mercredi 26 novembre 2008

Ange terni et traînée romantique...

Il suffit de l'entrevoir dans l'embrasure des rideaux de sa chambre, dans les premières minutes de Écrit sur du vent (1956), démarche chaloupée sur fond de lit froissé, paupières lourdes et narines frémissant, sentant peut-être déjà avec délices l'odeur du sang... On sait déjà que Marylee Hadley est une garce de compétition.
Il suffit de voir, dans La ronde de l'aube (1958), sa silhouette tout entière tendue vers son homme qui virevolte dans les airs, son regard captif et sa respiration suspendue, sa vie captive volontaire d'une existence de saltimbanques où la renommée est factice mais le danger bien trop vrai... On sait déjà que LaVerne Shumann ferait n'importe quoi par amour.


Deux films de Douglas Sirk, deux personnages incarnés par Dorothy Malone, la sinueuse et insinuante petite bibliothécaire à lunettes (et brune!) que rencontre Humphrey Bogart dans Le grand sommeil, et qui lui fait un gringue d'enfer au passage. Les deux rôles qu'elle tient chez Sirk pourraient être des stéréotypes, et le sont dans une certaine mesure (skin deep, en surface, pourrait-on dire). L'interprétation qu'elle donne, et le mentorat d'un réalisateur qui avouait s'intéresser avant tout aux personnages ambivalents, permet d'apercevoir d'autres réalités.

LaVerne saute en parachute vêtue d'une robe légère pour affrioler le public masculin mais, à moitié nue, confie dans le noir son amour désespéré pour un époux distant (Robert Stack). Elle est entourée d'admirateurs plus ou moins silencieux (Jack Carson, Rock Hudson) mais plutôt que de se laisser réconforter par des hommes qui la respectent elle laisse son mari l'utiliser comme monnaie d'échange de la manière la plus dégradante qui soit.



Marylee se donne au petit bonheur des rencontres d'un soir mais uniquement pour étourdir le désespoir de voir l'homme qu'elle aime depuis l'enfance, Mitch (Hudson), ne la considérer que comme une sœur. Un amour qui repose non seulement sur l'impossibilité de cette relation, mais aussi (surtout) sur le fait que le modeste et si droit Mitch est bien plus digne de l'héritage des Hadley que ne sauraient jamais l'être Kyle (Stack) l'alcoolique ou Marylee la nymphomane, rejetons dégénérés seulement doués de la conscience aiguë de leur indignité.


Ainsi, avec ces deux rôles, Dorothy Malone dessine les contours changeants de femmes amoureuses à sens unique, qui lacèrent leur fierté pour courir après un bonheur impossible et sont, quasiment par vocation, condamnées au malheur d'être celles qui restent lorsque tout a brûlé. Grâce à elle, nous voyons vibrer à l'écran une onde de chaleur, la sensualité à la fois agressive et tourmentée de ses personnages, qui possèderont pour toujours ses yeux cernés d'amante désabusée.

mercredi 19 novembre 2008

Les femmes de la nuit - Kenji Mizoguchi, 1948

Le Japon de l'immédiat après-guerre, appauvri et dévasté, est sans pitié pour les femmes. L'une d'elle, Fusako (Kinuyo Tanaka, déjà formidable dans de précédents films de Mizoguchi, en particulier Miss Oyu et La vie d'O'Haru, femme galante), tente de survivre dignement jusqu'au retour de son mari, parti au front. Sa sœur Natsuko, qui a vu leurs parents mourir de faim, gagne sa vie comme hôtesse dans un dancing. La jeune belle-sœur de Fusako, quant à elle, décide de fuguer pour s'émanciper d'un contexte familial délétère. Chacune de ces trois femmes, pour des raisons différentes, va connaître la prostitution dans une société qui ne leur laisse aucune autre alternative pour échapper à la misère noire.

Ce mélodrame aux cadrages ciselés, tourné 8 ans avant le (comparativement) très sobre La rue de la honte, a en commun avec ce dernier d'attaquer frontalement la question de la complaisance hypocrite de la société japonaise pour la prostitution. La charge est ici d'une violence qui demeure, même pour le spectateur d'aujourd'hui, extrême et choquante (dans le bon sens du terme: je veux dire par là que Mizoguchi atteint pleinement son but d'interpeller les consciences).
Les hommes de l'histoire vont du parasite (le beau-frère de Fusako) à la crapule (son patron, devenu l'amant de Natsuko), c'est peu dire qu'ils ne sont pas mis en vedette par un réalisateur dont le message féministe est asséné sans demi-mesure. Les seuls qui échappent à ces catégories sont le directeur d'un foyer pour femmes et son assistant, mais leur discours donne tellement dans l'angélisme béat en plaçant la responsabilité du changement entre les mains des femmes elles-mêmes (les coups durs traversés sont un encouragement à changer de vie; il suffit que chaque femme réforme sa conduite, elle servira d'exemple pour les autres) qu'il en est dépourvu de toute crédibilité, comme peut l'être une belle théorie inapplicable au réel. Mizoguchi fait d'ailleurs sortir son héroïne de la pièce sans un mot à la suite d'une telle tirade, achevant de miner ces propos bien-pensants.

Alors que Les musiciens de Gion et La rue de la honte mettront par la suite en lumière le fonctionnement de la prostitution, institutionnalisée par les maisons de geishas, comme une forme d'esclavage à peine déguisée, Les femmes de la nuit souligne plutôt la forme perverse de logique sociale qui préside à la "chute" d'une femme (et de tous les types de femmes, en réalité) et la conduit à vendre son corps. Ce qui nous est montré, c'est l'absence de choix pour ces femmes isolées (par la guerre, par la duplicité des hommes), absence de choix qui résulte non pas d'une fatalité intangible mais bel et bien de leur instrumentalisation par une société misogyne qui à force de les soumettre leur a ôté les moyens de mener une vie indépendante et droite. La scène finale, si elle est sans doute inutilement hystérique, montre également que cette chute, vécue par ces femmes comme une mauvaise passe, est en réalité vue comme irrévocable par la société. Les prostituées ne supportent pas que l'on quitte leur confrérie, pas davantage que les "bonnes gens" ne tolèrent que l'on dévie du droit chemin.

samedi 15 novembre 2008

Quantum of solace - Marc Forster, 2008


"Je veux descendre!" C'est tout ce qui m'est venu à l'esprit au bout de 5 minutes du dernier James Bond, qui selon la tradition démarre sans crier gare ni générique.



Peut-être que je vieillis, je ne sais pas, peut-être que des jeunes gens plus habitués aux films d'action à la mode n'auraient pas bronché. Je veux bien admettre tout ce qu'on voudra, reste le constat suivant: je ne supporte pas de subir un film comme si j'étais un objet oublié dans une poche au moment du grand essorage. Cette métaphore vaut ce qu'elle vaut, elle ne suggère pas que ma tête fait "drelin-drelin" lorsqu'on me secoue dans tous les sens, mais plutôt que ça ne m'amuse guère de voir passer des tas de... choses? gens? à l'écran, et de ne rien y comprendre. Sans compter que plusieurs actions sont souvent montées en alternance et leurs déroulements respectifs entrent en collision (mention spéciale pour la séquence de l'opéra à Bregenz, dont les allers et retours frénétiques entre ce qui se passe sur scène et dans la salle font irrésistiblement penser au Parrain III.... inutile de dire que la comparaison ne tourne pas à l'avantage de Forster, n'est pas Coppola qui veut). Le cerveau entre en souffrance à force d'essayer de traiter tout ce que lui envoie la rétine, et tout le monde se retrouve avec la gueule de bois à la fin.

Ceci étant dit, le film n'est pas plus bourrin qu'un autre Bond (plus sombre par contre, oui), la chanson du générique n'est pas plus inécoutable qu'une autre (j'ai même trouvé l'orchestration et le détournement des rythmes "bondiens" très intéressants), la psychologie n'est pas aussi absente que certains ont pu le dire (Bond, déjà pas un modèle de finesse dans l'excellent Casino Royale, est changé en bulldozer tueur sous l'effet de l'amertume et du désir de vengeance, sa relation mère-fils indigne avec M s'approfondit encore), le scénario en vaut un autre (j'aime bien l'ironie consistant à changer la fondation soi-disant écologiste en exploitant cynique des ressources naturelles), bien que ce soit cohérent par rapport à la tonalité du film il manque aux Bond Girls de l'espace pour exister (il en manque aussi au méchant, ce qui est autrement plus grave, je ne pense pas que les roulements de globes oculaires de Mathieu Amalric effraient grand-monde.... ses cheveux perpétuellement gras, par contre?....).

S'il n'y avait pas le filmage épileptique et le montage Parkinsonien, il n'y aurait donc rien de rhédibitoire dans ce Bond, ce pourrait être un film passable. Si seulement...