vendredi 31 décembre 2010

Twenty-ten

Voici que s'achève une année 2010 qui fut copieusement remplie au niveau personnel et professionnel - mais ai-je tout de même réussi, sur le peu de temps qui me restait pour assouvir ma passion pour le cinéma, à vivre des moments mémorables? Farfouillons parmi les 136 titres de l'année (dont 26 vus au cinéma, ce qui doit être mon record des sept ou huit dernières années) pour voir ce qui surnage...

... La découverte tardive d'un chef-d'œuvre: la simplicité de la parabole, la magie de l'amour et du cinéma, tout ceci encapsulé dans un grand film merveilleusement filmé par l'immense Murnau, L'aurore. Effectivement, en voyant ce film aujourd'hui on comprend sans peine pourquoi il a marqué, ce qui fait qu'il est resté: il est éternel. Pas sûr que certaines nouilleries à gros budget des temps modernes puissent prétendre à ne serait-ce qu'une fraction de cette postérité.

... Des fous-rires: le concours de puérilité des ados attardés (John C. Reilly et Will Ferrell) de Frangins malgré eux; le même Ferrell en policier de bureaux heureux de l'être qui (inexplicablement, pour son co-équipier Mark Wahlberg) fait craquer toutes les bombasses (à commencer par son épouse, la formidable Eva Mendes) dans Very bad cops (un very bad titre qui ne doit surtout pas vous détourner de cette excellente parodie des buddy movies à formule toute faite); une des bandes-annonces précédant Tonnerre sous les tropiques (le film étant en-dessous de ses promesses à mon avis), avec une BA de film Oscar-friendly dépeignant l'histoire d'amour interdite entre deux prêtres, à savoir Robert Downey Jr. et Tobey "Spiderman" Maguire (rien que de me remémorer leurs mimiques tandis qu'ils s'effleurent mutuellement le chapelet, j'en rigole encore).

... Un "Ouate ze feuque?" Award: non, sincèrement, 6 Oscars pour Démineurs (dont ceux du meilleur film et de la meilleure réalisation), film qui à mon sens ne fait qu'enfoncer des portes ouvertes (la guerre c'est dur, le métier de démineur c'est stressant et on le supporte en se murgeant d'importance, la caméra à l'épaule ça fait comme si qu'on était embedded tu vois coco, une femme peut très bien faire des films aussi bourrins que ceux faits par un mec), je ne comprends pas.

... Des contre-emplois de l'espace: la danse endiablée de Tom Cruise, grimé à en être méconnaissable (sauf en gros plans) en producteur amateur de gangsta rap, sur le générique de fin de Tonnerre sous les tropiques, ou comme quoi on peut être petit, susceptible, psychorigide et Scientologue, ET pratiquer l'auto-dérision, 'tain. Michel Galabru, pathétique, monstrueux et illuminé dans le glaçant Le juge et l'assassin de Tavernier: l'assassin c'est lui, et il déploie dans ce rôle un talent et une finesse qu'on ne lui soupçonnait pas forcément au vu des comédies qui ont fait sa célébrité. Meryl Streep qui incarne une femme de diplomate folle de cuisine française et très "Dame Edna Everage" au niveau vocal dans Julie & Julia de Nora Ephron (le film qui donne envie de taquiner la poche à douille - non, ce n'est ni une contrepèterie ni un motordu).

... Des rôles jumeaux: Leonardo DiCaprio (que j'apprends à apprécier à mesure qu'il mûrit) dans l'excellent Shutter Island de Scorsese et dans Inception, film de science-fiction cérébral et spectaculaire (et véritablement cohérent sur le plan esthétique, ce qui est suffisamment rare pour être souligné) de Christopher Nolan. Dans ces deux films, DiCaprio est un veuf hanté par le souvenir de sa femme, et par la culpabilité d'avoir été l'instrument plus ou moins volontaire de sa mort. Avec un (gros) avantage pour le premier film: il s'agit d'une impeccable adaptation du formidable roman de mon-deuxième-auteur-de-polars-favori-après-Michael-Connelly, Dennis Lehane, un gars qui touche juste lorsqu'il décrit l'intériorité de ses héros et qui en plus a des pelletées de style, le bougre (je prie pour qu'Eastwood adapte The given day un jour). 

... Un malaise gluant: la scène de masturbation de Nord, premier film de Xavier Beauvois. Une femme peut faire beaucoup de choses pour son fils mais ça... non.

... N'est pas Garbo ou Dietrich qui veut: c'est ce qu'on se dit immanquablement en découvrant les deux films que Douglas Sirk, encore en Allemagne, fit avec la star de la UFA Zarah Leander à la fin des années 30, à savoir Paramatta, bagne de femmes et La Habanera. La Leander gémit, défaille derrière des rideaux de dentelle, laisse très joliment perler des larmes à ses grands yeux éclairés par un rayon de lune... et on pouffe nerveusement devant ce jeu daté et grandiloquent. Rien à faire bibiche, Greta c'est plus fort que toi.

... Bon, ben je vais reprendre un verre moi: voir 2 ou 3 choses que je sais d'elle en étant bourrée, finalement, ça peut difficilement empirer les choses. Du Godard bien abscons et bien intello-chiant, à la hauteur de sa réputation.

... Des chieuses irresponsables et hystériques: distribution générale de claques et de Lexomil pour Chiara Mastroianni dans Non ma fille tu n'iras pas danser (histoire qui n'existerait pas si le personnage avait appris à envoyer paître sa famille une bonne fois pour toutes), Valeria Bruni-Tedeschi dans Les regrets (tu m'étonnes qu'Yvan Attal l'ait quittée! beau réflexe de survie mon gars!) et Maricel Álvarez dans Biutiful (avoir des enfants pour assouvir un fantasme de normalité n'est jamais une bonne idée... surtout quand on est maniaco-dépressive, junkie et un peu pute). Et encore, me direz-vous, la troisième a l'excuse d'être malade, tandis que les deux autres....

... Nobody does it better: comment ils font, chez Pixar, pour nous émouvoir autant avec des images de synthèse, hein? Toy story 3 m'a liquéfiée à deux reprises, l'une (attendue) pendant un moment fort (les jouets sont sur le point d'être précipités dans un incinérateur), l'autre (totalement à l'improviste) pendant une scène toute simple: Andy, sur le point de partir en fac, s'arrête chez une petite voisine et prend le temps de jouer avec elle pour lui "présenter" les jouets qu'il va lui donner. Tout est là: la page qui se tourne, la nostalgie de l'enfance, l'amour irrationnel que l'on peut porter à des objets, le plaisir de transmettre. Et vlan, me voilà en larmes.

... Army dreamer: inoubliable Requiem pour un massacre, déchirant Florya. L'un des films les plus puissants qu'il m'ait été donné de voir sur les horreurs de la guerre - je le vérifie à la trace durable qu'il a laissée en moi.

... Etait-ce franchement indispensable? Refaire Gladiator dans l'Angleterre post-croisades, en moins bien, avec un Russell Crowe empâté et une Cate Blanchett sous-employée (Robin des Bois). Remixer Crimes et délits, Match Point, Alice et Maudite Aphrodite, et rater lamentablement le tout malgré d'excellents acteurs parmi lesquels Naomi Watts et Josh Brolin (Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu). Etirer les possibilités offertes par le scénario au-delà du raisonnable (au-delà d'1h30 de film, en somme) pour bien fignoler dans les moindres détails la déchéance/rédemption du personnage joué par Javier Bardem et boucler la boucle d'une manière lourdement explicative par rapport à un prologue qui jusque-là était poétique (Biutiful).

... Un malentendu: non, The killer inside me n'est pas complaisant dans sa manière de dépeindre la violence de son personnage principal qui est un policier du Texas profond, ascendant gendre idéal, et en même temps un psychopathe manipulateur. J'ai entendu les arguments de ceux qui détestent, notamment ceux qui n'ont pu supporter la scène où le visage de Jessica Alba est méthodiquement défoncé, avec des contre-champs dévastateurs sur le visage vide de son bourreau - cette scène m'a retourné l'estomac. Mais j'estime qu'il ne faut jamais se voiler la face lorsqu'il s'agit de violence: ce sont au contraire l'ellipse ou l'esthétisation de cette violence (sur l'air de l'amour-passion, donc qui fait "forcément" mal, oh oui Johnny) qui sont obscènes.

samedi 25 décembre 2010

Dream in Blu

Le père Noël a drôlement bien fait les choses cette année, il a offert à mon homme un cadeau qui devrait transformer à jamais nos soirées...
Je t'arrête tout de suite, lecteur à l'esprit mal tourné et au demeurant trop envapé encore par les débauches réveillonnesques pour avoir compris la subtilissime allusion contenue dans le titre de ce billet (mes océans de culture sont justes suffisants pour me permettre de me souvenir de ça), je ne suis pas en train de te faire profiter de notre premier, heu, tête-à-tête (ahem) avec un sex-toy. C'est un lecteur Blu-Ray qui fut déposé sous notre sapin.



Nous avons été longs à passer à ce format, d'une part pour des raisons économiques (lecteurs comme disques BR étaient, jusqu'à récemment, absolument hors de prix) et d'autre part en raison d'un certain scepticisme natif que mon chéri et moi partageons (entre autres vices, sans lesquels il n'est de couple qui prétende durer - ah par la malepeste c'est beau ce que je dis!) envers ces innovations technologiques qui visent à i) se faire adopter comme naturellement indispensables à notre bien-être là de suite maintenant et surtout ii) nous refaire passer à la caisse pour acquérir, "en mieux", ce que nous avions déjà. Je ne sais pas pourquoi mais ce dernier point nous inquiétait particulièrement, eut égard aux quelque 1300 titres que nous possédons déjà en DVD. Nous avons donc sagement attendu que le Blu Ray soit seul survivant de la guerre des formats haute-définition, que son prix se démocratise et que, en parallèle, notre antique TV à tube cathodique décède et soit remplacée par une coquette dalle LCD... et là, comme on dit, taïaut.


Bon ceci dit nous étions conscients que racheter en format haute définition un film comme, disons, Casablanca, film intimiste, peu "visuel" dont les meilleures éditions DVD sont amplement suffisantes pour l'apprécier, ne représente aucun intérêt. En revanche il y a effectivement des films visuellement splendides auxquels le DVD rend à peine justice, et qui ne peuvent que bénéficier de ce traitement - je suis personnellement prête à vendre mon corps pantelant de cinéphile mûrissante à qui m'indiquera où me procurer des films comme 2046, Tout sur ma mère ou Beau travail en Blu Ray, si tant est que de telles éditions existent et soient à la hauteur de ce format.



Parce qu'il faut bien le dire, la comparaison DVD/BR fiche une méchante claque. Même sur un film déjà merveilleusement transféré jusqu'ici comme Là-haut (Pixar rules!): en haute définition, vous verrez jusqu'à la trame des étoffes, jusqu'au fines veines bleutées sur la peau du vieux monsieur. Ratatouille (okay, nous avons craqué pour le Coffret Prestige de la FNAC, pour le petit évidemment), même combat: le niveau de détails graphiques a été poussé à une telle perfection qu'il est possible d'identifier les mets à leur apparence. Tout le monde n'est pas Pixar ceci dit, une expérience plus récente avec une édition BR provenant d'une firme d'animation concurrente nous a démontré de manière éclatante que le supplément d'informations et de détails ne peut être visible en haute définition que dans la mesure où le film a, dès le départ, été pensé pour ce support et donc conçu avec un grand souci de la perfection technique....


Autre choc esthétique avec le coffret du Parrain (restauration Coppola): mamma mia! Je savais que j'allais retrouver là mes premiers films de chevet dans des atours de toute beauté, en regardant le premier volet je n'ai pas été déçue. Ma première approche de la trilogie n'était autre que le montage "chronologisé" pour la télévision (le troisième volet est le seul que j'ai découvert en salles). Par la suite je me suis fait offrir le coffret VHS pour mes 18 ans, que j'ai largué pour le coffret DVD il y a une petite dizaine d'années... et me voici franchissant une nouvelle étape technologique, telle la nymphe cuissue le ruisseau. Jusqu'à récemment, j'avais pour habitude de revoir les trois films au moins une fois par an, y découvrant toujours quelque chose de nouveau. C'est peu de dire que j'ai découvert un monde nouveau avec l'édition Blu Ray (le maquillage un peu léger de Brando, les détails des robes au mariage de Connie, l'intérieur de la cathédrale où a lieu le baptême final) sans pour autant perdre mes repères familiers (comme la célèbre erreur -volontaire?- de sous-titrage cannoli/cannelloni, qui me fait toujours sourire).

Bref, on se régale, et ce n'est pas fini, puisque quelques Blu Ray de chez Criterion devraient sous peu venir émoustiller nos papilles des yeux....

(Joyeux Noël!)

vendredi 24 décembre 2010

La princesse de Montpensier - Bertrand Tavernier, 2010

Nous sommes à la moitié du XVIIe siècle. Marie de Mézières (Mélanie Thierry, trop pintade à mon goût) est une jeune fille dont le destin va se jouer en fonction de deux paramètres dont elle n'est en rien responsable, et sur lesquels elle n'a aucune prise. 
D'abord sa beauté, qui fait qu'elle est courtisée par certains des hommes les plus importants de la France de son temps, au premier rang desquels le Henri de Guise (Gaspard Ulliel), qu'elle aime en retour quoiqu'elle soit implicitement promise à son jeune frère. Second facteur fatidique, l'importance stratégique revêtue par la richesse des Mézières face à l'irritant ascendant des Guise à la cour, et qui détermine le mariage de Marie au jeune prince de Montpensier (Grégoire Leprince-Ringuet; la fadeur extrême de ce comédien dans ce rôle nous fait très vite comprendre que le mariage sera malheureux et l'adultère avec le beaucoup plus "rock" de Guise, désirable - NdA). 



La jeune princesse de Montpensier n'est guère plus qu'une enfant un peu fruste lorsqu'elle est contrainte à étouffer les élans de son cœur pour épouser Montpensier. Très vite cependant, son amitié avec le très savant comte de Chabannes (Lambert Wilson, qui vieillit décidément très bien), un noble en disgrâce accueilli au château, la rend plus apte à tenir son rang, à accomplir les devoirs attendus d'elle.... et à attirer l'attention du puissant duc d'Anjou (Raphaël Personnaz, excellent dans son ambiguïté), qui est frère du roi et compte par ailleurs.... Henri de Guise dans son entourage. Anjou sait qu'il ne peut avoir Marie mais est tout aussi conscient qu'il peut, à tout le moins, glisser des obstacles infranchissables sur le chemin (apparemment tout tracé) qui mènerait de Guise à la couche de la jeune femme. Tandis le prince de Montpensier s'éveille, sinon à l'amour, du moins à la jalousie devant tant d'attentions accordées à celle qui n'était guère plus qu'un pion, qu'une possession de plus, jusque-là....



La reconstitution historique est merveilleusement exécutée (hou là, vous dites-vous, lorsqu'on commence par ce point-là, c'est mauvais signe... et je ne vous donne pas totalement tort) et Tavernier est bon pédagogue en nous expliquant à quel point son héroïne est instrumentalisée dans un jeu d'influences complexe et cruel. Tout cela serait parfait si effectivement Marie de Montpensier s'extrayait réellement de ce carcan, prenait vie et flamme (au moins en pensée) et faisait que l'on puisse s'attacher à elle, souffrir de l'injustice de sa condition. Je ne demande pas que Tavernier en fasse, de manière anachronique, une icône féministe qui s'ignore - tout de même pas. Mais qu'on voit autre chose à l'écran qu'une fille banalement incapable de se déprendre de son premier amour, et prenant pour cette raison toutes les mauvaises décisions, de celles qui peuvent lui faire tout perdre et faire s'éloigner les rares personnes qui la soutiennent. Faute d'avoir accès à son intériorité, faute d'apercevoir autre chose qu'une impulsivité naïve dans la plupart de ces mouvements, Marie me semble au mieux étourdie et un peu superficielle, au pire capricieuse (soyons clairs, Montpensier est falot mais elle aurait pu plus mal tomber, et de Guise est franchement trop show-off pour être fiable). En outre, les péripéties de la seconde heure du film sont excessivement étirées, ce qui fait que, de lassitude, j'ai passé la dernière demi-heure à jouer à retrouver les personnages de La Reine Margot dans les jeunesses de La princesse de Montpensier, qui le précède dans la chronologie des évènements présentés en toile de fond.