samedi 28 mars 2009

Devil in Devon: The war zone (Tim Roth, 1999)

Une petite maison blanche entre champs fangeux et rocs abrupts, une petite famille venue de Londres, très vite agrandie par la venue d'une petite fille, née à la faveur d'un accident de voiture sur le chemin de la maternité. Foutoir familial et familier, intimité ténue où le fils voit le père (Ray Winstone) tripoter le ventre distendu de la mère (Tilda Swinton) juste accouchée, où le frère (Freddie Cunliffe) et la grande sœur (Lara Belmont) se chamaillent à moitié à poil au sortir du bain dont l'eau a sans doute servi à tous, tout semble en somme confortable comme une vieille vanne balancée d'un bout de la table de la cuisine à l'autre....





Mais nous savons bien, nous qui regardons le film, que les gens heureux n'ont pas d'histoire, et que par conséquent on ne saurait nous la raconter (cette histoire) si ces gens-ci étaient réellement heureux. C'est le fils, Tom, que son acné florissante désigne comme le puceau de service et (donc) la cible privilégiée des sarcasmes de sa sœur Jessie, qui va découvrir que ce qu'il prenait pour une vie normale n'était en fait que silence et aveuglement calfeutrant le mensonge et la honte.

Jessie est la proie de leur père en secret, et ce secret elle s'y cramponne, bravache, lorsque Tom la confronte. Par peur de voir menacé le fragile équilibre domestique? Par honte? Par amour, malgré tout, pour ce père incestueux? Par haine d'elle-même? Par orgueil, convaincue qu'elle est de savoir réprimer toutes les souffrances derrière sa moue butée? Le film jamais ne tranche, jamais ne propose de psychologisation facile et factive, et c'est tout à l'honneur du réalisateur et du scénariste. Le jeu de la jeune Lara Belmont est au diapason de cette ambition et relève le défi de capter la complexité turbide, parfois malodorante, des émotions plutôt que de les "jolifier" en les disposant dans un vase de cristal et en les étiquetant chacune. On ne saura pas non plus ce qui pousse ce père aux dehors si bonhomme à briser sa propre fille ainsi (un autre film se serait régalé à faire remonter en droite ligne cette déviance à quelque abus subi dans l'enfance.... on ne dira jamais tout le mal qu'une assimilation grossière des préceptes du freudisme a fait aux scenarii des soixante dernières années), à rejeter sur son fils la faute de la blessure mortelle portée à la famille lorsque la bulle du secret crève enfin...

Et on ne saura pas non plus ce qui attend, après, les jeunes rescapés de ce cauchemar. Parce qu'il n'y a pas de "bonne" réponse à la dernière question que lance Tom dans la froideur du bunker, non plus qu'il n'y a de "bonne" manière de survivre à l'inceste. Je ne peux pas m'empêcher de ressentir un immense sentiment de reconnaissance devant un film tel que celui-ci, qui montre sans asséner, qui questionne sans affirmer - qui part du principe que l'être humain fait en toutes circonstances ce qu'il peut pour se préserver du mal, par-delà toute morale.

samedi 7 mars 2009

Max, les ferrailleurs, la froideur des hommes et les chapeaux des femmes

Quelques pensées au sujet et autour de Max et les ferrailleurs (Claude Sautet, 1971), et leurs ramifications.


Max (Michel Piccoli) est un flic aux allures de croque-mort, méticuleuseme
nt vêtu, méticuleusement obsessionnel quant à son travail. Frustré de ne pouvoir résoudre une affaire de braquages de banques dont il a la charge, il a l'idée de créer de toutes pièces sa propre affaire et ses coupables en manipulant Lily (Romy Schneider), la muse d'une bande de gagne-petit. Mais Lily n'est pas aussi vénale qu'il le croit, et lui-même n'est pas aussi dépourvu de sentiments qu'il le pense....




En voyant ce film, des parallèles sautent aux yeux avec une certaine "ambiance" actuelle, ultra-sécuritaire et prompte à monter en épingle la moindre suspicion en affaire du siècle, la pression du chiffre exercée notamment sur les forces de l'ordre...
Je me suis prise à m'exclamer "
Pourvu que Sarkozy ne voit pas ce film, ça lui donnerait des idées!" (encore qu'au vu de certains incidents récents, je suis sûre qu'il n'en a nul besoin).




Mais revenons plutôt au cinéma si cela ne vous dérange pas, je sens ma tension qui s'élève dangereusement.



La scène lors de laquelle Max commence photographier Lily au bain, la coiffant de son chapeau à lui, m'a irrésistiblement fait penser à L'insoutenable légèreté de l'être de Philip Kaufman (1988).


Le chapeau melon avait appartenu au grand-père de Sabina (Lena Olin), et cet objet en vient à représenter aux yeux de
son amant Tomas (Daniel Day-Lewis) la quintessence de la jeune femme, la clé de son être, la singularité qui la fait unique et inimitable. Tout le film, comme d'ailleurs le livre de Kundera qu'il adapte, est une réflexion sur le caractère unique et impossible à recommencer de l'expérience humaine, et sur le fait qu'il n'est pas possible a priori de connaître les conséquences de ses actes (aussi peut-on aborder la vie soit avec légèreté, puisque finalement on ignorera toujours de quoi il retourne, soit avec la pensanteur de ceux qui cherchent, malgré tout, à choisir la "meilleure" voie).

Si tiré par les cheveux que cela paraisse, je trouve que ce n'est pas sans rapport avec Max et les ferrailleurs, dans la mesure où Max, qui croit contrôler la situation qu'il a mise en scène ainsi que les réactions de Lily, se voit pris au piège des conséquences non maîtrisables de ses actes. Il est policier, figure de l'ordre, et s'égare, tandis que Lily, prostituée donc corrompue de fait dans le regard de la société, demeure droite bien qu'étant le vecteur involontaire des mensonges de Max.

Bien sûr la suggestion d'une intimité érotique entre un homme et une femme par l'appropriation de vêtements masculins par la femme, ce n'est pas nouveau, ça date au moins de L'ange bleu, en passant par tous les films où, au saut du lit, la femme ne trouve rien d'autre que la chemise de monsieur pour draper sa nudité....


Posons-nous maintenant à la fin du film, les tous derniers plans. Pour peu qu'on l'ait vu (c'est mon cas, ce doit être le premier film de Sautet que j'aie vu), les similitudes de cette séquence avec la fin de
Un cœur en hiver (1992) sont évidentes, de la même manière que les personnages de Max et de Stéphane (Daniel Auteuil) sont frères jumeaux en froideur et en machiavélisme. De la même manière, aussi, que les derniers regards de Max et de Camille (Emmanuelle Béart), s'éloignant dans une voiture, montrent une fêlure irréparable à l'être qu'ils ont aimé.