samedi 23 octobre 2010

De vrais mensonges - Pierre Salvadori, 2010

Hier soir, chers lecteurs, votre Jack était de sortie, une fois n'est pas coutume, pour l'avant-première du nouveau film de Pierre Salvadori qui ouvrait la 32ème édition du Festival du Cinéma Méditerranéen de Montpellier. Et j'avais de plutôt bonnes raisons de sortir, 'xcusez du peu: opéra Berlioz plein à craquer (seules les loges les plus haut placées, et donc les moins propices pour bien voir l'écran, étaient vides), lancement officiel sous le "marrainage" de la grande Carmen Maura (je file d'ailleurs découvrir Pepi, Luci, Bom et les autres filles du quartier cet après-midi puisqu'on nous offre un joli panorama de sa carrière et qu'il s'agit d'un des rares longs d'Almodóvar que je n'aie jamais vu), avant-programme constitué du court-métrage Chienne d'histoire de Serge Avédikian (récompensé en mai dernier à Cannes), séance en présence de Pierre Salvadori et de ses interprètes Audrey Tautou et Nathalie Baye. Burp.

Je vous offre un aperçu de l'ambiance ci-dessous:
























 (ce dont on ne peut pas s'apercevoir c'est à quel point les membres de l'équipe du film étaient impressionnés de présenter leur travail, jusqu'ici vu uniquement par des producteurs et des distributeurs, devant une si grande quantité de "vrai public", pour reprendre l'expression de Salvadori lui-même)

Je n'ai plus que mes yeux pour pleurer, non seulement mon homme n'avait d'yeux que pour la frêle Audrey mais Sami Bouajila, son très séduisant partenaire masculin dans le film, avait fait faux bon. Parfois, la vie elle est trop inzuste.

Et alors, et le film dans tout cela? Valait-il la peine de braver les grèves, la fatigue, la fatigue des grèves, la grève de la logique de la part des organisateurs du festival (l'absurde ruban humain se terminant en cohue féroce pour entrer dans la salle)?
Hé bien oui, mes amis, mais alors oui.


Emilie (Tautou) est la jeune patronne d'un salon de coiffure sétois, où Jean (Bouajila) effectue quelques travaux de rénovation. Or Jean est secrètement amoureux de sa patronne et lui envoie des missives aussi enflammées qu'anonymes. Un anonymat dont Emilie va se servir pour faire croire à sa mère Maddy (Baye) que les lettres lui sont adressées par un admirateur et ainsi dissiper la dépression qui la cloue au sol. Mais Maddy veut démasquer l'auteur, et tout va se compliquer très vite....


Je ne vais pas bouder mon plaisir, ce n'est pas mon habitude. Il faut tresser des couronnes, envoyer des fleurs, couvrir de mots doux un réalisateur aussi doué pour la comédie que peut l'être Pierre Salvadori. Et qui, en plus de ce don évident, de ce sens du timing (pardon my French) si délicat, travaille à l'évidence si fort pour ciseler des dialogues et des situations qui savent et soutenir le rire et étoffer les personnages tout au long d'un film de deux heures. Pas une once de vulgarité, pas une faiblesse, aucune de ces facilités qui font si souvent soupirer d'agacement (il est vrai qu'on nous prend assez souvent pour des bourrins), un juste dosage de punchlines millimétrées pour ne pas sonner trop "écrites", d'expressions faciales très subtiles défilant à toute vitesse et de situations à la fois quotidiennes et délicieusement embrouillées. Je salue au passage l'extrême pertinence dans le choix des trois interprètes principaux, ils sont fabuleux et s'accordent merveilleusement ensemble, on sent que tout le monde s'est bien amusé (Tautou en introduction du flm avouait avoir vécu là son tournage le plus festif et le plus chaleureux, on la croit sans peine au vu du résultat). Les seconds rôles sont parfaits également du point de vue du rapport trogne/expressivité/contribution au travail d'équipe, avec une mention pour Judith Chemla qui incarne la jeune Paulette, employée du salon de coiffure déjà moyennement (a)futée que les excentricités de sa patronne mènent au bord du court-circuit neuronal. Tous les personnages sont croqués avec autant de tendresse que de dérision.

J'ai éprouvé une satisfaction particulière en constatant que le personnage de Jean retourne malicieusement les stéréotypes ethniques et sociaux. D'abord en étant incarné par un acteur "typé" (et de toute manière excellent indépendamment de cela) sans pour autant se prénommer Mohammed ou Karim, ensuite en en faisant un ex-traducteur polyglotte pour l'UNESCO ("responsable du secteur Asie", siouplaît), amateur de lecture et d'opéra, et dont les études supérieures donnent un complexe terrible à Emilie (qui a ce constat désabusé sur son parcours: "D'ailleurs dans la vie, ma mère a fait muse, moi j'ai fait coiffeuse-maquilleuse, alors!....").

En résumé j'ai passé un excellent moment, et toute la (grande) salle également, si j'en crois les rires francs et fréquents, et les applaudissements nourris une fois les lumières rallumées.


dimanche 10 octobre 2010

Requiem pour un massacre (Va et regarde) - Elem Klimov, 1985

Difficile de ne pas penser au très beau L'enfance d'Ivan, en suivant l'histoire filmée à fleur d'yeux de Florya (le stupéfiant Alexei Kravchenko), tout jeune paysan de cette Biélorussie de 1943 qui va être ravagée, comme en un éclair, par les nazis. Mais la comparaison s'arrête à ce parallèle entre deux parcours d'enfants pendant la Seconde Guerre Mondiale. 




Le film de Tarkovski montrait un Ivan fermé et dur comme un poing, offert à ceux qui l'instrumentalisent du moment que cette utilisation l'intègre dans un semblant de famille, un orphelin tout entier tendu vers une chimère et totalement désensibilisé au monde en proie au chaos de la guerre.Très logiquement, L'enfance d'Ivan semble hors du temps, désincarné comme peut l'être ce jeune personnage retiré en lui-même et déjà presque mort, flottant brièvement dans des limbes aqueuses avant de disparaître tout à fait.

Tout au contraire, le film d'Elem Klimov est puissamment terrien, charnel, et mise à fond sur une immersion sensorielle dans les combats, la boue, les mousses détrempées, la cohue des paysans poussés vers leurs morts, le mugissement d'une vache mourante, la beauté d'une jeune fille qui danse sous la pluie, le choc tellurique des bombes qui abattent les hauts arbres de la forêt, le bourdonnement sourd de ces étranges avions à queue dédoublée qui semblent survoler la tuerie comme autant de vautours de métal... 



Nous suivons Florya, charrié par ce mouvement qu'il ne comprend pas, et dont le visage de cire qui se décompose et se remodèle en plein cadre, ses yeux plongés dans les nôtres, restitue chaque nuance de l'horreur dans laquelle il est plongé (un effet spécial à soi tout seul, qui dispense de se servir du moindre artifice). Comme lui nous sommes assourdis par les bombardements, nos nerfs sont submergés par la nappe sonore et les tableaux de chair et de flammes de ce cauchemar vrai - une saturation qui culmine dans le montage final d'images d'archives. 



Si l'on voulait résumer rapidement, Requiem pour un massacre restitue l'abomination viscérale et l'irrationalité de la guerre, là où L'enfance d'Ivan était la sèche et déchirante marche funèbre d'un petit fantôme. Tous deux sont des films admirables, chacun dans son parti-pris narratif et esthétique cohérent et parfaitement maîtrisé., tous deux sont de ces films qui demeurent avec vous longtemps après les avoir vus.