samedi 29 août 2009

Un prophète - Jacques Audiard, 2009

Coupable d'avoir attaqué un policier à l'arme blanche, Malik El Djebena (le total inconnu Tahar Rahim, qui fait un boulot superbe de densité) atterrit dans une prison où règne le parrain Corse César Luciani (Niels Arestrup, qui s'est fait une tronche de Brando chicos-destroy, période Dernier tango à Paris). Immédiatement il est confronté à la puissance des réseaux de celui-ci et n'a d'autre choix, pour survivre, que de commettre un meurtre. Devenu un Corse (donc un traître) pour les Arabes de la prison, toujours vu comme un Arabe (donc un larbin un peu demeuré) par les Corses, il va louvoyer entre les "commissions" mortelles confiées par Luciani et les règlements de comptes pour sauver sa peau....



Je vais couper net aux polémiques débiles que je n'ai pu m'empêcher de voir fleurir un peu partout (j'ai beau tenter de ne rien lire ni entendre sur un film avant d'aller le voir de mes zyeux, parfois seule une retraite au monastère d'Amorgos serait susceptible de me préserver de tous spoilers).
Non, Madame Fadela Amara, ce film n'a rien à voir avec Scarface de De Palma. Le personnage principal n'est pas assoiffé de réussite matérielle, il est pris dans l'étau des luttes de clan et n'a d'autre choix que de composer avec son environnement pour tirer son épingle du jeu. L'argent facile n'est pas glorifié, la violence n'est pas esthétisée à mort, chaque "commission" le confronte à des dangers dont il ignore les contours et se solde non par une rétribution en tant que telle mais par la perspective de nouveaux crimes. En bref, ce n'est pas assez bling-bling pour donner des idées d'orientation à la caillera de banlieue.

Et puis non (là je m'adresse à d'autres), la fin n'est pas un
happy end. Tout ce à quoi Malik a dû se plier n'est pas absous, ou alors il faut vraiment avoir envie d'interpréter de travers ce dernier plan où on le voit s'éloigner de la prison une fois sa peine purgée, accompagné de la veuve et du fils de son ami.... suivi de près d'un cortège de puissantes voitures noires (telles des nuages d'orage amassés à l'horizon), nouveau symbole de son pouvoir. Ce n'est pas là l'image d'un bonheur familial recomposé mais bien la continuité de la menace qui pèse sur sa vie et devant laquelle il ne semble y avoir d'autre solution que la fuite en avant vers toujours plus de crimes. Il n'y a là pas plus de parti-pris moralisateur que de point de vue réaliste (à mon sens en tout cas, mais je ne prétends pas être une experte de l'univers carcéral français.... pas davantage que Mme Dati en tout cas), juste une profonde cohérence de l'histoire et du traitement du personnage. Un peu comme à la fin de De battre mon cœur s'est arrêté, en somme, où Romain Duris était passé à un autre chapitre de sa vie sans pour autant avoir annihilé ses démons.

Sans vouloir faire de la psychanalyse pour magazines féminins il est clair que Malik, enfant des foyers, ne dispose d'aucun repère (aucun savoir, aucun appui) pour faire résistance au milieu dans lequel il est plongé, et qu'il est donc nécessairement condamné à l'adaptation, voire à la super-adaptation (puisqu'il parvient finalement à dépasser son protecteur, César). À ce propos je regrette que tant de temps ait été consacré, dans ce film déjà trop long (2h30) à dépeindre l'enchaînement des sorties de Malik (période décrite un peu facilement dans la presse comme son "ascension au pouvoir") au détriment de la destitution effective du vieux Corse, moment d'extrême ambivalence où l'on croit qu'un vague sentiment filial (ou tout au moins de la gratitude) pourrait intercéder en sa faveur et puis non, pas du tout, il ne s'agissait que de franchir un obstacle et le voilà franchi. Le moment est là, très fort, mais dure bien peu en regard du reste.

Dans l'ensemble la mise en scène d'Audiard se débrouille formidablement des contraintes du filmage dans une prison "en dur" (par opposition avec des décors mobiles) et joue de la claustrophobie de rigueur. Les, hum, plages musicales ne sont pas très heureuses à mon avis, elles "glamourisent" ce qui n'a aucun besoin de l'être et jurent terriblement avec l'esthétique générale du film (et m'agacent prodigieusement, voilà je l'ai dit).
Les instants oniriques (le fantôme de l'homme que Malik a assassiné, les daims fuyant dans la lumière des phares) sont davantage là pour nous dépeindre de manière impressionniste l'univers mental et émotionnel de Malik que pour apporter une touche de surnaturel (qui n'aurait pas grand rapport avec la manière dont l'histoire est racontée, de toute façon).

L'idée du fantôme de compagnie me plaît particulièrement en ce qu'elle montre que le meurtre n'a pas été "neutre" pour le jeune homme, ce n'était pas une corvée de plus, et qu'il s'est senti plus proche de cet homme, en cinq minutes, que de n'importe qui d'autre - au point de le réinventer en ami invisible. Ici aussi on voit le travail tout en cohérence sur le scénario: Malik a besoin de cet artifice d'imagination pour survivre.