samedi 31 décembre 2011

Récap' ou pas cap' de 2011

Quelle drôle de bestiole que cette année 2011! Je ne sais pas pour vous, mais dans mon année il y avait de tout, dans un désordre absolu: la grosse déprime et l'exaltation maniaque, le chef-d’œuvre à la mode en carton moisi et le petit joyau, et entre tout cela quand même pas mal de mornes plaines et d'attentes pas toujours récompensées (et je ne parle pas seulement de cinéma... quoique le cinéma ne soit justement pas que du cinéma pour ceux qui l'aiment).

Ce qui me surprend lorsque je sors ma calculette, c'est qu'en dépit de cette impression d'année un peu creuse (entre deux paroxysmes épuisants), j'ai tout de même réussi à voir 132 films, soit à peu près autant qu'en 2010 (mon engouement récent pour certaines séries TV américaines n'a donc pas tout écrasé sur son passage). Dont 23 en salles, à peu près pareil que l'année précédente. Comme quoi l'impression globale qu'on retire peut être trompeuse, peut-être que c'est simplement le fait d'avoir manqué de temps libre pour entretenir ce blog qui me trompe? Je trouve aussi très réconfortant de constater qu'en dépit d'une tendance plus marquée au re-visionnage (les périodes difficiles traversées ayant motivé un repli vers les films-doudous), 58% des films étaient des découvertes. Curiosité et envie pas mortes!

Alors 2011, si c'était....


... un retour en enfance: Pleurer ma race devant la fin de King Kong, version Peter Jackson. Parce que lorsque votre Jack était encore bambina, elle avait déjà chialé d'importance devant la version (pourtant pas très bonne) de John Guillermin (et découvert l'érotisme lorsque le gros doigt de Kong tentait de déshabiller la délicate Jessica Lange, d'où son goût ultérieur pour les mâles poilus?). Ne riez pas, je ne savais même pas à l'époque que l'original de Cooper et Schoedsack était tellement magistral qu'il annihilerait d'avance jusqu'au moindre rêve de remake pour des décennies. And along came Mr Jackson. Le gars qui m'avait collé un frisson quasi-mystique en matérialisant les colosses de l'Argonath (et le Balrog, et Minas Tirith...) dans son adaptation du Seigneur des Anneaux. Et boum.

... des familles tellement horribles que je me dis que, finalement, je m'en sors pas mal avec la mienne: La doucereuse Janine Cody (Jacki Weaver) de Animal kingdom qui règne, telle une Mamy Nova sortie de l'enfer, sur sa famille de truands de Melbourne à coup de "sweetheart" suintants de menaces. L'Erica Sayers (Barbara Hershey, splendide dans Hannah et ses sœurs, aujourd'hui sévèrement botoxée) complètement secouée de Black swan, qui dénie à sa fille toute vie privée et toute féminité adulte (très proche en cela de la Margaret White de Carrie, la religion en moins). Le gynécée white trash mené par Alice Ward (Melissa Leo), quasi-maquerelle de ses boxeurs de fils dans le finalement très décevant The fighter.

... une mauvaise idée (de voir ce film trois mois après Fukushima): J'ai été pétrifiée par La bombe, docu-fiction réalisé pour la BBC par Peter Watkins. Une guerre nucléaire a éclaté et l'Angleterre est ravagée, l'impréparation des pouvoirs publics et l'insuffisance des moyens mis en œuvre concourant à aggraver la situation déjà dramatique. Watkins nous immerge dans la situation, entre les interviews des sinistrés et le déroulement méthodique, en voix off, de glaciales statistiques. Le résultat est terrifiant (en plus d'être cinématographiquement puissant), surtout après le festival d'incompétence et de désinformation auquel nous avons assisté suite à la catastrophe japonaise. La bombe c'était en 1965, ça pourrait être n'importe quand.

... un Marcello, et un seul: Mariage à l'italienne (De Sica), Divorce à l'italienne (Germi), Le bel Antonio (Bolognini), Mastroianni déconstruit le mâle italien iconique et expose ses névroses et sa veulerie profonde. Il est mélancolique, il est canaille, il est sublime. Punaise, je suis née trop tard.

... des grandes envolées de pas-grand-chose: Périodiquement, ça ne peut pas louper, les critiques et/ou la presse et/ou le public s'emballent pour un film et on s'en prend ras le schtroumpf de leur dernière tocade, y'en a plein les plateaux télé, les émissions de radio, la presse écrite, et avant qu'on ait pu dire "Billy Wilder" la vedette du film est devenue l'égérie d'un parfumeur/horloger/constructeur automobile. J'ai pu voir cette année quelques-uns des objets de cette affection (quelque peu démesurée), et force m'a été de conclure que bof, en ce qui me concerne. Tel fut le cas pour Black swan (parce que j'ai jamais rêvé d'être ballerine? parce que Natalie Portman, une fois amaigrie, est moche? parce que Les chaussons rouges, bordel?), The fighter (Mark Wahlberg est la seule bonne chose du film, on a envie de lui offrir l'asile politique), The artist (de la belle ouvrage, des hommages futés, mais c'est pas Les feux de la rampe ni Sunset Boulevard non plus), The social network (c'est pas avec un film aussi inintéressant que je vais me mettre à Fessebouc), Le discours d'un roi (mon Colin Firth chéri a eu l'Oscar pour ça, this must be a joke), Le tambour (Palme d'Or 1979 ex-æquo avec Apocalypse now, Oscar du meilleur film étranger; déclenche une envie irrépressible de se faire ligaturer les trompes). Autant en emporte le buzz.

... un qu'a failli être le film de l'année: Dans The tree of life de Terrence Malick, il y a tous les ingrédients d'un chef-d’œuvre, et plus encore, il y a de vrais morceaux de grâce dedans (et lorsque je dis "grâce", je ne parle pas de son acception religieuse, à laquelle trop de critiques ont voulu réduire ce film). Mais cette fois cela ne suffit pas, pas sur la durée totale du film en tout cas. Pour goûter la grâce malickienne à son plus mûr, revoyez plutôt La ligne rouge.

... un qu'est le film de l'année pour de vrai: Une séparation est un bijou, d'autant plus brillant qu'il a pris tout le monde par surprise, et c'est tant mieux.

... une star au style méchamment daté: Si je voulais dresser un parallèle entre mon bilan 2010 et celui-ci, je dirais que Faye Dunaway est un peu ma Zarah Leander de 2011. Dans Network (Lumet) comme dans Les yeux de Laura Mars (Kershner) l'actrice arbore un brushing impeccable et des chemisiers de satin (beige, à lavallière... beurk) en toutes circonstances, un spot dirigé vers ses yeux est chargé de les mettre en valeur (à bien y réfléchir je ne suis même pas sûre de l'avoir vue cligner des paupières une seule fois!) et ses pommettes semblent capables de couper du verre. Et son jeu? De grandes enjambées (chaussées de bottes de cuir couleur cognac.... beurk), des mouvements de cheveux, des mains qui fouettent l'air, une expression survoltée plaquée sur le visage. Et c'est tout.

... un réalisateur vraiment pas pour moi: J'avais essayé Possession il y a quelques années, dedans y'avait Adjani qui se roulait par terre en arrachant ses vêtements et qui franchissait le mur du son à chaque fois qu'elle ouvrait la bouche, c'était pénible en diable (hu hu suis-je drôle). Cette année j'ai re-tenté l'aventure (je suis un brin kamikaze tout de même), j'ai vu L'important c'est de se torturer, heu je veux dire L'important c'est d'aimer. Dedans y'avait Romy Schneider qui se laissait humilier face à un Jacques Dutronc passif-agressif et à un Fabio Testi passif-pigeon, c'était pénible aussi. Zulawski, c'est décidé, j'arrête.

... des vaccins contre la pandémie de connerie: J'aimerais envoyer le DVD du Nom des gens à Hortefeux (Brice), Guéant (Claude) et Le Pen (le père, la fille et les simples-d'esprit, amen), ainsi qu'à tous ceux qui croient que tout ce qui n'est pas français est par essence louche et malhonnête. Emportée par un immense élan de bonté, j'offrirais aussi We are four lions (les tribulations d'apprentis-djihadistes anglais résolument bras-cassés, jusqu'au bout de leur bêtise crasse) à George W. Bush, Tony Blair, et à tous ceux qui ont essayé de nous "vendre" à toutes forces ces fichues armes de destruction massive, et qui ont jeté le soupçon sur tous les musulmans du monde au passage. Enfin, je balancerais Mes meilleures amies dans la tronche des tous les pseudo-féministes (des trois sexes) et aux groupies de Ségolène Royal, à tous ceux qui pensent que les femmes font tout mieux et plus intelligemment parce que ce sont des femmes. Accrochez-vous bien: c'est faux, elles peuvent être aussi cloches et vulgaires et pas drôles et conformistes que les mecs, ce film en est la preuve.


vendredi 30 décembre 2011

It's damned if you don't and it's damned if you do: Angel heart (Alan Parker, 1987)

New York, 1955. Le détective privé Harry Angel (Mickey Rourke) est approché par le très étrange et manucuré Louis Cyphre (Robert De Niro) pour retrouver le crooner Johnny Favourite. Celui-ci, en dette vis-à-vis de Cyphre, semble avoir disparu après être rentré de la guerre, blessé et amnésique. La piste de l'ancien chanteur de charme emmène Harry sur les terres imprégnées de vaudou de la Nouvelle Orléans, alors que sur son passage les cadavres s'accumulent...


Angel heart est un film que j'affectionne pour sa qualité de cauchemar poisseux et oppressant. Jusqu'à un certain point, la méticulosité de la reconstitution de l'Amérique des années 50, la perfection des éclairages (un peu poudrés, ambrés et comme chargés de la fumée des clopes qu'aujourd'hui on ne peut plus griller en intérieurs), bref la qualité picturale pure de chaque plan (Rourke conversant avec un type dans un transat à Coney Island, le ciel rosé du couchant les écrasant de sa splendeur; Rourke et M. Kruzemark au bord du champ de courses dont les lices dessinent des lignes de fuite impeccables) peut faire "sortir" de cette histoire il est vrai tirée par les cheveux. On peut au contraire considérer que l'esthétisme raffiné déployé par Parker (comme peut être raffinée, sous la subtile pourriture, une vieille demeure Sudiste au milieu de son bayou) et les multiples rappels des motifs mêlant les visions de Harry à des symboles religieux et à souvenirs enfouis (dans des proportions que l'on ne connaîtra vraiment qu'à la fin) renforcent l'impression de pénétrer dans un songe aussi maléfique que cohérent dans sa logique déviante. Pour moi ça fonctionne à mort, j'adore avoir peur, j'adore les histoires de sorcellerie, et les vieux machins rouillés qui font "croui-croui-croui" pendant des heures me donnent la chair de poule - ah mince faut pas parler de volailles, Harry les a en horreur.



C'est aussi un plaisir de revoir Mickey Rourke à l'époque où il avait un visage et pas un œdème de Quincke géant, de redécouvrir que, bien que ce film-ci soit sorti peu avant du très surfait Neuf semaines et demie (on ne dira jamais assez l'influence déplorable de ce truc sur les carrières de Rourke, Lyne, Basinger et sur les galipettes érotico-alimentaires), c'était un acteur à part entière. Dans ce rôle il a en même temps la dégaine blasée et chiffonnée du private eye archétypal (genre je bosse sur l'affaire même quand je sirote mélancoliquement un bourbon dans un bar sorti d'un tableau d'Edward Hopper) et le sourire vague et mouillé du petit garçon perdu qui ne comprend plus rien à ce qui l'entoure. On ne peut pas s'empêcher de regretter qu'il ait perdu, avec le temps et les opérations, la capacité faciale à restituer autant d'émotions, et je me suis prise à rêver de ce qui aurait pu être... D'autant qu'en face, apparaissant de temps à autres dans l'histoire, il y a quelqu'un qui était déjà, qui est toujours, un des plus grands acteurs qui existe, Môssieur Bob De Niro en personne. Qui biche visiblement à incarner un être inquiétant à force d'être suave et debonair, sans extravagance autre qu'une chevelure luxuriante (il sortait de Mission, forcément) et des ongles à la manucure... inhabituelle. Il se fait d'autant plus impassible et courtois que Rourke se liquéfie d'angoisse au fur et à mesure que l'histoire progresse, et le face-à-face entre les deux hommes en est d'autant plus délectable.




Je finis sur une petite gourmandise pour ceux qui aiment repérer certains visages, pas forcément les plus célèbres, là où on ne les attend pas, et les suivre de film en film. L'un des deux inspecteurs de police qui viennent interroger Rourke à la Nouvelle Orléans n'est autre que l'excellent Pruitt Taylor Vince, acteur bouleversant du méconnu Heavy (premier film de James Mangold, hé non ce n'était pas Cop Land) et vu plus récemment dans plusieurs séries TV (il est notamment J.J. LaRoche dans The mentalist). A l'époque de Angel heart, il était considérablement moins corpulent que maintenant, mais si l'on regarde bien on peut remarquer son nystagmus caractéristique.

vendredi 23 décembre 2011

Grand corps (d'Etat) malade: L'exercice de l'Etat (Pierre Schoeller, 2011)

Bertrand Saint-Jean (Olivier Gourmet) est un Ministre des Transports centriste au sein d'un gouvernement ultra-libéral. Nous faisons sa connaissance - et celle de son staff: Gilles le dir'cab (Michel Blanc), Pauline la chargée de com' (Zabou Breitman), Yan (Laurent Stocker), le jeune-assistant-aux-dents-longues- à l'occasion d'une crise qui éclate au beau milieu de la nuit: un accident de car meurtrier sur une route enneigée des Ardennes.

Ni moins humaniste, ni plus manipulateur que d'autres, Saint-Jean défend publiquement sa conviction qu'une privatisation des gares se ferait au détriment des usagers (NdA: toute ressemblance, blablabla...), mais il se retrouve très vite mis en minorité du fait des puissants intérêts financiers et politiques en jeu. On lui met alors entre les mains l'alternative suivante: ou il pilote la réforme du statut des gares (ce qui équivaut à avaler son chapeau devant son ennemi juré, le Ministre des Finances), ou il saute.







L'immersion est brutale, viscérale, dès les premières minutes du film: nous sommes dans la tête d'un Bertrand Saint-Jean profondément endormi et en proie à un rêve mi-inquiétant, mi-érotique, dont il sort pour être propulsé dans l'urgence d'un accident monstrueux pour lequel il doit - vite vite, surtout pas de trou d'air médiatique! - coordonner les secours, rassurer les familles, arpenter les lieux du drame, diligenter une enquête, bref donner l'impression qu'il maîtrise une situation pourtant née de l'imprévisibilité. Ce n'est pas un robot, ce Saint-Jean, loin de là; bien au contraire, son humanité, sa corporalité éclaboussent l'écran. Il a la gaule le matin au réveil, voit si peu sa famille que son cabinet en vient à gérer l'essentiel de ses rapports avec elle, est incapable de choisir une cravate qui "passe bien" à la TV, frotte de la glace sur son visage pour reprendre contact avec la réalité, dégueule sous la tension nerveuse accumulée. Et se saoûle à perdre haleine pour supporter sa solitude ("Quatre mille contacts, et pas un seul ami!" soupire-t-il un soir), s'incruste chez un chômeur de longue durée qu'il emploie un temps comme chauffeur.... Sans que rien de tout cela suffise à lui faire oublier sa position: il est condamné à l'impuissance tant qu'il s'accroche à ses principes, et seule la trahison (de ses idées, de sa famille politique, des gens qui travaillent avec lui) peut lui redonner une marge de manœuvre au gouvernement. Le paradoxe étant que la métamorphose qu'il lui faut accomplir pour cela (et dont d'autres que lui paieront le prix) va faire de lui une espèce de fauve politique diamétralement opposée à l'homme qu'il était jusque-là.

Je ne le dirai jamais assez, Olivier Gourmet est un acteur formidable (depuis Le fils, des frères Dardenne, on ne s'en lasse pas), qui dans ce rôle de Bertrand Saint-Jean montre nombre de fêlures sans que pour autant on parvienne à cerner tout à fait le bonhomme, sans que son parcours ou ses motivations nous soient lourdement expliqués. Il nous demeure en grande partie opaque mais pendant ces deux heures de film on l'aura deviné complexe, tortueux, contradictoire. Michel Blanc, en serviteur de l'Etat obsessionnel jusqu'à l'effacement, n'est pas moins remarquable - j'ai pensé à un "Monsieur Hire énarque" dans ce rôle. Le parti pris de filmage "comme si on était embedded" est probablement ce qu'on peut trouver de plus judicieux pour restituer la petite cuisine pas propre de la politique d'aujourd'hui, même si le scénario s'offre quelques facilités superflues autour du personnage du chômeur.