mardi 27 mai 2008

Contente pour Cantet!

J'ai regardé dimanche soir la remise de la palme d'or avec un sourire énorme en-travers du visage. On ne peut pas dire que ce soit le cas toutes les années!


Seulement là, je m'incline M. Sean Penn, vous avez tenu votre promesse de récompenser un film qui soit ancré dans le réel, de surcroît réalisé par un gars qui aura déployé, en quatre films, une remarquable cohérence à dépeindre la cruauté des relations (plus ou moins) humaines et l'asservissement qu'elles génèrent aujourd'hui: relations professionnelles, amoureuses, familiales... Et la notion, présente partout dans son travail, de "rôle" que chacun et tout le monde joue vis-à-vis de soi et des autres, plus ou moins volontairement, plus ou moins par nécessité de se conformer pour ne pas être laminé ou marginalisé, plus ou moins conscient de ne monter que parce que d'autres chutent (et plus ou moins responsable de cette chute).
Cela se voit dans Ressources humaines (la brutalité inouïe du monde de l'entreprise qui contraint un fils à se faire une place en "tuant le père" par voie de licenciement), plus encore dans L'emploi du temps. Mon favori, celui par lequel j'ai découvert et Laurent Cantet, et l'époustouflant Aurélien Recoing et son visage qui se décompose de l'intérieur à mesure que sa réussite de façade s'émiette à cause même de ses efforts pour la sauver... Le coup de génie de Cantet pour ce film aura été de transformer le matériau originel (la sinistre affaire Jean-Claude Romand) en une réflexion extrêmement intelligente sur la détresse, l'angoisse qui peut envahir quelqu'un qui échoue à se conformer aux modèles sociaux en vigueur, et sur les comportements pathologiques destructeurs qui peuvent découler de ces sentiments. Du coup, Vers le Sud m'a paru peut-être un brin simpliste en comparaison, avec ses bourgeoises Américaines venues gorger leur vacuité de soleil et de jolis garçons avides de s'extraire de la misère d'Haïti.

Tout cela pour dire que j'attends Entre les murs de pied ferme! Tout cela pour dire aussi que ça fait du bien, par les temps cyniques qui courent où l'expression "remise en perspective" semble être devenue de la dernière obscénité, de voir considéré un regard sur le monde comme il en existe (subsiste?) peu, un propos critique et argumenté avec les moyens propres au (bon, très bon) cinéma: Tavernier, Loach, Kerrigan, Cantet... et qui d'autre?

dimanche 18 mai 2008

Une semaine de vacances - Bertrand Tavernier, 1980



Une semaine dans la vie, dans la tête de Laurence (Nathalie Baye). Une jeune prof de collège à Lyon, en 1980. Trente et un ans, un petit ami, Pierre (Gérard Lanvin), des parents qui vieillissent doucement dans un petit village des environs, une copine un peu délurée. La vie d'une personne socialement intégrée, sans histoire. Quoique... Il y a cette très vieille dame dont elle observe l'immobilité depuis sa fenêtre sans jamais aller la voir. Il y a cette crise de panique qui la saisit avant d'aller travailler et qui lui vaut un arrêt de travail, une semaine pour reprendre son souffle, reprendre pied, reprendre contact avec les autres.

Le temps de se poser des questions qui ne sont pas nouvelles mais que dans la galopade des jours elle ne parvient pas à résoudre. Pourquoi cette impression de n'être pas à la hauteur de sa tâche, quand elle donne le meilleur d'elle-même à ses élèves, et que, de son propre aveu, elle ne peut pas se passer d'eux? Pourquoi repousse-t-elle Pierre, qui sans être le garçon le plus subtil de la Terre l'aime sincèrement et rêve d'avoir un enfant avec elle?
Il semble y avoir en Laurence un bout d'enfance pas finie qui barre la porte, l'empêche de s'impliquer ailleurs que dans son métier, la retient de participer totalement à la vie des autres. Peut-être aussi le sentiment diffus de son inadéquation, d'une imposture, puisque ce n'est pas la vie qu'elle avait choisi au départ. Alors elle joue avec ses doutes et l'idée de tout plaquer, juste pour voir si ça lui manquerait et si elle manquerait à quelqu'un, pour éprouver le vertige au seuil d'un geste aussi radical que puéril..... puisqu'au fond d'elle elle le sait, elle ne partira pas.Je ne m'attendais pas à prendre autant de plaisir à ce film de Tavernier, en premier lieu parce que je ne pensais pas que lui, le réalisateur engagé avide de s'inscrire dans l'Histoire, il pourrait réussir un aussi joli portrait de femme, une si délicate miniature enclosant un bout d'une vie particulière, à un moment particulier. Et pourtant si, on s'attache à cette jeune femme qui fait de son mieux et qui a peur que ça ne soit pas assez, on l'accompagne d'un épisode à l'autre: l'élève qui se croit idiote, le veuf en mal d'affection, l'amant pédant de la copine, le père malade... On ne saura pas, à la fin, ce qui sera advenu de Laurence, revenue requinquée de son congé, mais on aura goûté la rencontre.



dimanche 11 mai 2008

La secrétaire - Steven Shainberg, 2002



Lee Holloway est une petite chose un peu bancale et voûtée, qu'un rien blesse, elle sort sur la pointe des pieds de l'institution (psychiatrique?) qui l'a accueillie, guettant du coin de l'œil tout mauvais coup supplémentaire que pourrait lui faire le monde extérieur. Ça ne rate pas, le jour même ou quasi surgit un nano-évènement qui la heurte, au milieu de la débauche de tulle rose du mariage de sa sœur. Alors elle se rue, les yeux fermés ou presque car ces gestes elle les a faits si souvent auparavant, sur une petite trousse à tortures, ça y est on a compris ou on croit comprendre où va le film, mademoiselle s'auto-mutile, on va encore avoir droit au refrain de l'inadaptation sur fond de petite ville américaine, merci tonton Tim Burton...

Et en fait non, car Lee se ravise. Elle est plus intelligente que cela et ça tombe bien (pour nous, tant qu'à faire), car le film aussi.
Elle, la fille marginale par conviction intérieure plus que par condition sociale, décide de trouver sa place dans le monde, coûte que coûte. Pour faire mine d'être normale, il faut un boulot? Très bien, elle répond au culot à une annonce publiée par un avocat, le très maniaque et contenu E. Edward Grey, qui recherche une secrétaire. Trouvant au passage dans les regards en coin de celui-ci un reflet de ce qu'elle-même ressent, l'espoir d'une complicité qui la pousse à s'imposer pour obtenir le poste. L'espoir de se rendre utile, non, indispensable à quelqu'un, peut-être?

Il faut un fiancé, un mari? Elle se laisse courtiser sans grande conviction par un copain d'enfance, gentil nerd plein de tendresse. Elle se rend vite compte cependant que la juxtaposition de deux bizarreries sans lien de parenté ne font pas un couple pour autant, et qu'elle trouve sans effort chez son étrange patron une compréhension bien plus grande que tout ce qu'elle aurait pu imaginer trouver.

Je vous entends quasiment penser, lisant ces lignes: "Ah ben voyons, c'est tellement plus original en effet, de tomber amoureux de son supérieur hiérarchique! Et tu nous dérange pour si peu?". Ce n'est pas si peu, précisément, car la lente et clopinante approche de l'un par l'autre, faite de rebuffades d'un côté et de l'autre d'une acceptation en toute connaissance de cause, est passionnante, car follement juste, et traitée sans aucune mièvrerie. La beauté inconfortable de Maggie Gyllenhaal fait merveille, nous la voyons passer de la terreur de souffrir par autrui à la révélation de sa volonté au travers de la volonté d'un autre, nous la voyons embrasser la possibilité de s'épanouir comme une femme à part entière, et d'une façon qui n'appartiendrait qu'à elle - et à l'homme qu'elle a choisi. James Spader, que nous avions vu dans un rôle très similaire à celui-ci (et à celui de Lee!) dans Sexe, mensonges et vidéo, est très bon aussi en ce qu'il répond idéalement à la candeur triste de Lee au début du film, et qu'il s'oppose parfaitement, pris comme il l'est dans un carcan d'obsessions, à l'ardeur qu'elle finit par lui manifester. La mise en scène de ce conte de fées ironique a le mérite immense d'être tendre à ses personnages et de ne jamais trahir ni la cohérence de ceux-ci, ni nos attentes.

mercredi 7 mai 2008

Liste oh ma liste!

J'ai bien ri hier en lisant cet article de Jacques Morice sur le site de Télérama... c'est tellement vrai! Je connais des pelletées de gens qui, se piquant de cinéphilie ou en tout cas de culture, n'ont de cesse que d'ordonner, catégoriser et quantifier ce que leur inspirent films et auteurs, de préférence en affichant bien haut leur dévotion à Machin ou Truc, sans qui "il n'est pas de cinéma" (sur l'air du "on ne peut pas ne pas avoir vu/aimé Tel Film!" - je raffole de ce genre de sentences définitives).

Ceci dit, je distingue deux choses différentes: la liste, et le top. Je peux à la rigueur établir la première, sécrétée par l'air du temps et donc changeante, en fonction du point de vue du moment et donc par essence partielle et partiale. Mais hiérarchiser, établir un classement, là non. Je veux bien admettre que des cinéastes ou des films ont exercé sur moi des influences différentes, je peux essayer tout au plus de mettre ces impressions en mots - c'est ce que je tente de faire ici, sans nulle prétention à l'analyse artistique ou technique. Ce que je ne peux pas faire, c'est attribuer un rang: ce serait comme de me demander d'établir un hit-parade définitif des couleurs que j'aime porter!

Je me réserve donc le droit de changer d'avis, de voir d'autres choses que ce que tout le monde se sent obligé de voir (parce qu'il "faut" l'avoir vu si on s'intéresse au cinéma, il paraît), de ne pas aimer certains "monuments", même.

Pour conclure à la manière de l'article qui a inspiré ce billet:

Cinq monstres sacrés qui m’intéressent peu :
– Yasujiro Ozu
– Jean-Luc Godard
– Roman Polanski
– Quentin Tarantino
– Martin Scorsese

Cinq autres monstres sacrés que j’apprécie avec l’âge :
En fait, à peu près tous les autres: l'œil devient plus agile à force de voir des films, il saisit plus facilement ce que l'auteur a mis dedans. Enfin, en général.

Cinq lacunes inavouables, toujours pas comblées :

La plupart des comédies musicales de l'âge d'or hollywoodien, comme Chantons sous la pluie, Un américain à Paris....
– Rocco et ses frères, Le guépard de Visconti
Les diaboliques de Clouzot
Les films de Claude Lelouch
– Family life de Ken Loach

Cinq films qui m’ont marquée enfant :
Ladyhawke de Richard Donner
– Grease de Randal Kleiser
– Angélique, marquise des anges de Bernard Borderie
– L'été meurtrier de Jean Becker
– Phantom of the Paradise de Brian De Palma (bon, je n'étais plus tout à fait une gamine...)

Cinq cinémanies :
– les James Bond
– les films avec une BO signée Michael Nyman
– les films de Claire Denis
– les films avec des folles tordues, des trans, des travelos...
– le film noir