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Il m'aura fallu du temps pour m'intéresser à Steve McQueen autrement que comme à un malheureux homonyme. Et si j'ai fini par jeter un œil à ses films - deux à ce jour: les laconiquement titrés Hunger et Shame - , c'est en grande partie grâce / à cause de la tenace rumeur qui prétendait qu'un acteur de toute première force s'y ébattait.
Il m'aura fallu du temps pour m'intéresser à Steve McQueen autrement que comme à un malheureux homonyme. Et si j'ai fini par jeter un œil à ses films - deux à ce jour: les laconiquement titrés Hunger et Shame - , c'est en grande partie grâce / à cause de la tenace rumeur qui prétendait qu'un acteur de toute première force s'y ébattait.
La rumeur peut être garce et semer des fausses pistes, mais point de cela ici car il ne peut échapper à personne que Michael Fassbender n'est pas venu habiter nos écrans pour amuser la galerie (pour l'épater, peut-être, mais seul le temps nous le dira). Nous sommes bien en présence (avec tout ce que ce mot suppose d'incarnation, de dimension physique) d'un futur très grand, en tout cas de quelqu'un appelé à le devenir très bientôt si les grands vilains porcs du star-system ne le mangent pas.
Hunger: le combat politique du militant de l'I.R.A. Bobby Sands détenu à la terrible prison de Maze, depuis les éprouvantes "grèves de la propreté" (ruisseaux d'urine sur le sol, crépi d'excréments sur les murs) jusqu'à la grève de la faim qui lui coûta la vie. Le corps de Fassbender filmé comme un champ de bataille, lieu d'un conflit que le spectateur ne verra qu'au travers d'un prisme sensoriel, projeté sur la peau meurtrie des captifs. Seul répit dans cette physique de l'affrontement, une joute - verbale, celle-ci - entre Bobby et le prêtre venu tenter de le convaincre qu'il n'est pas nécessaire, pour faire entendre ses idées, d'aller plus loin encore. Le corps, la vie que l'on abandonne derrière soi comme la forme ultime de protestation - de refus en bloc - parce que justement si l'ennemi ne veut ni voir ni entendre il ne reste plus qu'à l'encombrer de cette enveloppe maltraitée, désertée.
Shame: quelques jours dans la vie de Brandon Sullivan, cadre supérieur qui vit dans un désert de sa propre fabrication, d'une aridité soigneusement entretenue, méticuleusement programmée. Dépouillement de son appartement (lignes épurées et camaïeux de noirs, gris et blancs tout droit sortis des pages "chic urbain" d'un catalogue de déco), raréfaction délibérée des rapports humains (il ignore les messages désespérés laissés sur son répondeur, échange à peine quelques mots ou verres avec ses collègues de bureau). Le secret de Brandon, c'est que sa vie tourne autour du sexe, celui qu'il télécharge, celui qu'il paye, celui qu'on lui offre, celui qu'il mime en se masturbant plusieurs fois par jour. De plaisir il n'est pas question, il ne s'agit que d'assouvissement, de quelques instants d'oubli de soi pourchassés avec hargne qui le font retomber d'autant plus durement dans le dégoût. C'est Sissy (Carey Mulligan), sa frangine échouée chez lui au bout d'une galère de plus, qui nous donne la clé du personnage de Brandon (qui autrement pourrait n'apparaître que comme un queutard compulsif): "We're not bad people. We just come from a bad place." ("Nous ne sommes pas mauvais. C'est seulement que nous venons d'un mauvais endroit.").
Et soudain c'est plus clair: le corps de Brandon, qu'il use dans le jogging et dans le pilonnage de tout corps passant à sa portée, est un lieu de conflit et une arme, comme pour le Bobby Sands de Hunger. Une bataille sans doute née à la suite de sévices subis pendant l'enfance, et qui se reflète aussi dans la propension de Sissy à ouvrir son lit et son cœur à tous les "Mister Wrong" possibles - cela n'est jamais clairement expliqué mais les quelques éléments qui nous sont donnés nous permettent de le supposer. Une bataille qui se rejoue, pour le frère comme pour la sœur, dans chaque misérable tentative d'établir une véritable relation, une qui dure, une qui ne se résume pas à l'utilisation d'un des partenaires par l'autre. Le corps de Brandon, pour souple, musclé et désirable qu'il est, n'en est pas moins malade car il abrite une âme infirme, qui tient à distance faute de savoir comment toucher l'autre et partager ses émotions.
C'est sur ce corps comédien que j'ai voulu centrer ce billet, car les films de McQueen sont chiches en informations sur la psychologie des protagonistes ou sur leur histoire, et peu de dialogues sont donnés aux personnages pour s'exprimer verbalement si l'on excepte le "morceau de bravoure" de Hunger. La mise en scène abuse aussi d'ellipses déroutantes, je trouve. Je n'ai rien contre le procédé en lui-même mais il demande une grande rigueur narrative, ce qui n'est pas le fort de McQueen. Autrement dit, le spectateur n'a pour ressource que la physicalité des acteurs, et de Fassbender au premier rang puisqu'il est chaque fois le fil conducteur, pour ressentir et tenter de comprendre ces histoires. Et même si la froideur toute théorique de la mise en scène joue en partie contre le film (on sent le réalisateur soucieux de n'omettre aucune étape dans sa démonstration) et met surtout en valeur la performance technique accomplie par l'acteur au détriment de l'empathie, Fassbender relève l'essentiel du défi. Un jour, Michael Fassbender et son corps de danseur se mettront au service d'un grand metteur en scène, et ce jour-là ça fera mal.
2 commentaires:
Beau billet (je n'ai toujours pas vu "Shame", honte à moi). Je te conseille "Fish Tank" et même "Eden Lake", Fassbender y brille également.
De mon côté je n'ai rattrapé mon retard sur "Hunger" qu'il y a peu, alors tu vois....
Et "Fish tank" est sur ma liste de films pas vus/à voir depuis pas mal de temps, va falloir que je mette mes pattes velues dessus.
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