jeudi 28 juin 2012

I'm gonna dance the dream and make the dream come true: Les chaussons rouges (Michael Powell & Emeric Pressburger, 1948)

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Boris Lermontov (Anton Walbrook) est un directeur de ballet aussi célèbre qu'il est exigeant, secret et froid. Seule la danse est capable de l'émouvoir, de faire passer en lui quelque chose qui ressemble à un souffle de vie, de passion - mystique plutôt que charnelle, car il vit comme un moine en sa foi. Le hasard met sur son chemin deux talentueux jeunes gens: Julian Craster (Marius Goring), aspirant-compositeur dont le travail a connu le succès à la suite d'un plagiat, et surtout Victoria Page (Moira Shearer), une danseuse passionnée. Désireux d'exploiter les ambitions qu'ils sent frémir chez eux, Lermontov leur donne leur chance: ils vont respectivement créer la partition et interpréter le rôle principal d'un nouveau ballet, basé sur le conte d'Hans Christian Andersen, Les souliers rouges. Dans ce conte, une jeune fille trop frivole convoite une paire de souliers de bal ensorcelés qui causeront sa perte: une fois qu'elle les a enfilés, ils ne peuvent s'arrêter de danser.

La première est un triomphe, Vicky devient une overnight sensation. Lermontov passe un marché avec la jeune fille: si elle se voue toute entière à la danse - et en passant, si elle se laisse guider aveuglément - il fera d'elle la plus grande des danseuses. Vicky accepte, trop heureuse d'être le centre de l'attention d'un aussi grand homme... négligeant un peu vite l'aversion de Lermontov pour toute forme d'engagement sentimental chez ses protégées. Pour lui, le véritable artiste ne saurait partager son âme entre son art et une affection terrestre, or Vicky a tôt fait de tomber amoureuse et, pire encore, elle ne tombe pas amoureuse de lui mais de Julian Craster. 



Les chaussons rouges n'est pas mon film préféré au rayon Powell & Pressburger. Peut-être est-ce mon indifférence totale au monde de la danse (à l'école j'étais sans doute la seule petite fille à ne pas la pratiquer), mais à tout prendre j'ai eu plus de problèmes avec Les contes d'Hoffmann, qui n'est que ballet. Peut-être simplement l'intrigue me touche-t-elle moins (et le traitement esthétique, éminemment baroque, me séduit-il moins) que dans d'autres de leurs œuvres comme Colonel Blimp, Je sais où je vais ou Le narcisse noir. Je n'ai pas, somme toute, pour ce film l'adoration que peuvent lui vouer Martin Scorsese ou Bertrand Tavernier, qui ont énormément fait pour que le travail de Michael Powell soit reconnu à sa juste valeur (voir les mémoires de ce dernier chez Actes Sud/Institut Lumière, et notamment le jugement incroyablement brutal et pour tout dire, bête à manger du foin, d'un certain... François Truffaut). Je dois tout de même admettre que je revois mon appréciation des Chaussons rouges à la hausse au fil du temps, à mesure que je perçois de nouvelles nuances dans son étourdissant tourbillon de sons et de couleurs.

Sur le sujet d'abord: quelle mise en abyme superbe! Le ballet commandé par Lermontov a pour thème Les souliers rouges d'Andersen et Vicky sera victime, comme l'héroïne du conte, de son désir de danser à tout prix (quelques plans suggèrent que, dans son désarroi, elle croit être sous l'emprise d'un sortilège). Lermontov pourrait être le double du cordonnier diabolique qui, dans le ballet noue à ses chevilles les chaussons funestes, puisque c'est lui qui sert de déclencheur aux évènements qui perdront Vicky. L'emprise de Lermontov sur Vicky est soulignée à de multiples reprises par des plans en champ-contrechamp où la jeune femme, mise de poupée de porcelaine et visage presque enfantin, semble entièrement sous le pouvoir des regards intenses, des mains rassurantes et de la présence physique pure de son mentor.

On peut remarquer d'ailleurs que Lermontov est introduit dans toute sa sulfureuse aura de mystère (des mains dépassant de la draperie de sa loge de théâtre, une rumeur qui court dans les travées), dans une scène d'ouverture dont je me demande si elle n'aurait pas un tout petit peu inspiré De Palma pour le Swan de son Phantom of the Paradise (le thème du plagiat et de la dépossession artistique étant également commun aux deux films). Car il y a une certaine parenté entre les deux personnages, un peu Faust, un peut Dorian Gray, un peu Pygmalion, une allure quasi vampiresque dans l'accoutrement précieux. Walbrook nous est ainsi montré arborant de somptueux vêtements d'intérieur exotiques faits de soie ou de velours, ou promenant (rarement, tant il privilégie l'obscurité qui le dissimule) sa pâleur extrême sous d'immenses lunettes noires, ce qui renforce l'aspect inquiétant, inhumain, du personnage. 
--> Détail pas si anecdotique: Lermontov également est le nom d'un poète russe dont l'œuvre la plus connue, Le démon, parle d'un esprit malin qui s'éprend d'une jeune fille et la détourne de son fiancé.


Autre possibilité troublante (je ne me souviens plus si Powell en traite dans ses mémoires, mais j'en doute), que Les chaussons rouges soit aussi une manière d'autocritique des intransigeances de Powell en tant que réalisateur, vis-à-vis des personnes qu'il a (professionnellement, émotionnellement) maltraitées? Je délire peut-être, mais il reconnaît lui-même n'avoir pas été très souple dans l'exercice de son métier, et dans les tourments infligés par Lermontov à la pauvre Vicky il me semble voir un peu de la dureté manifestée par le jeune Michael envers celle qu'il aimait, Deborah Kerr. Ou alors faut-il voir ce reflet en Craster, qui suit sa route en comptant que Vicky le suivra, lui imposant un cruel sacrifice?



La deuxième redécouverte du film, c'est Anton Walbrook: ciel, quel acteur! Il est prodigieux de classe et de versatilité, d'une manière peut-être encore plus frappante ici que dans Colonel Blimp (encore que, dans ce dernier, son monologue soit un bijou). Dans Les chaussons rouges il fait tout, il est tout: l'esthète glacial et reclus, le patron intransigeant, le protecteur envahissant aux rancunes d'amant trahi, le machiavélique manipulateur, l'homme blessé puis brisé. Son visage à la mobilité imperceptible est la seconde partition des Chaussons rouges, et pas la moins virtuose.

dimanche 24 juin 2012

A la Maison Blanche (The West Wing)


Une fois n'est pas coutume, je vais vous entretenir d'une série TV. Et juste comme d'hab', je vais vous parler d'une série que si ça se trouve vous connaissiez longtemps avant que j'en entende parler pour la première fois, illustration accablante de ma propension à suivre une orbite quelque peu fantasque. 



Car je viens de dévorer, ces derniers temps, les trois premières saisons (sur 7) de A la Maison Blanche - titre pour moi beaucoup moins facile à retenir que la V.O. The West Wing, qui a au moins le mérite de nous situer plus précisément et le lieu et le concept de la série: une immersion parmi les conseillers et le petit personnel peuplant l'aile Ouest de la Maison Blanche, leurs vies, les défis dérisoires ou monumentaux auxquels leur travail au service du Président des Etats-Unis les confronte au quotidien.

Ce qui frappe dès le premier abord dans cette série, ce sont ses dialogues, si brillants et si vifs qu'ils déroutent le spectateur accoutumé à une mise en situation plus progressive des personnages et des enjeux. Contrairement à la plupart des gens sans doute j'ai vu The social network, scénarisé par le même Aaron Sorkin, avant The West Wing, ce qui m'a permis de constater que le feu roulant de répliques très écrites, à l'humour parfois très pince-sans-rire, est décidément une signature chez lui.  Et si comme moi vous ne concevez pas de regarder un film ou une série anglophone autrement qu'en V.O., la rapidité démente des échanges, dès la première minute du pilote, associée à la plongée tête la première dans une situation pleinement développée mais dont on ignore tout (une quasi-constante dans ce que j'ai pu voir de la série) a de quoi désarçonner sévèrement. Imaginez que vous attrapiez La dame du vendredi en cours de route (en plein milieu d'une dispute entre Cary Grant et Rosalind Russell, tant qu'à faire) sans rien connaître au préalable de son intrigue, et vous aurez une assez bonne idée du degré de déboussolement. Mais Sorkin sait exactement où il veut nous mener et comment nous distiller les informations sans passer par le procédé tarte à la crème du personnage qui en appelle un autre pour le mettre au courant (et nous avec), on finit donc par retomber souplement sur ses pattes, et par savoir qui est qui dans la baraque. 



 Ce qui est heureux car les (richement décrits) personnages, et les relations qui existent et évoluent entre eux, sont l'autre grand délice de The West Wing. Je vous en présente quelques-uns parmi les piliers de la série, sachant que de nombreux personnages, plus ou moins développés, entrent et sortent régulièrement de l'histoire.

Josiah "Jed" Bartlet (Martin Sheen): prix Nobel d'économie (mazette!) devenu sénateur (Démocrate) du New Hampshire puis président des Etats-Unis d'Amérique grâce à l'équipe de talents réunie autour de lui (les rouages de cette campagne fondatrice nous sont dévoilés par flashes-back lors du double épisode qui inaugure la saison 2: In the shadow of two gunmen). Ne se départissant jamais totalement de son aura professorale, il est capable d'improviser de véritables cours magistraux sur n'importe quel sujet ou presque devant ses collaborateurs diversement médusés/amusés/accablés. 


Heureusement plusieurs défauts ou faiblesses attachants le font descendre du piédestal où son brillant intellect pourrait le figer dans la pédanterie: sa maladresse physique (la saison 1 le voit se prendre une inexplicable gamelle en vélo), sa couardise devant sa femme, la volcanique et très féministe Abigail (Stockard Channing, qui a toujours été ma préférée dans Grease et que je n'avais plus revue depuis Six degrés de séparation), sa profonde sensibilité qui le conduisent par deux fois au bord d'un conflit armé, sa mauvaise foi presque puérile, son attitude de petit garçon devant sa secrétaire, la vénérable Dolores Landingham (Kathryn Joosten), son adoration pour l'équipe (de football américain? de base-ball?) de l'Université de Notre Dame (ce qui vaudra quelques vexations à C.J. dans l'épisode The Portland trip, saison 2), mais plus encore sans doute la maladie qui l'affecte. Cette dernière nous est révélée dans l'épisode He shall, from time to time... au milieu de la saison 1 et constituera un ressort majeur de la saison 2 et de la première moitié de la saison 3 (jusqu'à l'épisode H. Con-172).  



Leo McGarry (John Spencer): directeur de campagne du sénateur Bartlet, devenu son directeur de cabinet (White House chief of staff). Son dévouement total à son Président et à son travail provoquent assez rapidement son divorce. Sa fille Mallory (Allison Smith) sortira brièvement avec Sam, ce qui fera ressortir son instinct exagérément protecteur de papa, en sus d'un tempérament naturellement bourru. C'est lui qui tient la boutique depuis les coulisses, et il est le seul qui puisse se prévaloir d'une relation assez intime avec le Président Bartlet pour le rappeler à l'ordre ou pour pallier son inexpérience (ce qui ne le met pour autant pas à l'abri des colères de son orgueilleux patron).
Il se ferait découper en rondelles pour protéger ses "fils" adoptifs Toby, Josh et Sam, et la réciproque est tout aussi vraie: lorsque l'addiction passée de Leo à l'alcool menace d'être exposée publiquement (épisodes The short list et Take out the trash day, saison 1) ou de blesser politiquement le Président (Bartlet for America, saison 3), les garçons mettent tout en œuvre pour le tirer d'affaire. Ses relations respectives avec sa secrétaire, la lunaire Margaret (NiCole Robinson), et avec celui qui deviendra l'ambassadeur du Royaume-Uni à Washington, le très peu orthodoxe Lord Marbury (Roger Rees), donnent lieu à des scènes comiques très savoureuses basées sur le contraste entre les deux protagonistes.


Josh Lyman (Bradley Whitford): adjoint de Leo, ami de longue date de Sam avec lequel il partage un certain panache, un certain idéalisme - la candeur en moins. Foisonnant d'idées, ayant toujours en tête la topographie des alliances du Congrès, il est aussi terriblement brouillon et bordélique (quelques illustrations dans le pilote de la série, ainsi que les épisodes Celestial navigation, saison 1 et le double épisode Manchester, saison 3). Il a tendance à se croire capable de se sortir de toutes les chausse-trappes (ce qui s'avère souvent vrai, il faut le reconnaître) mais ne serait probablement pas capable de survivre trente secondes sans l'aide de sa secrétaire, Donna Moss (Janel Moloney). Donna qui nous apparaît d'abord comme l'archétype de la blonde idiote mais qui conquiert très vite une place à part entière dans la série (grâce à l'insistance de Whitford) de par ses côtés un peu cinglés (on pense à une sœur cachée de la Phoebe de Friends, surtout dans l'épisode The fall's gonna kill you, saison 2) mais aussi par sa finesse d'analyse qui en surprend plus d'un. Elle sauve ainsi la face du Président et de ses conseillers au grand complet lors de l'épisode The stackhouse filibuster, saison 2, et met la Première Dame en face de ses contradictions dans Dead Irish writers, saison 3. 

On se demandera beaucoup, à voir leur grande complicité, à quel moment Josh et Donna vont enfin se décider à sortir ensemble, mais il semble que cette piste ait été abandonnée au profit de développements concernant leurs vies amoureuses respectives. Josh va ainsi s'intéresser brièvement à Joey Lucas (Marlee Matlin) le temps des épisodes Take this Sabbath day, 20 hours in L.A. et Mandatory minimums (saison 1), une spécialiste des sondages qui va le secouer dans ses idées reçues, avant de jeter son dévolu sur une lobbyiste féministe, la remuante Amy Gardner (Mary-Louise Parker), qui va lui donner du fil à retordre aussi bien dans le cadre de leur relation privée qu'en-dehors (The women of Qumar, We killed Yamamoto et Posse comitatus, saison 3). Quant à Donna, son unique rendez-vous en apparence réussi (épisode Ways and means, saison 3) la place dans une situation des plus embarrassantes (épisode War crimes).


Toby Ziegler (Richard Schiff): directeur de la communication. Personnage tout droit sorti d'un film de Woody Allen: divorcé d'une (très belle) femme dont il n'est pas totalement dépris, bilieux, misanthrope, intimement persuadé que ses apports aux discours du Président (où les mérites relatifs de la virgule et du point-virgule sont laborieusement soupesés) en sont la pierre angulaire, doté d'un sens mordant de l'ironie et d'un fatalisme inamovible. Il est celui qui détecte l'info qui va faire le buzz, celui qui démine en urgence les fuites explosives - ou qui crucifie froidement le malheureux qui n'aura rien vu venir. A ce titre, sa cible est souvent C.J. que la fonction de "voix" de la Maison Blanche" expose sans cesse au risque d'un dérapage susceptible de ruiner les efforts de son supérieur hiérarchique.
Comme beaucoup de cyniques auto-proclamés, Toby est surtout un être profondément pudique qui dissimule (mal) son souci des autres et une vraie tendresse derrière sa raideur physique: envers son frère coincé à bord d'une navette spatiale victime d'une avarie (What kind of day has it been, saison 1), un ami détenu en Indonésie (épisode The State dinner, saison 1), Sam victime de sa propre naïveté (... plein d'épisodes...), un SDF mort de froid dans l'indifférence générale (In Excelsis Deo, saison 1), une charmante poétesse un brin évaporée (The U.S. poet laureate, saison 3) ou carrément l'ensemble du personnel de la Maison Blanche qu'il gratifie d'une émouvante déclaration d'amour (Bad moon rising, saison 2). Conséquence logique, il est profondément heurté lorsqu'il apprend tardivement la vérité sur l'état de santé du Président (17 people, saison 2), ce qui l'amène à dire crûment ses quatre vérités à Jed Bartlet à la grande fureur de celui-ci (The two Bartlets, saison 3), avant que les deux hommes ne se réconcilient finalement autour d'une partie d'échecs (Hartfield's landing, saison 3).


Sam Seaborn (Rob Lowe): directeur-adjoint à la communication, et à ce titre sparring-partner/punching-ball attitré de Toby (ceci doit être compris au sens littéral puisque Toby a l'habitude de faire rebondir inlassablement une balle sur la cloison vitrée qui sépare son bureau de celui de Sam lorsqu'un sujet le préoccupe). Très beau gosse au cerveau anormalement puissant, il est une base de données ambulante sur les sujets les plus divers, ce qui lui donne parfois une touchante aura de geek déconnecté des réalités triviales de l'existence.
Le trait distinctif de Sam c'est sa nature profonde de "chevalier blanc", défenseur éternel des idéaux progressistes, pourfendeur des injustices, ennemi de toute médiocrité - et polisseur infatigable de discours plein de flamme et de rêve (un processus détaillé dans 100,000 airplanes, saison 3). Il ressemble au Mr Deeds de Capra, jusqu'aux yeux bleus de Gary Cooper. Fonçant sans toujours évaluer les dangers, et sans calcul vis-à-vis de la possible duplicité de ses adversaires, il laisse quelquefois des plumes dans le combat, pour mieux rebondir ensuite. Ainsi, développée au long de la saison 1, son amitié avec Laurie (Lisa Edelstein), une étudiante jouant les call-girls pour financer ses études, manque de le propulser à la une des journaux à scandales; dans Take this Sabbath day (saison 1) il suspend ses plans de week-end pour plancher sur le dossier de recours en grâce d'un condamné à mort; dans Somebody's going to emergency, somebody's going to jail (saison 2), il remue ciel et terre pour obtenir la réhabilitation posthume d'un homme dont la vie a été ruinée par les accusations d'espionnage au bénéfice de l'U.R.S.S.
Le gentil Sam se métamorphose en arme ballistique lorsqu'il a été mis à la faute et qu'il passe en mode "revanche", ainsi que le souligne Toby suite aux incidents relatés dans The black Vera Wang et We killed Yamamoto, saison 3: "I don't want him feeling better. I want him feeling mad. Is there anyone you'd rather have as a blood enemy less than Sam? That's how I want him."


Claudia Jean "C.J." Cregg (Allison Janney, la belle-mère de Juno): porte-parole (press secretary). Grande femme élégante à la langue bien pendue, supporte mal d'être traitée comme quantité négligeable et ne manque jamais de le faire savoir (épisode Lies, damn lies and statistics, saison 1) et de faire valoir son instinct très sûr (Ways and means, saison 3). Jamais à l'abri de commettre quelques gaffes retentissantes en salle de presse (What kind of day it has been) ou de se laisser aller à parler en femme de cœur plutôt qu'en routière de la politique (Take out the trash day, saison 1; The women of Qumar, saison 3), elle sait aussi distribuer des piques assassines (On the day before et Gone quiet, saison 3). Se retrouve à plusieurs reprises à gérer des dossiers potentiellement sensibles tels les autoroutes à loups (The crackpots and these women, saison 1), la cartographie (Somebody's going to Emergency, somebody's going to jail) ou le choix de la dinde qui doit être graciée par le Président à Thanksgiving (Shibboleth, saison 2). Ses deux histoires sentimentales sont éphémères: l'une, à peine esquissée, avec le senior White House correspondent Danny Concannon (Timothy Busfield), tourne court dès le tiers de la saison 2 à cause de l'évident mélange des genres que constitue leur idylle; la seconde, avec l'agent des services secrets Simon Donovan (Mark Harmon) chargé de sa protection à compter de Enemies foreign and domestic, s'achève brutalement lors de l'épisode final de la saison 3.
Si ce n'est pas pour autre chose, son personnage restera dans l'histoire pour son numéro du "Jackal" (inventé par l'actrice elle-même) dans l'épisode Six meetings before lunch (saison 1), qui fait dire à Sam " If you haven't seen C.J. do The Jackal, then you haven't seen Shakespeare the way it's meant to be done."


Que vous en dire de plus? (j'en vois qui bâillent, moi ça tombe je suis au bord du syndrome du canal carpien) Que c'est une série jouissive pour quiconque s'intéresse à la plomberie intime de la politique (c'est mon cas), que ça vous fait frétiller de la carte d'électeur (une année d'élections majeures, quelle aubaine!), que toutefois on se cogne régulièrement quelques flons-flons patriotiques façon "ah que l'Amérique elle est belle et grande et qu'elle protège bien ses enfants et la démocratie dans le monde et la libre-entreprise" (je ne vous le cache pas, c'est parfois un brin lourd) mais que c'est pas très important par rapport à toutes les très très bonnes raisons (détaillées ci-dessus, ou dans une très bonne page Wikipedia) de courir découvrir cette série si vous ne la connaissez pas encore.

dimanche 17 juin 2012

I used to be a little boy so old in my shoes: Moonrise Kingdom (Wes Anderson, 2012)

L'enfance est une affaire sérieuse, grave même.

La détestation est instantanée, l'amour tout autant. On ne "s'occupe" pas, on ne "tue" pas le temps, on se jette tout entier dans un autre monde dont on devient le centre, et qui en retour devient notre pays d'adoption. Et personne d'autre que les habitants de cet univers - tous à tailles d'enfants - ne peut nous comprendre, et certainement pas les adultes pour qui tout passe, tout est déjà passé, tout a déjà été comparé à une autre expérience, et décanté au fil du temps.

L'enfance est la terre des premières fois, des pour-toujours, puisque toute l'échelle des mesures de la vie est encore à bâtir. Et comme toute échelle elle s'élabore en partant de soi, de la petite graduation intime, celle que l'enfant créé en étendant les doigts de sa main. A partir de ces dimensions il peut tout régenter méticuleusement, quand bien même le chaos fait rage dehors. L'enfant ne sait que jouer, et en jouant il peut essayer la vie comme on essaye un costume, il peut même essayer plusieurs existences simultanément en occupant tous les postes de son petit théâtre de marionnettes: le héros, le metteur en scène, le dramaturge, le décorateur. 



Ces tentatives, ces esquisses de vie peuvent être fugaces, elles permettent en tout cas des découvertes qui n'en sont pas moins d'une importance capitale, elles aident à cristalliser des sentiments qui n'en sont pas moins vrais. C'est ce que film joli et délicat nous raconte au-travers de l'histoire d'amour que tentent de vivre Sam (Jared Gilman, comme une version plus jeune de Max Fisher, le héros de Rushmore) et Suzy (Kara Hayward, plus rugueuse qu'il n'y paraît). Comme le veut la tradition, quantités d'obstacles s'opposent à la réalisation de cet amour, parmi lesquels une ribambelle d'adultes variablement paumés dans leurs désenchantements respectifs. Ce qui pour Wes Anderson est le prétexte à aligner un casting de gala (les mascottes Bill Murray et Jason Schwartzman, plus Frances McDormand, Bruce Willis, Edward Norton, Harvey Keitel, Tilda Swinton) dont je dois malheureusement dire qu'il est largement sous-employé puisque réduit à jouer les boulets archétypaux (parents avocats tellement obsédés par leur carrière qu'ils ne s'appellent que "Maître" entre eux, chef scout dépassé par la débrouillardise des enfants dont il est censé avoir la charge, employée des services sociaux atifée comme une marâtre de conte de fées). Ce qui sauve Anderson c'est que l'on sent qu'il a une tendresse sans limite pour tous ses personnages, jusqu'au plus petit d'entre eux. Par comparaison avec les objections inconsistantes que leur opposent les adultes (et qui ne peuvent que susciter le rire), les rêves des enfants sont si simples et raisonnables qu'ils en paraissent fous.



Alors même si la composition trop extrêmement contrôlée des plans de Wes Anderson a quelque chose d'irritant (non seulement on se croirait encore dans les coursives du bateau de Steven Zissou vu en coupe, mais les personnages se déplacent ici en suivant des trajectoires rectilignes sans aucune raison valable), il souffle sur Moonrise Kingdom ce vent qui gonflait les voiles de nos vieux bateaux pirates, à l'époque où l'on était encore persuadés d'être qui on voulait. L'époque à laquelle se situe le film (1965) n'est pas choisie au hasard non plus: rien n'était encore venu abattre en vol le sentiment de jeunesse et d'invulnérabilité de l'Amérique.