dimanche 26 juillet 2009

Le rebelle (The fountainhead) - King Vidor, 1949




Howard Roark (Gary Cooper) est un architecte aussi non-conformiste que passionné, et par-dessus tout un homme à l'indépendance d'esprit forcenée. Son incapacité à faire le moindre compromis le met en porte-à-faux avec l'ensemble de la société, lui donnant tour à tour les moyens de satisfaire ses ambitions et l'envie de se détourner de ce qui s'offre à lui avec une facilité suspecte - qu'il s'agisse d'une gloriole au petit pied ou de la fiévreuse Dominique Francon (Patricia Neal).



Les hauts et les bas de sa carrière lui font croiser à plusieurs reprises le chemin du magnat de la presse Gail Wynand (Raymond Massey), qui malgré les apparences s'avère être le double de Roark en matière d'intégrité de la même manière que Dominique est sa jumelle pour ce qui est de la radicalité (volontiers destructrice, voire mortifère) de son idéalisme. Quoi d'étonnant à ce que ces trois-là forment au gré de l'histoire un improbable triangle amoureux, où l'émulation intellectuelle le dispute à la jalousie et au désir, dans toutes les combinaisons possibles?




À l'arrière-plan, dans les coulisses de l'histoire pourrait-on dire, s'agite et intrigue Ellsworth Monkton Toohey, mondain manipulateur des masses (et des âmes, et des volontés, ainsi que le suggère la mise en scène qui le dépeint tour à tour comme Méphistophélès proposant un pacte diabolique, ou comme un dictateur haranguant la foule subjuguée), intriguant de profession qui a juré la perte de Roark. Clairement son approche de l'ambition (le pouvoir pour le pouvoir, par tous moyens à sa portée et selon toute direction prise par son caprice, pour la jouissance brute de plier autrui sous son influence) est diamétralement opposée à celle d'Howard Roark qui ne vise que l'accomplissement de sa vision, pure et sans altération, et que Toohey stigmatise comme le comble de l'égocentrisme alors qu'il n'est que fidèle à lui-même.






Dans les scènes où King Vidor montre la manière dont Roark est progressivement marginalisé et couvert d'opprobre, par la manière même dont ces scènes sont filmées et montées, il apparaît clairement que pour le réalisateur la véritable barbarie se situe non du côté de l'homme isolé qui tente de faire entendre sa voix, mais plutôt du côté de la multitude qui le somme de s'abandonner au conformisme, et le conspue devant son refus.

Ceci dit Vidor ne tresse pas de couronne à son personnage, dont il dresse le portrait en exalté perpétuellement au bord de l'auto-destruction. Il se contente de théâtraliser, à coup d'ombres rasantes et de perspectives graphiques, un dilemme vieux comme le monde, celui de la quête d'épanouissement individuel contre le souci du bien-être de la communauté. Il nous glisse au passage que ce n'est pas nécessairement en sacrifiant le premier que l'on assure le second, bien au contraire....


dimanche 19 juillet 2009

Le deuil de l'insouciance: Été violent, de Valerio Zurlini (1959)



Les alentours de Rimini, Italie, 1943. La guerre n'est pas encore tout à fait perdue et ses derniers soubresauts parviennent à peine à troubler les fêtes perpétuelles d'une bande de jeunes gens de la bonne société. Un des membres de ce groupe, Carlo (Jean-Louis Trintignant), fils dilettante d'un homme qui a eu le tort de s'acoquiner avec les fascistes, rencontre Roberta (Eleonora Rossi-Drago), héritière d'une famille prestigieuse et veuve depuis peu. Ils tombent amoureux...

Des moments de grâce pure dans un univers qui sombre: voici l'histoire.
Eleonora est une survivante d'un monde moribond qu'incarne sa mère, aristocrate momifiée dans ses valeurs désuètes. La jeune veuve est, à 30 ans à peine, condamnée à triple titre à une respectabilité mortifère: parce qu'elle descend d'une lignée noble, parce que son mari est mort en héros, parce qu'elle est mère, il lui est interdit de vivre selon son cœur. Carlo n'est rien et ne veut rien être, que ce soit par référence à un père adoré et conspué à la fois, par rapport à la société (de stratagème en intercessions il esquive la conscription), ou en général. Elle représente une classe sociale qui n'est plus grand-chose, il est le produit d'un arrivisme qui va disparaître pour avoir fait les mauvais choix. Tous deux sont voués à la disparition en tant qu'individus, leur histoire est pareillement vouée à l'échec - et c'est peut-être pour cela qu'elle leur paraît irrésistible (magnétique scène d'approche, dans une chorégraphie sensuelle et nocturne sur l'air de "Temptation"), alors que le monde qu'ils ont connu se désagrège autour d'eux.


Il est significatif que deux raids aériens marquent les bornes de leur relation, exacerbant l'impression que la fin est proche et que chacun est la planche de salut de l'autre (pour Roberta contre sa transformation en vestale bourgeoise, pour Carlo contre sa propre indécision).
La fuite en avant est d'autant plus tentante et d'autant plus interdite. Mais tandis que la jeune femme se laisse submerger par la passion et brave de plus en plus radicalement les interdits liés à sa condition (auxquels elle s'était d'abord cramponnée), son amant, si enflammé au début, semble se laisser couler de plus en plus profondément dans la passivité.

L'Histoire qui est passée par là a révélé les caractères et a montré que l'instinct de vie n'était pas également partagé. On peut même se demander si, sans ce contexte, l'amour de Carlo et Roberta aurait eu lieu. La délicatesse de la mise en scène de Zurlini, le désenchantement léger et tendre avec lequel il filme ses personnages et leurs masques de sourires, permettent de se poser la question et d'y répondre à sa guise.

samedi 18 juillet 2009

The reader - Stephen Daldry, 2008


Parfois, il n'est pas possible de comprendre quelqu'un, même quelqu'un dont on a été très proche. C'est à cette conclusion que parvient (et nous fait parvenir) The reader, film sensible et suffisamment inattendu, dans son refus de plaquer une morale ou une explication, pour valoir d'être vu.

Michael (David Kross) a été l'amant d'Hanna (Kate Winslet) dans l'Allemagne de la fin des années 50. Il avait 15 ans et elle 20 de plus, elle aimait qu'il lui lise des livres entiers, avant ou après l'amour. En-dehors de cela il ne savait pas grand-chose d'elle, aussi fut-il pris de court par son départ brutal. Quelques années plus tard, muri d'avoir eu cette souffrance d'avance sur les jeunes de son âge, il la retrouve assise au banc des accusés et découvre que son amante avait été gardienne en camp de concentration. Le Michael devenu adulte (Ralph Fiennes) devra tenter de vivre avec les traces laissées sur sa vie par cette relation, et par les silences d'Hanna.

Je me dis que sans doute la raison pour laquelle il est question de la Shoah dans ce film (s'il faut qu'il y ait une raison), c'est que cet épisode atroce de l'Histoire est à l'heure actuelle la source de la plus complète incompréhension. Comment appréhender, comment rationaliser ce que certains êtres humains ont infligé à d'autres? Et si parmi les bourreaux se trouvait quelqu'un qu'on a aimé et qui nous a marqué à jamais? Comment vivre avec ce hiatus majeur entre les images de tendresse et l'idée de l'horreur? Hanna, tout occupée à ne jamais laisser filtrer son secret, sa honte (elle est analphabète), s'avilit jusqu'au point où elle n'a d'autre choix que d'aller au bout de sa logique frustre et de participer au massacre. Jamais elle ne cherchera à s'en excuser, et jamais le film ne lui proposera de rédemption - parce qu'elle n'est pas accessible pour cette étendue de crime. Michael accompagne à distance Hanna emprisonnée en lui envoyant des enregistrements de ses lectures, ressuscitant ainsi le souvenir de la femme qu'il a connue (la seule version d'Hanna qu'il ait l'illusion de comprendre).

Il se passe ici quelque chose, non simplement entre les acteurs mais entre les personnages (puisque Michael est incarné par deux acteurs différents, pour des époques différentes de sa vie) qui donne à sentir l'humiliation et la douleur, l'incapacité à pardonner ou à oublier, la futilité même de tout jugement moral. J'ignore si le film ressemble au livre sur ce point, je vais tâcher de me faire une idée dès que possible.

Kate Winslet est incroyable mais bon, que pouvais-je vous dire d'autre?