vendredi 22 mai 2009

Étreintes brisées - Pedro Almodóvar, 2009



Je ne suis pas encore bien sûre d'avoir tout capté, tout digéré, du nouveau film d'Almodóvar. Je vais tenter d'en parler tout de même, tout en sachant qu'il me faudra le revoir sans faute. Comme déjà Volver il y a trois ans, que j'avais hâtivement trouvé un peu "banal" au regard d'autres films du grand Pedro (ne me giflez pas, mon mari tout neuf s'en charge très bien tout seul).

Mateo Blanco (Lluís Homar) fut réalisateur, devenu aveugle il est désormais scénariste sous le nom de Harry Caine, très entouré par son agent et amie Judit (Blanca Portillo) et son fils. Un concours de circonstances l'amène à parler à ce dernier de son amour pour Lena (Penélope Cruz). La jeune femme était la maîtresse du puissant Ernesto Martel (José Luis Gómez) qui finança jadis un film dont Mateo fut le réalisateur et Lena la vedette - dans une tentative désespérée d'au moins combler, de tous les désirs frustrés de la jeune femme, les plus cinématographiques. Au lieu de quoi le réalisateur et son actrice succombèrent à la passion, déchaînant la jalousie morbide de Martel et précipitant la catastrophe: l'accident qui coûta la vie de Lena et la vue de Mateo...

Des citations du Secret magnifique de Sirk, du Voyeur de Powell et de Voyage en Italie de Rossellini, une filiation cachée mais bien vécue (enfin, ça dépend, parce que ce point du scénario m'a paru plutôt transparent étant donné les airs énamourés/contrariés du personnage de Judit), une autre filiation empoisonnée (Martel et son fils), des auto-références plus ou moins cryptées (du T-shirt "Suck it to me", very Patty Diphusa, au film-dans-le-film décalqué de Femmes au bord de la crise de nerf, en passant par l'écrivain dont le nom de plume devient un double schizophrènique comme dans La fleur de mon secret... et j'en ai sûrement manqué)...

Etreintes brisées est riche, très riche, heureusement pas au point que l'on en égare les émotions - s'il ne fallait garder qu'un seul moment, ce serait celui de Mateo caressant l'écran de télévision sur lequel passent les images du dernier baiser qu'il échangea avec Lena juste avant l'accident. J'adore également l'idée du film comme une empreinte de l'être aimé. Un mausolée d'images (é)mouvantes qui peut être saccagé par l'amertume d'un Martel cocufié et quitté qui n'en retiendra que ce qui peut abîmer l'aura de Lena, transformant la comédie pétillante en bout-à-bout affligeant de prises ratées. Une seconde dépouille, immortelle celle-ci, qui sera finalement exhumée et restaurée scène à scène par les doigts toujours amoureux de Mateo.

En filigrane derrière ces silhouettes d'hommes au final assez falots (le producteur impuissant se vengeant sur le celluloïd, son fils homosexuel haineux, le réalisateur incapable de protéger son actrice et amputé par la cécité) et le personnage maladroit de Judit (jamais très bien défini entre ressentiment et culpabilité), il y a Lena. Sidérante d'envie d'aller plus loin que la simple survie - qui lui recommanderait de rester bien sage dans ses tailleurs Chanel aux côtés de l'homme vieillissant qui l'a tirée d'une situation sordide- en accédant à son rêve de devenir actrice, et jamais aussi actrice que lorsqu'elle retourne le dispositif que Martel a inventé pour la suivre afin de mettre en scène la rupture. Lena qui se vend pour éviter à Mateo la corruption artistique et qui met sa vie en danger pour connaître un peu de bonheur. Ça se confirme, Penélope Cruz devient de film en film une actrice d'envergure, et chez Almodóvar plus que chez tout autre réalisateur la caméra se régale à enregistrer chacun des frémissements qui l'animent.