dimanche 20 juillet 2008

Rocco et ses frères - Luchino Visconti, 1960

Gare de Milan. La signora Parondi descend du train avec quatre de ses fils (Simone, Rocco, Ciro et Luca) et se rend chez le cinquième, l'aîné, Vincenzo. Elle a quitté le Sud misérable de l'Italie après la mort de son mari pour refaire sa vie au Nord, espérant une meilleure vie pour ses fils. Pour un temps seulement ses rêves semblent être en voie de se réaliser...



Que ce film est dense! Il faut un bon moment pour absorber tout ce qu'il nous donne.

Vincenzo est le romantique, Simone la brute primitive, Ciro le droit, Luca l'innocent - Rocco (Alain Delon) semble être à la fois l'antithèse de Simone et un mélange des trois autres frères. Une figure totalement sacrificielle et inféodée à sa mère (elle-même figure du sacrifice et de la souffrance), totalement christique donc. Hystériquement christique si on ose dire, tant les débordements émotionnels, les délires meurtriers, les renoncements amoureux sont emportés, criés dans l'exagération méridionale, si bien que jamais les paroles d'apaisement n'ont la moindre chance de porter - pour ainsi dire étouffées dans ce brouhaha paroxystique. À se demander, presque, si l'apaisement est le but que poursuit Rocco chaque fois qu'il tente de sauver Simone de lui-même, et si l'apaisement peut vraiment être trouvé au bout de tant d'humiliations.


Car la tragédie qui se déroule est celle d'un peuple - celui de l'Italie du Sud - humilié par ses riches voisins, forcé de quémander des miettes pour survivre, celle d'une famille humiliée d'aspirer si fort à s'extraire de sa misère et d'être pour cela traitée comme des moins que rien (on le voit dès le début dans la réception que lui fait la famille de la fiancée de Vincenzo, et dans les sifflets qui accompagnent les combats de boxe de Simone).


C'est encore l'humiliation (funeste) de Simone devant Rocco, qui d'abord semble un peu simplet mais se révèle être le plus fort, le plus vertueux, qui bientôt gagne l'amour de Nadia (Annie Girardot la campe magnifiquement en figure insolente dans son malheur) une fille légère qui a eu le culot d'éconduire Simone. Rocco qui devient à son tour boxeur, incroyablement populaire lui, et qui atteint un niveau auquel jamais son aîné n'a pu prétendre. Rocco dont la perfection et le succès en tout ne font qu'enfoncer davantage son frère si peu capable, déjà, de résister aux tentations de ce pays d'abondance et de corruption. Et l'incapacité de Rocco à voir le mal qui ronge le cœur de Simone agit comme un acide sur ce dernier, tout comme d'ailleurs l'amour irraisonné de sa mère - la confiance et les espérances de nos proches sont si lourdes à porter lorsqu'on se sent uniquement capables de les décevoir...




En définitive les sacrifices auront été inutiles: une fois les vies saccagées, la famille brisée et l'intégration compromise, il ne restera qu'à attendre de pouvoir revenir un jour à la terre natale, là-bas dans le Sud.

mardi 8 juillet 2008

Une ville d'amour et d'espoir - Nagisa Oshima, 1959

Masao, un jeune collégien, vit dans une misérable cabane avec sa mère malade et sa petite sœur handicapée mentale. Pour tenter de subvenir à leurs besoins, il vend encore et encore les mêmes pigeons, qui s'échappent chaque fois de chez leurs propriétaires pour revenir chez lui. Son attitude digne et sa volonté de s'en sortir lui valent la sympathie de Mademoiselle Akiyama, une de ses enseignantes, qui tente de lui venir en aide, et de Kyoko, une jeune fille à qui il a vendu un pigeon.


Voilà un drame social des plus étonnants. Il y a bien sûr ces cadrages insolites, ras des chevilles ou par-delà les toits et les cheminées d'usines, les mouvements de caméra qui soulignent la misère, économique et humaine (le grand panoramique sur le bidonville qui semble défiler derrière les personnages qui marchent), le pigeon qui revient à son maître aussi souvent que le besoin d'argent.
Sous des apparences policées (le jeune Masao niant en permanence ses propres, et très réelles, difficultés) et tout en tournant le dos à tout sentimentalisme débordant (bon, il est vrai que, tourné au Japon, un film comme Le voleur de bicyclette aurait été très différent, je vous l'accorde), la critique est féroce. Kyoko est une jeune bourgeoise qui s'entiche de Masao comme d'un chien perdu et qui, le jeune homme s'épuisant à maintenir les apparences, s'émerveille de ce que sa pauvreté n'ait pas l'air si sordide que cela. Pour assouvir ce caprice au parfum de bonne action, elle cherche à obtenir auprès de son père un travail pour le jeune homme mais ne supportera pas la déception en découvrant le petit commerce de son protégé - et fera tuer le dernier des pigeons. La mère de Masao, quant à elle, enferme sans s'en apercevoir son fils dans une logique de petits larcins et de vie marginale, tout en prétendant souhaiter qu'il s'extraie de sa condition. Elle finira d'ailleurs par lui reprocher le trafic de pigeons, pourtant son idée à elle.


Il reviendra à Mademoiselle Akiyama de défendre le point de vue le plus pragmatique. Elle a cherché à aider Masao à obtenir un emploi alors qu'elle aurait préféré le voir entrer au lycée, car elle savait que le besoin le plus immédiat de l'adolescent était de pouvoir gagner de l'argent pour soutenir sa famille. De même, elle repousse fermement les déclarations du frère de Kyoko, qui la courtise, lorsqu'elle apprend que le trafic de pigeons, cette malhonnêteté pathétique née de la nécessité extrême, a fait mauvaise impression lors de l'examen de la candidature de Masao et lui a coûté le poste. Le jugement sans appel de son soupirant les sépare, s'il est incapable de comprendre que l'honnêteté est un luxe pour gens aisés il ne comprendra jamais que la plupart des gens se débattent avec des petits compromis, et trichent pour survivre.