samedi 15 octobre 2011

Habemus Papam (Nanni Moretti, 2011)

Le Vatican est en émoi, les cardinaux sont réunis en Conclave à huis clos pour élire le nouveau Pape. Le consensus est long à venir et, après plusieurs tours infructueux qui échouent à départager les mêmes favoris, les voix finissent par se porter sur le cardinal Melville (Michel Piccoli). Il est pressé de mettre fin à l'attente des fidèles massés sur la place Saint-Pierre-de-Rome en s'adressant à eux du haut de son balcon mais au dernier moment l'angoisse le saisit, il n'est pas à la hauteur de sa charge, il recule. 
Tant que le Pape ne s'est pas officiellement exprimé le Conclave ne peut être dissout, ni l'identité du nouveau Souverain Pontife révélée au public, aussi le Vatican se transforme-t-il en un mélange de colonie de vacances (dont les pensionnaires seraient substantiellement plus âgés que la moyenne) et de bunker duquel aucun signe de la panique qui règne ne doit filtrer. 



Dès que j'ai appris que le nouveau film de Nanni Moretti serait centré sur un Pape en crise existentielle, j'ai jubilé. J'aurais trépigné de toute manière à la seule annonce d'un film de Moretti, mais de le savoir sur le point de s'attaquer à l'Eglise catholique, comment dire? Après le Berlusconi soigneusement destructuré dans Le caïman, on ne pouvait que sentir le potentiel de ce sujet pour servir de terrain de jeu à l'ironie mordante de l'auteur.  

L'ironie, de fait, ne manque pas. Les augustes cardinaux sont dépeints comme d'affreux garnements légèrement irresponsables et portés à la tricherie. Un psychanalyste (argh!) athée (horreur!) joué par Moretti lui-même est appelé en urgence pour tenter de soigner le Pape, mais il ne lui est permis ni de s'isoler avec son patient, ni de lui poser la moindre question qui pourrait le mettre en porte-à-faux avec le dogme religieux, et qui sont bien sûr les sujets de prédilection des analystes. Le porte-parole (Jerzy Stuhr), devant la dépression du Saint-Père qui se prolonge et se change en fugue pure et simple, imagine un stratagème tout bonnement diabolique pour donner le change: installer un Garde Suisse plutôt joufflu dans les appartements du Pape afin que son ombre, sa silhouette et sa main à la fenêtre soient pris pour ceux de l'occupant légitime des lieux. Le résultat dépasse de loin ses espérances puisque le maintien de ces minces apparences semble restaurer la paix du Conclave (où l'on voit que le decorum finit par prendre le pas sur le fond), qui par ailleurs s'est transformé en tournoi de volley-ball sous l'impulsion du psy gardé captif.



Alors oui, ironie, mais on est loin du jeu de massacre que certains attendaient manifestement au vu du grand-guignol ravageur qui imprégnait Le caïman (oui, encore lui), et qui fait que j'ai lu pas mal de commentaires assez tièdes et déçus sur Habemus Papam. La tendresse est très présente ici, pour dépeindre un rituel étouffant qui infantilise tous ces vieux bonhommes à force de les entourer à chaque instant de leurs vies. Et c'est particulièrement vrai pour le Pape nouvellement nommé, qui d'un coup se sent étouffer face à l'énorme charge qui lui tombe dessus, et à laquelle rien ne l'avait jamais préparé vu qu'il comptait jusque-là parmi les Monsieur-Tout-le-Monde du clergé, d'autant qu'il se voit avant tout comme un acteur raté. Michel Piccoli, qui lui n'a plus rien à prouver depuis longtemps quant à ses talents d'acteur (225 films selon l'IMDb, excusez du peu, et parmi eux quantité de rôles majeurs) et qui de fait est excellent, incarne un vieil homme effaré de ce qui lui arrive, humblement désolé de causer tant de dérangement avec son petit mal-être intime mais pas moins désireux de résoudre son questionnement par lui-même et à sa manière, à son rythme et rien d'autre. Le portrait est bien celui d'un homme qui cherche à se définir au plus juste (autant pour ne pas se tromper lui que pour ne pas induire les autres en erreur à son sujet), un homme dépeint tout en fragilité et en compassion. La fonction papale n'est là que pour porter à l'extrême, quasiment à l'absurde, un exemple de ces péripéties de l'existence qui font que  soudainement, l'attention et les attentes se reportent sur une personne qui n'a pas fait le choix de les attirer.



.... Et encore une fois, comme pour le magnifique La piel que habito, force est de constater que les voies des jurys Cannois sont parfois difficilement pénétrables lorsqu'elles les conduisent à ignorer des films de cette qualité. Habemus boulam.



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