samedi 20 juillet 2013

He's a wolf in disguise: L'inconnu du lac (Alain Guiraudie, 2013)



 Il a suffi qu'une brochette de grenouilles de bénitier surexcitées à la suite des manifs anti-mariage gay, appuyées par des municipalités peu connues pour leur progressisme, s'en prenne à la délicieuse affiche de L'inconnu du lac sur l'air de "de grâce épargnez cette vision décadente à nos chastes ouailles", pour achever de me convaincre que je devais voir ce film, pour la raison extra-cinématographique qu'on ne saurait se voiler la face de manière aussi hypocrite (en plus, bon, vu la naïveté assumée du graphisme il faut tout de même avoir une sexualité fort pauvre pour se monter le bourrichon ainsi autour de quelques taches de couleur entremêlées...). Je dis bien "achever de me convaincre" car une critique élogieuse née au cours du dernier Festival de Cannes précédait le film avant même ce regrettable esclandre et j'avais déjà résolu de le voir. Mais vous savez ce que c'est, il suffit qu'un imbécile monte sur ses grands chevaux pour que je trouve soudain irrésistible l'objet de son indignation - c'est mon "effet Streisand" à moi.

Quelque part dans le Sud de la France, l'été. Sur la rive d'un lac dont on prétend qu'il abrite des silures géants, des hommes se dorent nus au soleil, se baignent, baisent ensemble, à deux ou à plus, dans le bois tout proche. Franck (Pierre Deladonchamps) vient tous les matins, cherchant à faire partie de ce cycle qui se répète à quelques variantes près chaque jour, mais ne trouve personne qui lui plaise. Ou plutôt, il a bien repéré de loin Michel (Christophe Paou, il est vrai dangereusement beau), mais celui-ci est manifestement "en main", à en juger par l'insistance de son possessif petit ami. Alors en attendant Franck discute avec Henri (Patrick d'Assumçao), un bûcheron fraîchement séparé de sa copine dont il n'est pas clair (y compris pour lui-même?) s'il est tenté de vivre son homosexualité ou si, comme il le dit, il cherche juste à rompre sa solitude en trouvant un ami. 



Mais Frank continue à être obsédé par Michel et, un soir qu'il épie celui-ci alors qu'il avec son amant, il est témoin d'un jeu plutôt brutal entre les deux hommes... au terme duquel Michel regagne, seul, la berge. Le lendemain Michel fait des avances très claires à un Franck ravi et les affaires du jeune homme qui accompagnait Michel gisent, abandonnées, au bord du lac. Alors que Franck se sent tomber amoureux de Michel qui pourtant le tient à distance, on repêche le cadavre du jeune homme...

Sur un rythme nonchalant scandé par le déroulement quasi identique des journées des "habitués" au bord du lac, Guiraudie peint par touches précises et colorées une passion charnelle ombrée d'un mystère aux résonances païennes, entre mythes locaux et phénomènes supra-naturels (superbe travail sur le bruit des feuillages agités par le vent, saluant les apparitions de Michel). Un mystère qui ne réside pas tant dans l'aboutissement de l'enquête policière (il ne fait pas de doute, puisque nous en avons été témoins, que Michel a tué) que dans l'étrange mélange d'acceptation et de déni dont fait preuve Franck - attitude qui a tout à voir avec sa fascination pour cet homme qui se dérobe à toute tentative de mieux le connaître, et à la dépendance physique qu'il lui inspire. Même teintée de terreur et d'une mesure de dégoût, l'attirance est plus forte que tout, prouvant que l'on n'a pas besoin de comprendre, ni d'approuver, pour aimer.