Elle fait de son mieux, Elsa. Vraiment, elle essaie très fort d'y croire, ou à tout le moins de donner l'impression qu'elle y croit. À sa recherche de boulots (tous un peu stupides et ennuyeux), à sa capacité à s'occuper de son fils (un pré-ado teigneux), à sa propre aptitude à tenir sa place dans un monde où tout le monde possède un téléphone portable et court (galope) sous la pression d'un agenda bien rempli. Sincèrement, elle s'efforce, elle s'accroche, Elsa.
Bon, d'accord, avec un rien de mauvaise foi et/ou de lâcheté (si on n'est jamais confronté, on n'est pas non plus pris en défaut, n'est-ce pas?), ses jobs successifs ne l'intéressant pas, elle feint de se chercher, affecte de ne pas avoir le temps ou l'endroit pour profiter des week-ends où elle a le droit de voir son fils, s'offre le luxe de faire faux-bond à ses employeurs sur des prétextes vaseux alors que la société tout entière lui dit qu'elle n'a pas mieux à faire (ni à espérer) que de trimer comme une folle, au noir s'il le faut). Elle est comme ça, Elsa, elle glisse, elle choit, elle joue à essayer de tomber de haut pour le plaisir de sentir que quelqu'un est là pour la rattraper - alors que dans sa vie elle est seule, et sans filet de secours.
Et puis survient Mathieu. Il est de la même espèce qu'elle, manifestement. Pas davantage capable de payer son loyer en temps et en heure. Mentionne "tir à l'arc" dans la section "loisirs" de son CV pour se donner l'air du "sportif qui réfléchit". Tente de se convaincre - et de convaincre le DRH qui le reçoit en entretien - que l'exercice d'un emploi lui serait bénéfique (après après mûre réflexion,tout de même!). Tout fragile et fêlé qu'il est, c'est lui qui tentera de rattraper Elsa au risque de s'y démonter l'épaule. Et Elsa découvrira au passage que, poussée dans ses derniers retranchements, elle est elle aussi capable de rattraper, de sauver quelqu'un. Et qu'elle n'a pas besoin pour cela de devenir une personne "équilibrée" et "normale".
Au vu du sujet du film on pouvait craindre le pathos lourd et collant, la bluette "socialisante" avec galère et chômage en toile de fond (gros cafard garanti à la sortie), ou au contraire le happy end féérique plaqué de manière artificielle sur l'histoire (coup de gueule garanti à la sortie). Grâce à la profonde tendresse dans la peinture des personnages et aux parti-pris de la mise en scène (d'une absolue sobriété dans le traitement des scènes les plus propices à la dramatisation), il n'en est rien, heureusement. On se retrouve embarqués aux côtés d'Elsa et de Mathieu pour parcourir une petite tranche de vie dans laquelle tout n'est pas rose mais où personne n'est ni un salaud, ni un ange, où les choses ne sont pas nécessairement bien terribles parce qu'on peut toujours se relever. Plus encore que la composition de Denis Podalydès, agréablement discrète, je saluerai celle de Julie Gayet, qui est une merveille de subtilité lorsqu'il s'agit de dépeindre les petites souffrances et les grandes indécisions d'Elsa.
Et l'on ressort de la salle de cinéma avec la conviction que les surprises de la vie ne sont par essence ni gaies ni tristes - jusqu'à ce que l'on décide d'en faire quelque chose.