dimanche 11 mai 2008

La secrétaire - Steven Shainberg, 2002



Lee Holloway est une petite chose un peu bancale et voûtée, qu'un rien blesse, elle sort sur la pointe des pieds de l'institution (psychiatrique?) qui l'a accueillie, guettant du coin de l'œil tout mauvais coup supplémentaire que pourrait lui faire le monde extérieur. Ça ne rate pas, le jour même ou quasi surgit un nano-évènement qui la heurte, au milieu de la débauche de tulle rose du mariage de sa sœur. Alors elle se rue, les yeux fermés ou presque car ces gestes elle les a faits si souvent auparavant, sur une petite trousse à tortures, ça y est on a compris ou on croit comprendre où va le film, mademoiselle s'auto-mutile, on va encore avoir droit au refrain de l'inadaptation sur fond de petite ville américaine, merci tonton Tim Burton...

Et en fait non, car Lee se ravise. Elle est plus intelligente que cela et ça tombe bien (pour nous, tant qu'à faire), car le film aussi.
Elle, la fille marginale par conviction intérieure plus que par condition sociale, décide de trouver sa place dans le monde, coûte que coûte. Pour faire mine d'être normale, il faut un boulot? Très bien, elle répond au culot à une annonce publiée par un avocat, le très maniaque et contenu E. Edward Grey, qui recherche une secrétaire. Trouvant au passage dans les regards en coin de celui-ci un reflet de ce qu'elle-même ressent, l'espoir d'une complicité qui la pousse à s'imposer pour obtenir le poste. L'espoir de se rendre utile, non, indispensable à quelqu'un, peut-être?

Il faut un fiancé, un mari? Elle se laisse courtiser sans grande conviction par un copain d'enfance, gentil nerd plein de tendresse. Elle se rend vite compte cependant que la juxtaposition de deux bizarreries sans lien de parenté ne font pas un couple pour autant, et qu'elle trouve sans effort chez son étrange patron une compréhension bien plus grande que tout ce qu'elle aurait pu imaginer trouver.

Je vous entends quasiment penser, lisant ces lignes: "Ah ben voyons, c'est tellement plus original en effet, de tomber amoureux de son supérieur hiérarchique! Et tu nous dérange pour si peu?". Ce n'est pas si peu, précisément, car la lente et clopinante approche de l'un par l'autre, faite de rebuffades d'un côté et de l'autre d'une acceptation en toute connaissance de cause, est passionnante, car follement juste, et traitée sans aucune mièvrerie. La beauté inconfortable de Maggie Gyllenhaal fait merveille, nous la voyons passer de la terreur de souffrir par autrui à la révélation de sa volonté au travers de la volonté d'un autre, nous la voyons embrasser la possibilité de s'épanouir comme une femme à part entière, et d'une façon qui n'appartiendrait qu'à elle - et à l'homme qu'elle a choisi. James Spader, que nous avions vu dans un rôle très similaire à celui-ci (et à celui de Lee!) dans Sexe, mensonges et vidéo, est très bon aussi en ce qu'il répond idéalement à la candeur triste de Lee au début du film, et qu'il s'oppose parfaitement, pris comme il l'est dans un carcan d'obsessions, à l'ardeur qu'elle finit par lui manifester. La mise en scène de ce conte de fées ironique a le mérite immense d'être tendre à ses personnages et de ne jamais trahir ni la cohérence de ceux-ci, ni nos attentes.

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