C'est un peu triste, un film qui n'a jamais vu le jour. Un peu repoussant aussi - cette aptitude qu'ont les gens à réécrire l'histoire de la manière qui les arrange le mieux, qui fasse apparaître un fautif bien net au premier plan. Le documentaire s'est tricoté entre ce regret et cette répulsion (chaque point fait d'images fabuleuses), reconstituant certaines scènes manquantes avec des acteurs contemporains et faisant intervenir quelques-uns des protagonistes survivants.
Le film c'est L'enfer, le fautif c'est Henri-Georges Clouzot. Mais comme le rappelle (enfin) un des témoins de l'époque à la fin, il faut bien que quelqu'un aille jusqu'au bout de l'idée, de la folie en fait - puisque l'idée de Clouzot c'est de mettre en image la folie d'un homme (Serge Reggiani) que la jalousie pour sa femme (Romy Schneider) fait dérailler dans un coin de Cantal. Il faut bien que quelqu'un s'y colle et s'y heurte et s'y écrase, ne serait-ce que pour aller au bout et savoir une fois pour toutes que c'est impossible.
Et cela donne ces essais comme venus d'un autre monde, où les lumières anamorphosent les visages, où tout est repeint de couleurs déviantes, où le temps est condensé ou dilaté, où de minutieuses recherches sur les effets d'optique (inspirées de l'art cinétique) diffractent à l'infini une frange de cils, un regard insondable, un arpent de peau. L'histoire se raconte sans narration véritable, simplement au-travers de ces expérimentations démentes dont Romy, candide et trouble à la fois, est le matériau, consentante et pourtant dérobant son secret à la caméra, à son réalisateur et à son mari dans le film.... Elle est si magnétique que Clouzot aurait pu la filmer épluchant des carottes teintes en mauve, je serais restée bouche bée des heures durant, je l'avoue.
Par contre-coup, les témoignages semblent fades, déplacés, dérisoires. Inutiles pour tout dire, tant les images exhumées nous avaient déjà donné à sentir l'orgueil démesuré qui anime l'entreprise. On a déjà saisi à quel point la recherche des moyens esthétiques a fini par devenir une fin en soi, une de ces tâches que l'on s'assigne en sachant parfaitement que l'on n'arrivera jamais au bout. Une prophétie auto-réalisatrice, en somme, qui fera d'un film sur un fou le film d'un fou, qui fera déteindre cette histoire de réalité vascillante sur son créateur.