Un homme et son petit garçon sur les
routes, qui tracent comme ils peuvent, qui mangent et dorment où ils peuvent.
Lui c'est Ali (Matthias Schoenaerts, révélé par
Bullhead - guetter la
référence-
private joke à son ancien
job "dans un abattoir"), grand gars plein de muscles, tout en
fonctions vitales pas compliquées. Il est affublé/encombré du petit Sam, son
fils, sans qu'on sache bien pourquoi tant il ne sait quoi faire de lui-même,
sans parler d'assumer sa paternité et les responsabilités qui vont avec. Tout
juste, au détour de quelques phrases lapidaires échangées avec sa sœur (Corinne
Masiero, la Violette Retancourt des adaptations TV des romans de Fred Vargas) qui
les accueille chez elle à Antibes, comprend-on que la maman était peut-être
encore moins que lui un modèle de comportement parental, et qu'à tout prendre,
bref, pourquoi pas...?
La carrure d'Ali et son passé dans les
arts martiaux lui valent de trouver très vite plusieurs boulots en rapport avec
ses imposantes qualifications. C'est en tant que videur de boîte de nuit que sa
route croise celle de Stéphanie (Marion Cotillard), sexy chipie blasée qui
écume les clubs pour allumer les hommes alors que son mec l'attend à la maison.
Ali la raccompagne, lui laisse son numéro sous le nez du jules furibard....
C'est Ali que la jeune femme rappellera lorsque l'un des orques qu'elle dresse
au Marineland l'aura privée de ses deux mollets et de l'envie de vivre. C'est Ali qui, sans qu'elle demande rien, la
ramènera vers la mer et vers la vie, Ali toujours "opé" (opérationnel)
pour lui montrer qu'elle est toujours une femme et que oui, là en bas, ça
fonctionne. Mais s'il s'occupe spontanément d'elle sans que cela paraisse lui
peser il n'est pas disposé pour autant à ce qu'elle le tienne pour acquis, à ce
qu'elle ait envers lui des exigences de petite amie en bonne et due forme. Pas
plus qu'il n'est prêt à prendre la pleine mesure de ses devoirs de père et à se
laisser aller à montrer l'étendue de sa tendresse pour son fils: la dépendance
envers un autre est une vulnérabilité qu'il ne peut accepter, rendre des
comptes lui est intolérable. Dur à la peine mais oublieux des conséquences de
ses actes (ou refusant de les prendre en considération), Ali va être rattrapé
par la réalité...
Il ne s'était pas écoulé plus de
quelques minutes de film que j'avais déjà la gorge serrée par l'émotion et les
yeux qui brûlaient. Ces deux silhouettes (le malabar et le petit bout) si
stoïques dans leur fatigue et leur dénuement, les courts cheveux blond pâle du
gamin ressemblant si fort à ceux de mon fils au même âge.... Inutile de vous
faire un crobar si vous aussi, vous êtes parent, c'est le genre d'images qui
vous flanque par terre. Le film évolue sur une fine ligne entre le drame social
tendance frères Dardenne (sec, s'interdisant également l'esthétisation ou la
dramatisation de la détresse) et le mélo flamboyant façon Douglas Sirk (on
pense à L'obsession magnifique pour le thème du handicap, ou à La ronde de l'aube pour le refus de
s'ouvrir à l'autre), un mélange pour le moins risqué. Le parti-pris d'une mise
en scène sensorielle, au ras des épidermes, s'avère être parfaitement adéquate
pour suivre des personnages qui sont montrés au-travers de leurs actions et de
leurs réactions, même si ce choix frustre par instants tant il laisse d'angles
morts quand il s'agit de comprendre. Vous m'objecterez que comprendre n'est pas
toujours utile, que ça ne m'a jamais posé de problème s'agissant des films de
(au hasard) Claire Denis - je rétorquerai que certes oui, mais ici je ressens comme
un abus de zones d'ombre, ce qui nuit à la fluidité du récit. Un petit
ras-le-bol, par moment, des ralentis et des nappes musicales. Même si je
comprends en quoi Audiard l'a trouvé "signifiant", je hurle si
j'entends encore Fireworks de Katy
Perry, c'est sûr (pub auto, Madagascar 3...bientôt
la fête à la cochonaille de Crapouillac-le-Haut); par contre j'ai apprécié
l'utilisation pertinente de I follow
rivers de Lykke Li - comme quoi je suis une fille extrêmement cohérente.
J'avais plus qu'un peu d'appréhensions
à la perspective de voir Marion Cotillard, actrice multi-récompensée, singer le
handicap, la dépression et la renaissance, je me crispais à l'avance devant ce
qui aurait pu être le typique "rôle à Oscar" (quoi qu'elle en ait
déjà un).... et puis non, rien de tout cela. Une femme détruite, qui se
raccroche à un homme qui passe et s'en saisit pour se réinventer, du très beau
boulot en fait. Matthias Schoenaerts, totalement animal et monstrueusement
doux, est un cran au-dessus sans doute. La fin du film est à lui, lorsqu'il
s'effondre l'espace d'une minute au téléphone c'est vous qu'il pulvérise.