Quai d'Orsay est à l'origine une BD en deux tomes, dessinée par Christophe Blain et scénarisée par Abel Lanzac. Ce dernier (un pseudonyme derrière lequel se cache en réalité Antonin Baudry) y raconte de manière à peine déguisée son expérience de conseiller de Dominique de Villepin à l'époque où celui-ci était le flamboyant Ministre des Affaires Etrangères de Jacques Chirac.
La grande réussite de la BD était de restituer de manière quasi anthropologique les mœurs du petit peuple des cabinets ministériels de la République, sa hiérarchie byzantine, son fonctionnement digne des Shadoks, ses rituels amoureux ou guerriers (ou les deux... la distinction étant plutôt subtile), restitués au travers du regard perplexe et amusé d'Arthur Vlaminck, l'alter ego de Lanzac.
L'intérêt de l'histoire tenait aussi à son formidable héros, croqué dans tout son panache et toute son absurdité, un peu Don Quichotte et beaucoup moulin à vent: Alexandre Taillard de Worms, le tonitruant Ministre qui, en un discours historique, pris position face aux Nations-Unies contre une intervention armée en Ir... heu, au Lousdémistan. Avec un sens du mouvement épatant, Blain croquait et restituait ses grandes enjambées de conquérant et sa gestuelle théâtrale, donnant ainsi corps à la fois à ses envolées absconses, et à leurs effets collatéraux sur des conseillers perpétuellement pris de court par la dernière extravagance de leur impétueux patron.
Quai d'Orsay est désormais aussi un film réalisé par Bertrand Tavernier, qui a su pour l'essentiel conserver ce qui faisait le charme de la BD. Les papiers s'envolent et les portes se dégondent sur le passage de Taillard de Worms (grand numéro de Thierry Lhermitte, qui semble s'amuser comme un petit fou à déclamer la désormais mythique "tirade des Stabilos"), Vlaminck (le très bon Raphaël Personnaz, que l'on voit trop peu au cinéma) se démène pour fournir les fameux et changeants "languages" qu'on attend de lui, Niels Arestrup campe merveilleusement un directeur de cabinet aussi narcoleptique et efficace que son ministre est volatil et abrupt...
Tout ça est très bien, on rit avec plaisir. Mais, mais. Une demi-heure de moins n'aurait pas été de trop (suis-je bien claire?...). Et surtout, je ne peux m'empêcher de me demander si la plupart des lecteurs de la BD ne vont pas comme moi rester sur leur faim devant le film, tant (justement) il suit l'histoire et les personnages de Blain & Lanzac sans en décoller vraiment. Mon mari, qui lui n'a pas encore lu la BD mais qui a vu le film en même temps que moi, va me servir de cobaye. Vous me direz, il a l'habitude...