mardi 17 juillet 2012

Feels like a world upon my shoulders: De rouille et d'os (Jacques Audiard, 2012)

Un homme et son petit garçon sur les routes, qui tracent comme ils peuvent, qui mangent et dorment où ils peuvent. Lui c'est Ali (Matthias Schoenaerts, révélé par Bullhead  - guetter la référence-private joke à son ancien job "dans un abattoir"), grand gars plein de muscles, tout en fonctions vitales pas compliquées. Il est affublé/encombré du petit Sam, son fils, sans qu'on sache bien pourquoi tant il ne sait quoi faire de lui-même, sans parler d'assumer sa paternité et les responsabilités qui vont avec. Tout juste, au détour de quelques phrases lapidaires échangées avec sa sœur (Corinne Masiero, la Violette Retancourt des adaptations TV des romans de Fred Vargas) qui les accueille chez elle à Antibes, comprend-on que la maman était peut-être encore moins que lui un modèle de comportement parental, et qu'à tout prendre, bref, pourquoi pas...?



La carrure d'Ali et son passé dans les arts martiaux lui valent de trouver très vite plusieurs boulots en rapport avec ses imposantes qualifications. C'est en tant que videur de boîte de nuit que sa route croise celle de Stéphanie (Marion Cotillard), sexy chipie blasée qui écume les clubs pour allumer les hommes alors que son mec l'attend à la maison. Ali la raccompagne, lui laisse son numéro sous le nez du jules furibard.... C'est Ali que la jeune femme rappellera lorsque l'un des orques qu'elle dresse au Marineland l'aura privée de ses deux mollets et de l'envie de vivre.  C'est Ali qui, sans qu'elle demande rien, la ramènera vers la mer et vers la vie, Ali toujours "opé" (opérationnel) pour lui montrer qu'elle est toujours une femme et que oui, là en bas, ça fonctionne. Mais s'il s'occupe spontanément d'elle sans que cela paraisse lui peser il n'est pas disposé pour autant à ce qu'elle le tienne pour acquis, à ce qu'elle ait envers lui des exigences de petite amie en bonne et due forme. Pas plus qu'il n'est prêt à prendre la pleine mesure de ses devoirs de père et à se laisser aller à montrer l'étendue de sa tendresse pour son fils: la dépendance envers un autre est une vulnérabilité qu'il ne peut accepter, rendre des comptes lui est intolérable. Dur à la peine mais oublieux des conséquences de ses actes (ou refusant de les prendre en considération), Ali va être rattrapé par la réalité...








Il ne s'était pas écoulé plus de quelques minutes de film que j'avais déjà la gorge serrée par l'émotion et les yeux qui brûlaient. Ces deux silhouettes (le malabar et le petit bout) si stoïques dans leur fatigue et leur dénuement, les courts cheveux blond pâle du gamin ressemblant si fort à ceux de mon fils au même âge.... Inutile de vous faire un crobar si vous aussi, vous êtes parent, c'est le genre d'images qui vous flanque par terre. Le film évolue sur une fine ligne entre le drame social tendance frères Dardenne (sec, s'interdisant également l'esthétisation ou la dramatisation de la détresse) et le mélo flamboyant façon Douglas Sirk (on pense à L'obsession magnifique pour le thème du handicap, ou à La ronde de l'aube pour le refus de s'ouvrir à l'autre), un mélange pour le moins risqué. Le parti-pris d'une mise en scène sensorielle, au ras des épidermes, s'avère être parfaitement adéquate pour suivre des personnages qui sont montrés au-travers de leurs actions et de leurs réactions, même si ce choix frustre par instants tant il laisse d'angles morts quand il s'agit de comprendre. Vous m'objecterez que comprendre n'est pas toujours utile, que ça ne m'a jamais posé de problème s'agissant des films de (au hasard) Claire Denis - je rétorquerai que certes oui, mais ici je ressens comme un abus de zones d'ombre, ce qui nuit à la fluidité du récit. Un petit ras-le-bol, par moment, des ralentis et des nappes musicales. Même si je comprends en quoi Audiard l'a trouvé "signifiant", je hurle si j'entends encore Fireworks de Katy Perry, c'est sûr (pub auto, Madagascar 3...bientôt la fête à la cochonaille de Crapouillac-le-Haut); par contre j'ai apprécié l'utilisation pertinente de I follow rivers de Lykke Li - comme quoi je suis une fille extrêmement cohérente.

J'avais plus qu'un peu d'appréhensions à la perspective de voir Marion Cotillard, actrice multi-récompensée, singer le handicap, la dépression et la renaissance, je me crispais à l'avance devant ce qui aurait pu être le typique "rôle à Oscar" (quoi qu'elle en ait déjà un).... et puis non, rien de tout cela. Une femme détruite, qui se raccroche à un homme qui passe et s'en saisit pour se réinventer, du très beau boulot en fait. Matthias Schoenaerts, totalement animal et monstrueusement doux, est un cran au-dessus sans doute. La fin du film est à lui, lorsqu'il s'effondre l'espace d'une minute au téléphone c'est vous qu'il pulvérise.

Aucun commentaire: