, Sigourney ne craint personne dans sa petite culotte sans prétention et en plus, elle minaude nettement moins.


mercredi 22 février 2012

Cher David, monsieur Cronenberg, Maître

Je viens de voir A dangerous method et franchement, j'aimerais que vous m'expliquiez ce que vous vouliez dire. Ou plus exactement: quel sujet vous pensiez traiter au-travers de ce film. Parce que je ne vois pas, même après m'être accordé un temps de réflexion. Je ne suis pas spécialement idiote pourtant - il y a bien des blondes dans ma famille mais je m'en suis bien sortie, dans la vie. Et je suis plutôt bien au courant de votre filmographie, j'oserais même dire que je l'apprécie beaucoup, et pas uniquement parce que vous avez employé mon cher Viggo Mortensen ces dernières années (n'écoutez pas les mauvaises langues qui vous disent que mon inclination pour lui m'égare). 

C'est en amatrice éclairée (aux LED) de votre cinéma que je me sens aujourd'hui, pour tout dire, larguée en rase campagne. Pas moins. 

Votre projet, pour intellectuellement abrupt qu'il paraisse, m'avait pourtant intriguée. L'opposition Carl Jung - Sigmund Freud et le rôle de Sabina Spielrein (patiente puis maîtresse du premier, devenue disciple du second), servie par un trio d'acteurs pour le moins excitant sur le papier (respectivement Fassbender, Mortensen, Knightley)... Toujours ce fichu risque d'"académisme" qui colle aux robes longues et aux perruques du film d'époque mais, que diable, ce devait être un film de vous avant tout! Sur cette base triangulaire je me représentais un Faux-semblants de la psyché, les projections gluantes de la sexualité refoulée remplaçant les malformations congénitales, le divan de la psychanalyse naissante (avec ses sulfureux transferts patient-thérapeute) se substituant, en à peine moins angoissants, aux instruments d'une obstétrique des cauchemars. 






Mais rien de tout cela. Ce que j'ai vu: un Carl Jung (Fassbender avec une moustache) fermement planté dans sa vie de notable zurichois grâce à/à cause de son épouse aussi jolie, lisse et nacrée qu'une perle. Jung admire Freud (Mortensen avec des lentilles marron) pour ses théories et les conteste (tout ne saurait se réduire à des interprétations basées sur le sexe!), sans avoir conscience (il est bien le seul à ne pas le voir, d'ailleurs) qu'il est lui-même le produit d'une répression féroce de ses pulsions. Notez bien que je conçois fort bien qu'il n'envisage pas d'assouvir lesdites pulsions avec la "perle", l'obsession de cette dernière à lui donner comme prévu un enfant mâle à la date décidée me semblant suffisante à émasculer le plus priapique des conjoints.

Jung est donc engoncé dans son gilet mais il tient bon, jusqu'à ce qu'arrive une nouvelle patiente, Sabina (Knightley, toute en tics et accent russe en carton). La soigner revient à exhumer de son enfance l'excitation sexuelle procurée par les punitions paternelles, ce qui met sévèrement à l'épreuve non seulement les positions de Jung, mais surtout ce qu'il croit savoir de lui-même: il cède aux avances de la jeune femme et débute avec elle une relation torturée. 

Enfin, idéalement, c'est ce qu'on devrait voir à l'écran, sauf que (cela me peine de vous l'avouer, David) le film ne nous fait rien ressentir de tout cela. Jung devrait apparaître, au minimum, comme un homme pétri de certitudes et de conforts, lesquels se retrouvent violemment secoués par la confrontation avec Freud, puis déchiquetés au contact de Sabina. Votre Jung soigne Sabina, visite Freud à Vienne, sa vie familiale pue de plus en plus une perfection mortifère, Jung est censé traiter Otto Gross (Vincent Cassel, destroy comme d'hab' en psy camé et obsédé) mais c'est Otto qui le renvoie à sa propre sexualité étriquée (é-triquée?), Jung succombe à Sabina, Jung se dispute avec Freud, Jung rompt avec Sabina.... sans que jamais on n'ait ressenti les tiraillements du désir, de la conscience professionnelle, ou de la rivalité académique (à la limite, ce dernier point est peut-être le moins mal rendu). Jamais on n'a l'impression que le personnage transgresse d'immenses interdits moraux et sociaux, alors que c'est bien le cas. Ses déchirements sont à peine abordés, et ce que lui apportent les "débordements" de sa relation avec Sabina (quelques fessées à peine dévêtues, émaillées de moultes grimaces) n'est pas traité du tout.

Il faut bien le dire, David, pour un film qui aborde "la" grande tentative de conceptualisation de la sexualité, émanant en outre de personnes dont nous savons aujourd'hui qu'elles étaient fort mal équilibrées de ce côté-là, on passe plutôt au large du sujet. Ce qui me surprend, inévitablement, venant de vous. Ce qui me fait, inévitablement, douter de vos intensions réelles: les aurais-je tout simplement manquées?

samedi 4 février 2012

Le corps de danseur de Michael Fassbender

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Il m'aura fallu du temps pour m'intéresser à Steve McQueen autrement que comme à un malheureux homonyme. Et si j'ai fini par jeter un œil à ses films - deux à ce jour: les laconiquement titrés Hunger et Shame - , c'est en grande partie grâce / à cause de la tenace rumeur qui prétendait qu'un acteur de toute première force s'y ébattait. 
La rumeur peut être garce et semer des fausses pistes, mais point de cela ici car il ne peut échapper à personne que Michael Fassbender n'est pas venu habiter nos écrans pour amuser la galerie (pour l'épater, peut-être, mais seul le temps nous le dira). Nous sommes bien en présence (avec tout ce que ce mot suppose d'incarnation, de dimension physique) d'un futur très grand, en tout cas de quelqu'un appelé à le devenir très bientôt si les grands vilains porcs du star-system ne le mangent pas.

Hunger: le combat politique du militant de l'I.R.A. Bobby Sands détenu à la terrible prison de Maze, depuis les éprouvantes "grèves de la propreté" (ruisseaux d'urine sur le sol, crépi d'excréments sur les murs) jusqu'à la grève de la faim qui lui coûta la vie. Le corps de Fassbender filmé comme un champ de bataille, lieu d'un conflit que le spectateur ne verra qu'au travers d'un prisme sensoriel, projeté sur la peau meurtrie des captifs. Seul répit dans cette physique de l'affrontement, une joute - verbale, celle-ci - entre Bobby et le prêtre venu tenter de le convaincre qu'il n'est pas nécessaire, pour faire entendre ses idées, d'aller plus loin encore. Le corps, la vie que l'on abandonne derrière soi comme la forme ultime de protestation - de refus en bloc - parce que justement si l'ennemi ne veut ni voir ni entendre il ne reste plus qu'à l'encombrer de cette enveloppe maltraitée, désertée.



Shame: quelques jours dans la vie de Brandon Sullivan, cadre supérieur qui vit dans un désert de sa propre fabrication, d'une aridité soigneusement entretenue, méticuleusement programmée. Dépouillement de son appartement (lignes épurées et camaïeux de noirs, gris et blancs tout droit sortis des pages "chic urbain" d'un catalogue de déco), raréfaction délibérée des rapports humains (il ignore les messages désespérés laissés sur son répondeur, échange à peine quelques mots ou verres avec ses collègues de bureau). Le secret de Brandon, c'est que sa vie tourne autour du sexe, celui qu'il télécharge, celui qu'il paye, celui qu'on lui offre, celui qu'il mime en se masturbant plusieurs fois par jour. De plaisir il n'est pas question, il ne s'agit que d'assouvissement, de quelques instants d'oubli de soi pourchassés avec hargne qui le font retomber d'autant plus durement dans le dégoût. C'est Sissy (Carey Mulligan), sa frangine échouée chez lui au bout d'une galère de plus, qui nous donne la clé du personnage de Brandon (qui autrement pourrait n'apparaître que comme un queutard compulsif): "We're not bad people. We just come from a bad place." ("Nous ne sommes pas mauvais. C'est seulement que nous venons d'un mauvais endroit."). 

Et soudain c'est plus clair: le corps de Brandon, qu'il use dans le jogging et dans le pilonnage de tout corps passant à sa portée, est un lieu de conflit et une arme, comme pour le Bobby Sands de Hunger. Une bataille sans doute née à la suite de sévices subis pendant l'enfance, et qui se reflète aussi dans la propension de Sissy à ouvrir son lit et son cœur à tous les "Mister Wrong" possibles - cela n'est jamais clairement expliqué mais les quelques éléments qui nous sont donnés nous permettent de le supposer. Une bataille qui se rejoue, pour le frère comme pour la sœur, dans chaque misérable tentative d'établir une véritable relation, une qui dure, une qui ne se résume pas à l'utilisation d'un des partenaires par l'autre. Le corps de Brandon, pour souple, musclé et désirable qu'il est, n'en est pas moins malade car il abrite une âme infirme, qui tient à distance faute de savoir comment toucher l'autre et partager ses émotions.

C'est sur ce corps comédien que j'ai voulu centrer ce billet, car les films de McQueen sont chiches en informations sur la psychologie des protagonistes ou sur leur histoire, et peu de dialogues sont donnés aux personnages pour s'exprimer verbalement si l'on excepte le "morceau de bravoure" de Hunger. La mise en scène abuse aussi d'ellipses déroutantes, je trouve. Je n'ai rien contre le procédé en lui-même mais il demande une grande rigueur narrative, ce qui n'est pas le fort de McQueen. Autrement dit, le spectateur n'a pour ressource que la physicalité des acteurs, et de Fassbender au premier rang puisqu'il est chaque fois le fil conducteur, pour ressentir et tenter de comprendre ces histoires. Et même si la froideur toute théorique de la mise en scène joue en partie contre le film (on sent le réalisateur soucieux de n'omettre aucune étape dans sa démonstration) et met surtout en valeur la performance technique accomplie par l'acteur au détriment de l'empathie, Fassbender relève l'essentiel du défi. Un jour, Michael Fassbender et son corps de danseur se mettront au service d'un grand metteur en scène, et ce jour-là ça fera mal.