Hier soir, chers lecteurs, votre Jack était de sortie, une fois n'est pas coutume, pour l'avant-première du nouveau film de Pierre Salvadori qui ouvrait la 32ème édition du Festival du Cinéma Méditerranéen de Montpellier. Et j'avais de plutôt bonnes raisons de sortir, 'xcusez du peu: opéra Berlioz plein à craquer (seules les loges les plus haut placées, et donc les moins propices pour bien voir l'écran, étaient vides), lancement officiel sous le "marrainage" de la grande Carmen Maura (je file d'ailleurs découvrir Pepi, Luci, Bom et les autres filles du quartier cet après-midi puisqu'on nous offre un joli panorama de sa carrière et qu'il s'agit d'un des rares longs d'Almodóvar que je n'aie jamais vu), avant-programme constitué du court-métrage Chienne d'histoire de Serge Avédikian (récompensé en mai dernier à Cannes), séance en présence de Pierre Salvadori et de ses interprètes Audrey Tautou et Nathalie Baye. Burp.
(ce dont on ne peut pas s'apercevoir c'est à quel point les membres de l'équipe du film étaient impressionnés de présenter leur travail, jusqu'ici vu uniquement par des producteurs et des distributeurs, devant une si grande quantité de "vrai public", pour reprendre l'expression de Salvadori lui-même)
Je n'ai plus que mes yeux pour pleurer, non seulement mon homme n'avait d'yeux que pour la frêle Audrey mais Sami Bouajila, son très séduisant partenaire masculin dans le film, avait fait faux bon. Parfois, la vie elle est trop inzuste.
Et alors, et le film dans tout cela? Valait-il la peine de braver les grèves, la fatigue, la fatigue des grèves, la grève de la logique de la part des organisateurs du festival (l'absurde ruban humain se terminant en cohue féroce pour entrer dans la salle)?
Hé bien oui, mes amis, mais alors oui.
Emilie (Tautou) est la jeune patronne d'un salon de coiffure sétois, où Jean (Bouajila) effectue quelques travaux de rénovation. Or Jean est secrètement amoureux de sa patronne et lui envoie des missives aussi enflammées qu'anonymes. Un anonymat dont Emilie va se servir pour faire croire à sa mère Maddy (Baye) que les lettres lui sont adressées par un admirateur et ainsi dissiper la dépression qui la cloue au sol. Mais Maddy veut démasquer l'auteur, et tout va se compliquer très vite....
Je ne vais pas bouder mon plaisir, ce n'est pas mon habitude. Il faut tresser des couronnes, envoyer des fleurs, couvrir de mots doux un réalisateur aussi doué pour la comédie que peut l'être Pierre Salvadori. Et qui, en plus de ce don évident, de ce sens du timing (pardon my French) si délicat, travaille à l'évidence si fort pour ciseler des dialogues et des situations qui savent et soutenir le rire et étoffer les personnages tout au long d'un film de deux heures. Pas une once de vulgarité, pas une faiblesse, aucune de ces facilités qui font si souvent soupirer d'agacement (il est vrai qu'on nous prend assez souvent pour des bourrins), un juste dosage de punchlines millimétrées pour ne pas sonner trop "écrites", d'expressions faciales très subtiles défilant à toute vitesse et de situations à la fois quotidiennes et délicieusement embrouillées. Je salue au passage l'extrême pertinence dans le choix des trois interprètes principaux, ils sont fabuleux et s'accordent merveilleusement ensemble, on sent que tout le monde s'est bien amusé (Tautou en introduction du flm avouait avoir vécu là son tournage le plus festif et le plus chaleureux, on la croit sans peine au vu du résultat). Les seconds rôles sont parfaits également du point de vue du rapport trogne/expressivité/contribution au travail d'équipe, avec une mention pour Judith Chemla qui incarne la jeune Paulette, employée du salon de coiffure déjà moyennement (a)futée que les excentricités de sa patronne mènent au bord du court-circuit neuronal. Tous les personnages sont croqués avec autant de tendresse que de dérision.
J'ai éprouvé une satisfaction particulière en constatant que le personnage de Jean retourne malicieusement les stéréotypes ethniques et sociaux. D'abord en étant incarné par un acteur "typé" (et de toute manière excellent indépendamment de cela) sans pour autant se prénommer Mohammed ou Karim, ensuite en en faisant un ex-traducteur polyglotte pour l'UNESCO ("responsable du secteur Asie", siouplaît), amateur de lecture et d'opéra, et dont les études supérieures donnent un complexe terrible à Emilie (qui a ce constat désabusé sur son parcours: "D'ailleurs dans la vie, ma mère a fait muse, moi j'ai fait coiffeuse-maquilleuse, alors!....").
En résumé j'ai passé un excellent moment, et toute la (grande) salle également, si j'en crois les rires francs et fréquents, et les applaudissements nourris une fois les lumières rallumées.