dimanche 10 juillet 2011

I thought you were on my side: Une séparation (Asghar Farhadi, 2011)

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Iran. Rien ne va plus entre Nader (Peyman Moaadi) et Simin (Leila Hatami). Cette dernière a insisté pour obtenir une audience auprès d'un juge pour divorcer de son mari, qui refuse de la voir partir avec leur fille Termeh (Sarina Farhadi) au Canada. Si tu veux partir c'est que tu ne veux plus vivre avec moi, je ne te retiens pas, dit-il, mais pas avec notre fille. Si tu refuses que nous partions pour une vie meilleure hors d'Iran, c'est que tu ne nous aimes pas vraiment, répond-elle, alors je veux le divorce. Déjà ils sont arc-boutés sur des positions diamétralement opposées (le juge qui les entend ne pourra rien faire pour les amener à des concessions), et à partir de ce point le film va nous montrer leurs stratégies respectives dans ce jeu de pouvoir intime - et ses conséquences, de proche en proche. 


Et les conséquences ne tardent pas à s'enchaîner, impitoyablement. Après l'audience, Simin quitte le foyer conjugal, laissant Nader aux prises avec son père, que la maladie d'Alzheimer rend totalement dépendant. Nader n'a d'autre choix que de demander à celle qui est jusque-là leur femme de ménage, Razieh (Sareh Bayat), de l'aider à prendre soin du vieil homme, au prix d'un supplément de travail épuisant pour une femme enceinte. De plus, Razieh est extrêmement pieuse, et sa situation d'employée d'un homme redevenu célibataire, qui implique de changer un vieillard qui ne contrôle plus ses sphincters, n'est pas sans poser de sérieux problèmes dans cette société iranienne percluse d'interdits. Sans compter que Razieh n'a jamais avoué à son mari, le colérique et impécunieux Hodjat (Shahab Hosseini), qu'elle travaillait pour l'aider à éponger leurs dettes. 

Très vite Razieh et Nader sont dépassés par les tensions qui se sont accumulées autour d'eux: Nader prend Razieh en faute dans les soins qu'elle est censée prodiguer à son père, il s'emporte et bouscule la jeune femme, qui perd son bébé peu après. S'il est démontré que Nader savait que Razieh était enceinte, il est passible d'une peine de prison conséquente pour meurtre, et il sera obligé d'indemniser les parents pour la vie perdue. Mais pouvait-il savoir, étant donné que Razieh était couverte de la tête aux pieds d'un vaste tchador et qu'en femme vivant dans la crainte des imams, elle s'efforçait de ne jamais croiser son patron?



Généralement, lorsqu'un film gagne un peu trop ostensiblement des prix importants dans un (des) festival(s), je me crispe un peu. Ce n'est pas que je n'aime pas le succès éclatant (il paraît que c'est très français ceci dit), mais trop d'unanimité me fait craindre juste un peu que le jury ne se serve du palmarès pour se donner des airs à peu de frais. Ceci dit, cela ne m'empêche pas de me faire mon opinion et d'aller voir le film en question en salles. Parfois mes soupçons se confirment, comme il y a quelques temps devant De l'autre côté de Fatih Akin: ça doit être satisfaisant pour l'esprit de récompenser un film traitant des relations inextricables entre Allemands et Turcs d'Allemagne au-travers d'un double parcours familial, mais le prix du scénario à Cannes pour un truc aussi lourdement écrit (la fille qui a perdu sa mère rejoint la mère qui a perdu sa fille, je vous jure que ça finit comme ça), au secours! On peut citer aussi Entre les murs de Cantet ou plus récemment The tree of life de Malick, tous deux Palmes d'Or à Cannes alors que ni l'un ni l'autre ne sont le meilleur film de chaque réalisateur.


Et puis il y a Une séparation, qui a fait un casse au dernier festival de Berlin (Ours d'Or du meilleur film, Prix du Jury Œcuménique, deux Ours d'Argent de l'interprétation, l'un pour l'ensemble du casting masculin et l'autre pour l'ensemble du casting féminin, pas de jaloux), et qui est (je ne vais pas vous faire attendre davantage) un film formidable. Je ne peux que tirer mon chapeau (un panama en véritable sisal du Yucatán, mind you). Une grande réussite qui est en premier lieu celle de l'écriture, qui mêle habilement, sans flamber pour autant (hein, Fatih Akin?), la tragédie privée de ce couple où chacun ment et manipule à tour de rôle pour "gagner" dans cette guerre de positions qu'est leur séparation, et la tragédie nationale de cet Iran où chacun est bâillonné par l'emprise religieuse, paralysé par la paupérisation générale, tétanisé devant la plus petite perspective d'un rétrécissement de libertés déjà ténues. Avec rigueur, la mise en scène nous dévoile progressivement les tensions entre les personnages, les arrangements avec la vérité que ces tensions provoquent, les cassures irréparables qui se produisent en réponse. Jamais l'attention ne se dilue car le fil de ce véritable suspens est gardé tendu jusqu'à la fin. Les prix d'interprétation sont totalement justifiés à mes yeux: tous les acteurs, toutes les actrices sont excellents. Aucun des personnages n'est radicalement figé dans une posture de salaud ou de victime, tous mentent et trichent à cause de cette peur qui imprègne leurs vies, aucun n'est gagnant en fin de compte. Et surtout pas la jeune Termeh, qui perd toute innocence enfantine dans le cours du film, et à qui la dernière scène, magistrale, appartient.

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