Un pays d'Afrique. Maria Vial, une française blanche qui dirige une exploitation de caféiers, s'obstine à boucler le traitement de sa récolte alors qu'une insurrection armée menace de balayer la région.
Maria c'est Isabelle Huppert, actrice formidable cela va sans dire, dont le personnage peut faire à la fois penser à une jumelle de celui qu'elle a dû tenir dans Un barrage contre le Pacifique (que je n'ai pas vu mais je connais l'histoire de la mère de Marguerite Duras, qui y est retracé), et à un négatif de celui de Villa Amalia (vu celui-là). Dans le premier film une femme qui s'entête à endiguer les éléments, dans le second une femme qui lâche tout.
Maria est donc une femme enfermée dans son obsession de posséder dans un pays qui n'est pas le sien (elle a beau parler à sa terre pour tenter d'établir une connexion) et que ne fait que tolérer en lui, transitoirement, la présence de ces globules blancs exogènes.
Obsession de contrôler aussi, tout aussi absurde car les capteurs de Maria ne savent pas attraper au vol les signes du danger qui s'amassent autour d'elle. Ainsi cette scène, où Maria tente de retenir en vain les employés de sa plantation qui fuient à l'approche des rebelles: Maria demande à une femme si elle a mis son fils à l'abri, l'autre lui rétorque qu'elle a pris cette précaution il y a déjà longtemps, Maria n'avait-elle donc rien remarqué tout ce temps?
Tout comme Maria ne sait ni comprendre, ni influencer ce pays (qui vit autour d'elle mais sans elle, dont elle n'est pas même spectatrice puisqu'elle vit dans une enclave de réalité qui n'est pas la réalité du reste du pays), elle est totalement impuissante devant l'apathie de son fils Manuel (Nicolas Duvauchelle), grand jeune homme qui passe sa vie à dormir.
Plus que tout autre membre de la famille Vial, Manuel est inadapté à pays et peu fait pour encaisser la violence qui monte: lorsqu'il pique une tête dans le bassin il ignore que deux enfants-soldats le guettent non loin, lorsqu'il s'élance dans la brousse pour poursuivre ce qu'il prend pour d'innocents voleurs de poules il le fait, naïvement, pieds nus....
Mystérieux homme blessé trouvant refuge dans la maison de Maria, traces de pieds d'enfants boueux dans la baignoire, panne électrique, Maria voit sans voir et rejette d'un haussement d'épaules ces faits parasites sans jamais soupçonner leur importance fatale. Les fils électriques ont été sectionnés par José, le demi-frère métis de Manuel. Des enfants-soldats se sont introduits partout sur la propriété. L'homme blessé est "Le boxeur", chef des rebelles. Autant de choses dont la famille Vial n'est pas responsable (sinon responsable de les laisser advenir sans se poser davantage de questions) mais qui finiront par l'emporter.
Claire Denis, comme à son habitude, donne à voir et à sentir avant tout sans s'encombrer (ni nous encombrer) d'explications "psychologisantes" fallacieuses. Nous avons tous entendu parler de situations analogues (Côte d'Ivoire, Liberia, Rwanda - d'ailleurs en ce moment je découvre les récits de Jean Hatzfeld) et nous sommes préparés par cela à accepter cette histoire qui se déroule sans chercher plus loin, tout ce que nous voyons s'est produit un jour.
Moins habituel, nous obtenons davantage d'informations sur le fonctionnement de Maria que sur d'autres personnages des précédents films de la réalisatrice - une conséquence de la présence de l'écrivain Marie N'Diaye au scénario? D'où une ou deux scènes superflues, notamment celle où Maria explique qu'elle ne comprend pas son fils (à un stade où tout spectateur l'aura déjà amplement constaté).
La mise en scène utilise à fond les reflets mats des routes de latérite rouge et des feuillages poussiéreux, les ombres des demeures désertées, les chuchotements presque surnaturels de la brousse où se tapissent les insurgés, créant une atmosphère d'attente et d'appréhension palpables de l'horreur qui vient.