dimanche 18 juillet 2010

Everywhere you go, you always take the weather with you: Tamara Drewe (Stephen Frears, 2010)

Une fois qu'on l'a débarrassée du pétrole qui la recouvrait dans Quantum of solace, où elle jouait une Bond Girl à l'espérance de vie encore plus réduite que celle de la moyenne de ses congénères, Gemma Arterton est une fort jolie plante. Visage rond au teint laiteux, yeux en amandes, quelques taches de rousseur sur un minuscule petit bout de nez, lèvre supérieure bombée et enfantine, le tout monté sur une paire de cuisses fuselées: de quoi mettre le feu à tout le Dorset, vaches comprises. Tiens c'est drôle, c'est justement ce à quoi Stephen Frears va l'employer pendant les quelques deux heures que dure Tamara Drewe.



Tamara (Arterton) revient dans le bled campagnard où elle a grandi, proverbial petit canard affublé d'un blaze titanesque (un canard avec un gros pif, mais vous avez bu ma pauvre amie!), raté de la nature corrigé depuis grâce au moderne Tipp-Ex du bistouri. 

En rabotant son nez Tamara a manifestement subi une sorte de greffe de sex-appeal, puisque partout où elle traîne son sourire mutin et son mini-short les hommes (y compris ceux qui l'ont connue, et jetée, lorsqu'elle était ado) n'ont de cesse que de la trousser. Andy le premier flirt, aujourd'hui homme à tout faire dans une pension pour écrivains (le très regardable Luke Evans, sorte de croisement, au physique, entre James McAvoy et Colin Firth, c'est dire s'il est miam), Nicholas Hardiment (Roger Allam, qui ressemble un peu à Frears), monument local du roman policier en particulier et de la suffisance en général, Ben Sergeant (Dominic Cooper) le batteur rock au cœur d'artichaut: tous veulent se la faire. 
Enfin non pas tout à fait "tous", Glen (Bill Camp), gentil nounours d'écrivain américain en panne sèche face à sa biographie de Thomas "Tess d'Urberville" Hardy, lui au moins n'a d'yeux, d'oreille et d'épaule consolatrice que pour Beth (Tamsin Greig), l'épouse-secrétaire-intendante (trop) dévouée de Nicholas que celui-ci trompe en moins de temps qu'il n'en faut pour dire "traitement de texte". 

Et tout ce petit monde évolue sous le regard et les sarcasmes de Jody et Casey, deux adolescentes que leur idolâtrie pour la rock-star (iiiîîiiîîî!!!!) va pousser à sortir de leur rôle de chœur antique pour venir mettre le waï dans la vie de la pension, et accessoirement dans celle de Tamara. Les intrigues se croisent, d'abord vivement puis avec moins de bonheur dans la dernière demi-heure, ménageant çà et là quelques répliques savoureuses et situations cocasses. 
Mon plaisir a été quelque peu amoindri par les deux jeunes filles, que j'ai trouvées plutôt pénibles, surtout celle qui joue Jody, la plus exaltée des deux, et qu'on devine destinée à devenir à son tour une autre Tamara Drewe (attention! mise en abyme! profondeur!), et par le happy end, qui semble plaqué artificiellement à la fin d'une histoire dont la progression aura vu exploser les rapports entre tous les personnages.

Mais enfin tout ceci est frais, léger, plaisant, et la campagne anglaise est ravissante, bien moins pluvieuse qu'on ne le prétend généralement. On ne va pas non plus faire la tête, non?

Trouble every day (Claire Denis, 2001)

Trouble every day est peut-être (est à mes yeux, en tout cas) le film qui capture le mieux la sensualité de la peau humaine, le trouble diffus qui vous envahit lorsque vous fixez un morceau d'un corps qui vous attire, l'excitation extrême de se se tenir dans l'arôme qui en émane, le frisson du toucher dérobé.... 

Toute l'histoire semble n'être qu'un prétexte ténu pour explorer cette dimension, un exercice de style de haute volée pour la metteuse en ambiance Claire Denis et pour Agnès Godard, sa chef-op de prédilection et complice de longue date.



Ah oui au fait, l'histoire. Un peu tirée par les cheveux du fantastique sans doute? (oui enfin c'est sans doute la professionnelle de la blouse blanche en moi qui ne peut s'empêcher de rouméguer) Léo Sémeneau, la femme de celui-ci, Coré, et Shane Brown (Alex Descas, Béatrice Dalle et Vincent Gallo) étaient autrefois trois chercheurs scientifiques travaillant sur les propriétés de plantes de la forêt vierge guyanaise. Shane, trop sensible aux offres financières alléchantes d'un puissant groupe pharmaceutique, avait un jour volé les découvertes faites par Léo, son supérieur, et expérimenté dans son dos certaines des substances isolées sur lui-même et sur Coré, qu'il convoite. 


Nous découvrons tout ceci au fil des rares dialogues et flashes-back qui émaillent l'action (qui se situe des mois ou des années plus tard par rapport à ces évènements fondateurs), alors que les trahisons semées par Shane trouvent leur conclusion désastreuse. Coré est devenue une bête fauve, gardée (enfermée) tant bien que mal par un Léo reconverti en médecin de campagne pour mieux cacher au monde le mal de sa femme. Car Coré ne se contente pas de "lever" des camionneurs de passage (adultère sordide mais somme toute banal), elle les dévore, littéralement, ses pulsions ne se satisfaisant que dans un contact vorace avec les chairs de l'autre. 


Il ne nous faut que quelques plans pour comprendre que Shane souffre du même mal: il suffit de le voir effleurer (en se contenant à grand-peine) le bras blanc de l'enfantine June, sa toute jeune femme (Tricia Vessey), se masturber douloureusement dans la salle de bain, incapable de lui faire l'amour sans aussitôt la déchirer en lambeaux, ou encore fixer la nuque gracile d'une femme de chambre frondeuse (Florence Loiret-Caille, impeccable dans un rôle quasi-muet)...



L'angoisse et la souffrance coulent aussi placidement que le sang répandu sur les herbes du bas-côté d'une route par Coré, elles s'exhalent par les pores de ces épidermes arpentés de si près par la caméra de Claire Denis, dans des clairs-obscurs qui donnent le sentiment que le tournage s'est déroulé sous terre. Tellurique aussi, l'interprétation de Béatrice Dalle: qui d'autre qu'elle aurait pu aussi pleinement donner libre cours à l'animalité absolue requise par le rôle? On la voit infra-humaine, déployant tour à tour des réflexes et un regard de prédateur (lors de ses "chasses") et un abandon las de tout, lorsque son mari la lave patiemment du sang qui la recouvre. 



Ces ardeurs cannibales induites chez Shane et Coré, métaphores d'une libido inextinguible et pathologique, les obligent l'un et l'autre à une fuite en avant vers plus de victimes, tout en les rendant incapables de trouver le bonheur avec leurs conjoints respectifs. Sans vouloir interpréter pour autant le film à la lumière d'un moralisme prêchant la monogamie voire la chasteté (je ne pense pas que ce soit ni le style ni le propos de Claire Denis), j'y vois en tout cas une représentation (extrême, mais facile à ressentir car personne ne peut ignorer l'effet de la faim, c'est sans doute une des sensations les plus basiques du règne animal) des ravages de l'addiction (quelle que soit cette addiction) sur ceux qui en souffrent et sur leur entourage.




samedi 17 juillet 2010

Always lost in the sea

Bernard Giraudeau vient de mourir, emporté par le cancer qui le grignotait depuis quelques temps déjà. 

De l'acteur je ne connaissais pas grand-chose, j'ai vu Ridicule comme tout le monde (il y était quelque peu en roue libre mais le personnage l'exigeait), La boum il y a trop longtemps pour que je m'en souvienne (et peut-être cela vaut-il mieux?...), et deux autres films:

Une affaire de goût (Bernard Rapp, 2000), délicate et malsaine histoire d'asservissement moderne sur fond de gastronomie perverse, où il campe un Pygmalion mélancolique et cruel. Le film ne vaut que par son histoire, délicieusement décadente, et par l'interprétation du duo mortel que Giraudeau forme avec Jean-Pierre Lorit.

Et puis et peut-être surtout, Le fils préféré de Nicole Garcia (1994) que j'ai découvert récemment (bah, oui, à peine 16 ans de retard). Certes c'est le personnage de Gérard Lanvin qui est au centre de l'histoire, mais j'ai été infiniment touchée par le personnage du fils en déshérence, Francis, dont le cynisme cache mal les blessures.


Bien entendu il est des films sur lesquels je fantasme, de lui (Les caprices d'un fleuve: je trippe à mort sur les explorateurs du XVIIIe siècle) ou avec lui (Gouttes d'eau sur pierres brûlantes de François Ozon, d'après-un-scénario-de-Fassbinder-alors-forcément). Je ne peux qu'espérer qu'à l'annonce de son décès une chaîne ou une autre aura la bonne idée de les diffuser en hommage.

Bon vent, beau marin.







mercredi 14 juillet 2010

Tournée (Mathieu Amalric, 2010)

(Yipee, mon déménagement s'est globalement bien déroulé, les cartons ont presque tous été éradiqués - non, monsieur à l'air sévère dans le fond, ce n'est pas une nouvelle perversion - et, icing on the cake, ma ligne ADSL a été transférée à ma nouvelle adresse en moins de 24h. Que demande le peuple, franchement? Bon OK, mais à part tout ça, honnêtement???)

Donc voilà, comme je l'annonçais ici (en m'avançant un brin trop sur un calendrier qui s'annonçait chargé, mais je ne me referai pas à mon âge), j'ai profité de la première accalmie venue (en la provoquant un peu tout de même) pour aller voir Tournée, dont la presse péri-cannoise nous avait promis monts (de Vénus) et merveilles. Je ne suis pas si naïve tout de même pour me fier à l'aveuglette à ce genre de buzz, je me doutais que le film d'Amalric ne méritait pas nécessairement tant de tapage et probablement pas (désolée Mathieu, tu sais que je t'aime depuis Comment je me suis disputé...) le Prix de la Mise en Scène. Hélàs, j'ai eu quelque peu raison, encore que.

Encore que Tournée n'est vraiment, décidément pas, un mauvais film. Il s'en faut de beaucoup. C'est un film éminemment aimable, parce que tendre avec ses personnages. 
Les filles, d'abord et avant tout, qui émettent autant de lumière qu'elles en accrochent sur la scène de leurs spectacles new burlesque, avec leurs cache-tétons pailletés, leurs strings symboliques et leurs plumes partout-partout. Elles ont la beauté insomniaque et trop poudrée de celles qui ne doivent être vues que sous des spots aveuglants ou à la lumière jet-laggée des hôtels, mais elles gloussent comme des gamines en se chatouillant mutuellement les orteils, se damneraient pour une coupe de champagne ou une pomme au milieu de la nuit, et sont capables d'assaillir en hurlant de faim un livreur de pizzas. Elles sont magnifiques et captivantes... et c'est bien là une partie du problème (en tout cas, du mien) car on a l'impression de rester en surface de leurs vies, de leurs âmes, on aimerait tant en savoir plus. D'où viennent-elles? 



Mimi Le Meaux, pour ne parler que d'elle (c'est malgré tout celle que l'on voit le plus à l'écran, même si l'on n'en apprend pas plus sur elle, à tout prendre, que sur ses camarades), que fuit-elle, pourquoi a-t-elle ces accès de mélancolie, ces soudaines fringales de contact charnel? À moins que je ne sois dans l'erreur (mais si mais si, ami lecteur, c'est possible) et que l'intention d'Amalric réalisateur ne soit de nous donner à partager une pure tranche de vie débarrassée de toute contextualisation ou psychologisation foireuse... Je ne sais pas mais je reste sur ma faim. 

Amalric acteur fait ce qu'il fait le mieux à mon goût, le type un peu veule, un peu lâche, très en fuite et mauvais menteur, constamment mort de honte d'être continuellement démasqué dans ses insuffisances (ses jeunes enfants y parviennent au bout de quelques mots, c'est tout dire). Mais tellement en demande, tellement dépendant du foutoir ambulant qu'il a créée et qui le tient debout, tellement touchant! Amalric réalisateur.... je ne sais pas. Il y a des moments suspendus et ravissants, beaucoup de scènes gâchées par une photographie moche (disons le mot) ou par un montage un peu trop rapide.

Pour résumer, c'est un film où les girls sont les patronnes, c'est leur show, pas de doute, et le spectateur comme l'acteur/réalisateur ne peut que regarder, baba, se déchaîner devant lui cet ouragan de faux-cils et de strip-teaseuses diversement pudiques ou exhibitionnistes.