mercredi 31 décembre 2008

Le violent (In a lonely place) - Nicholas Ray, 1950



Dixon Steele (Bogart) est un scénariste qui a connu son heure de gloire avant-guerre, et qui peine maintenant à rédiger ne serait-ce que le traitement de livres ineptes. Ses démons familiers (l'alcool un peu, la violence beaucoup) ont plombé sa carrière et ses amours.
Le meurtre d'une jeune fille, pour lequel Dixon est le principal suspect, lui fait rencontrer sa belle voisine Laurel Gray (Gloria Grahame) dont le témoignage l'innocente... mais le doute et la suspicion sont à l'œuvre.




La séquence d'ouverture (Bogart mâchoire crispée dans le rétroviseur, filant dans la nuit) est celle d'un film noir, et par bien des côtés Le violent en a les atours: personnages ambigus, enquête policière, femme somptueuse, ambiances nocturnes. Le moins que l'on puisse dire, pourtant, c'est que la résolution de l'énigme (qui a tué la fille du vestiaire, vue vivante pour la dernière fois avec Steele?) n'a pour Nicholas Ray que l'épaisseur d'un dispositif scénaristique destiné à rapprocher, puis à éloigner, son couple-vedette. Au contraire de l'histoire originale qui jouait l'ambiguïté pour ménager la révélation finale de l'identité du meurtrier, le film se concentre sur les ravages opérés par le manque de confiance et de communication sur les personnages, et la dissolution d'un couple (ou plutôt d'un rêve de couple) par-delà.


Car Dixon Steele et Laurel Gray ont ceci en commun d'être victimes de leurs pulsions respectives (le premier se jette à la gorge de qui le provoque, la seconde, actrice jamais vraiment "arrivée", semble s'accrocher maladivement à quiconque est susceptible de la mettre un peu plus dans la lumière d'Hollywood) et parce qu'ils échouent à les raisonner, à prendre des décisions qui leur fassent du bien, ils sont condamnés à faire périodiquement table rase et à tout recommencer de zéro. Aussi leur rencontre, dans le commissariat où Laurel innocente Dixon par son témoignage, ressemble-t-elle fort pour chacun d'eux à la dernière chance d'être compris et accepté pleinement par un autre, d'être sauvé de soi-même...


L'euphorie d'avoir trouvé le significant other nous est dépeinte comme une tranquille fusion des deux quotidiens en un seul, gouvernée par une complicité tacite, une tendresse mise en actes mais pas en paroles. Mutisme bienheureux (on sait que l'on s'aime, nul besoin de le dire) qui causera leur perte, car tout comme Dixon est incapable de s'excuser après une explosion de rage il ne sait pas énoncer simplement ses sentiments pour Laurel ni (au risque de s'incriminer à force de plaisanteries douteuses!) dissiper les ombres qui l'enserrent (tout comme l'enferment les innombrables grilles et barreaux de son appartement). De son côté Laurel ne saura pas davantage faire part de ses interrogations et, trop à l'écoute d'une fielleuse (sa masseuse) et d'une peureuse (l'épouse de l'inspecteur de police) et pas assez confiante en Dixon, elle précipitera la destruction de leur amour en accumulant les mensonges.


On ne peut pas totalement occulter le parallèle entre le naufrage dépeint par le film et la déroute, contemporaine de son tournage, du couple formé à la ville par Nicholas Ray et Gloria Grahame. La lourde tristesse de Bogart, l'amertume et la lassitude des deux anciens amants se séparant, trahis dans leur foi après y avoir cru si fort, tout ceci semble être le fruit d'observations désenchantées, transformées sur l'écran en éloge funèbre plein d'ironie.

mercredi 17 décembre 2008

2008: deux ou trois choses que je retiens d'elle....

Retour sur les (re-) découvertes de l'année écoulée, de toutes les couleurs et de toutes les formes.

La madeleine de Proust: mon homme trouve très spirituel de m'offrir le coffret des DVD d'Angélique, marquise des Anges. Qu'à cela ne tienne, je les lui fait découvrir. Depuis, il comprend mieux pourquoi j'adore, au premier degré comme au second ("C'est pas possible, Jean Rochefort!!?"; "Le jeu de Michèle Mercier, c'est quelque chose!").

J'aimerais tout de même bien comprendre: Lust, caution (trop glacial pour être le moins du monde excitant, sauf à trouver sexy les gestapistes). Sex and the city, le film (non décidément, je ne peux pas comprendre les affres des fashion-victims). Les vacances de Monsieur Hulot (sans doute pas mon type de comique).

Le grand prix du chef-d'œuvre qui se regarde le nombril (au point de finir par se casser la margoulette): There will be blood, et son grand duel de cabotinage final.

Le film que quand tu rentres dedans, tu n'en sors plus: les films des frères Coen ne marchent pas à tous les coups sur moi. No country for old men fait abbbbbbsolument partie de ceux qui fonctionnent, et très bien avec ça. Comme quoi, il n'est pas besoin de pondre un "Citizen Kane reloaded" pour faire un excellent film (hhmmm?).

Le prix spécial de la grande frousse: parfois les enfants ont peur au cinéma, et parfois ils font peur. Dans Sa majesté des mouches, c'est les deux. Battle royale peut aller se rhabiller, le cauchemar graphique de Peter Brook le relègue au rang de curiosité pittoresque.

L'adaptation à faire et l'adaptation à ne pas faire: deux romans de Niven Busch ont été portés à l'écran à quelques années d'écart, l'un par King Vidor (Duel au soleil, 1946) et l'autre par Anthony Mann (Les furies, 1950). Ce dernier est une tragédie familiale sanglante (remember the Atrides?) sculptée dans des paysages noirs et blancs, portée par les interprétations bouillantes de Barbara Stanwyck (la fille) et de Walter Huston (le père), qui a pour seul tort d'être accolée à une fin furieusement pas crédible.
Le film de Vidor, comment dire? Je ne suis pas d'accord, loin s'en faut, avec toutes les opinions exprimées par Michael Powell dans son autobiographie (les deux tomes, Une vie dans le cinéma et Million dollar movie, sont disponibles auprès de l' Institut Lumière), mais il faut reconnaître que lorsqu'il décrit son dégoût devant les contorsions grotesques de Jennifer Jones lors des (interminables) scènes finales, j'y retrouve mes propres impressions.

Le film que j'ai bien fait de revoir: Ninotchka de Lubitsch. Parce que j'étais loin d'en avoir fait le tour, et qu'une large part de sa fantaisie m'avait échappée.

Le film poignant sans un poil de sentimentalisme: Kes de Ken Loach. Vous ne pourrez pas retenir vos larmes, mais ce n'est pas parce que le film sera venu vous les traire des yeux (l'anti-Von Trier, donc...).

Le film que je ne comprends pas pourquoi il n'a pas été récompensé: Cannes, ce grand mystère. Comment est-il possible que Valse avec Bachir en soit reparti sans aucune récompense? On pourra gnagnater tout ce qu'on voudra sur la pertinence d'adjoindre des images d'archive à la fin de ce film bâti autour d'une introspection à la fois intime et historique, violemment politique et identitaire (je vois ces images comme une résurgence de la mémoire du narrateur / réalisateur), c'est un film majeur sur les notions de responsabilité et de culpabilité.

L'amour impossible qui réveille en moi la midinette de base: le plus beau des films de Sirk que j'aie vu à ce jour, La ronde de l'aube. Ou encore le magnifique Rocco et ses frères. On touche au mythique et au mystique.

Le moment magique: Lino Ventura confiant la garde de ses deux petits garçons à des personnes de confiance avant de partir en cavale, dans Classe tous risques de Sautet. Juste le dos de Lino regardant partir ses enfants, et les sanglots rentrés qu'on devine entre ces deux épaules (un seul parent aux yeux secs dans la salle?).
Ou encore Vittorio Gassman qui tombe le masque lorsqu'il se croit abandonné par Agostina Belli à la fin de Parfum de femme de Dino Risi (d'ailleurs décédé peu de temps avant que je découvre le film). Juste ce moment de doute insondable qui révèle l'amour derrière la fierté.

So long: Sydney Pollack (j'ai découvert l'écrivain Karen Blixen grâce à Out of Africa, et sa relation romancée avec Denys Finch Hatton m'a marquée à jamais), Robert Mulligan (j'avais à peu près l'âge de l'héroïne de Un été en Louisiane lorsque le film est sorti en salles). Heath Ledger, le cowboy tragique incapable de vivre son amour du Secret de Brokeback Mountain. Richard Widmark: Tommy Udo, Harry Fabian et Skip McCoy se sont fait la belle avec lui. Guillaume Depardieu, l'éternel apprenti.