mercredi 19 novembre 2008

Les femmes de la nuit - Kenji Mizoguchi, 1948

Le Japon de l'immédiat après-guerre, appauvri et dévasté, est sans pitié pour les femmes. L'une d'elle, Fusako (Kinuyo Tanaka, déjà formidable dans de précédents films de Mizoguchi, en particulier Miss Oyu et La vie d'O'Haru, femme galante), tente de survivre dignement jusqu'au retour de son mari, parti au front. Sa sœur Natsuko, qui a vu leurs parents mourir de faim, gagne sa vie comme hôtesse dans un dancing. La jeune belle-sœur de Fusako, quant à elle, décide de fuguer pour s'émanciper d'un contexte familial délétère. Chacune de ces trois femmes, pour des raisons différentes, va connaître la prostitution dans une société qui ne leur laisse aucune autre alternative pour échapper à la misère noire.

Ce mélodrame aux cadrages ciselés, tourné 8 ans avant le (comparativement) très sobre La rue de la honte, a en commun avec ce dernier d'attaquer frontalement la question de la complaisance hypocrite de la société japonaise pour la prostitution. La charge est ici d'une violence qui demeure, même pour le spectateur d'aujourd'hui, extrême et choquante (dans le bon sens du terme: je veux dire par là que Mizoguchi atteint pleinement son but d'interpeller les consciences).
Les hommes de l'histoire vont du parasite (le beau-frère de Fusako) à la crapule (son patron, devenu l'amant de Natsuko), c'est peu dire qu'ils ne sont pas mis en vedette par un réalisateur dont le message féministe est asséné sans demi-mesure. Les seuls qui échappent à ces catégories sont le directeur d'un foyer pour femmes et son assistant, mais leur discours donne tellement dans l'angélisme béat en plaçant la responsabilité du changement entre les mains des femmes elles-mêmes (les coups durs traversés sont un encouragement à changer de vie; il suffit que chaque femme réforme sa conduite, elle servira d'exemple pour les autres) qu'il en est dépourvu de toute crédibilité, comme peut l'être une belle théorie inapplicable au réel. Mizoguchi fait d'ailleurs sortir son héroïne de la pièce sans un mot à la suite d'une telle tirade, achevant de miner ces propos bien-pensants.

Alors que Les musiciens de Gion et La rue de la honte mettront par la suite en lumière le fonctionnement de la prostitution, institutionnalisée par les maisons de geishas, comme une forme d'esclavage à peine déguisée, Les femmes de la nuit souligne plutôt la forme perverse de logique sociale qui préside à la "chute" d'une femme (et de tous les types de femmes, en réalité) et la conduit à vendre son corps. Ce qui nous est montré, c'est l'absence de choix pour ces femmes isolées (par la guerre, par la duplicité des hommes), absence de choix qui résulte non pas d'une fatalité intangible mais bel et bien de leur instrumentalisation par une société misogyne qui à force de les soumettre leur a ôté les moyens de mener une vie indépendante et droite. La scène finale, si elle est sans doute inutilement hystérique, montre également que cette chute, vécue par ces femmes comme une mauvaise passe, est en réalité vue comme irrévocable par la société. Les prostituées ne supportent pas que l'on quitte leur confrérie, pas davantage que les "bonnes gens" ne tolèrent que l'on dévie du droit chemin.

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