Parfois, il n'est pas possible de comprendre quelqu'un, même quelqu'un dont on a été très proche. C'est à cette conclusion que parvient (et nous fait parvenir) The reader, film sensible et suffisamment inattendu, dans son refus de plaquer une morale ou une explication, pour valoir d'être vu.
Michael (David Kross) a été l'amant d'Hanna (Kate Winslet) dans l'Allemagne de la fin des années 50. Il avait 15 ans et elle 20 de plus, elle aimait qu'il lui lise des livres entiers, avant ou après l'amour. En-dehors de cela il ne savait pas grand-chose d'elle, aussi fut-il pris de court par son départ brutal. Quelques années plus tard, muri d'avoir eu cette souffrance d'avance sur les jeunes de son âge, il la retrouve assise au banc des accusés et découvre que son amante avait été gardienne en camp de concentration. Le Michael devenu adulte (Ralph Fiennes) devra tenter de vivre avec les traces laissées sur sa vie par cette relation, et par les silences d'Hanna.
Je me dis que sans doute la raison pour laquelle il est question de la Shoah dans ce film (s'il faut qu'il y ait une raison), c'est que cet épisode atroce de l'Histoire est à l'heure actuelle la source de la plus complète incompréhension. Comment appréhender, comment rationaliser ce que certains êtres humains ont infligé à d'autres? Et si parmi les bourreaux se trouvait quelqu'un qu'on a aimé et qui nous a marqué à jamais? Comment vivre avec ce hiatus majeur entre les images de tendresse et l'idée de l'horreur? Hanna, tout occupée à ne jamais laisser filtrer son secret, sa honte (elle est analphabète), s'avilit jusqu'au point où elle n'a d'autre choix que d'aller au bout de sa logique frustre et de participer au massacre. Jamais elle ne cherchera à s'en excuser, et jamais le film ne lui proposera de rédemption - parce qu'elle n'est pas accessible pour cette étendue de crime. Michael accompagne à distance Hanna emprisonnée en lui envoyant des enregistrements de ses lectures, ressuscitant ainsi le souvenir de la femme qu'il a connue (la seule version d'Hanna qu'il ait l'illusion de comprendre).
Il se passe ici quelque chose, non simplement entre les acteurs mais entre les personnages (puisque Michael est incarné par deux acteurs différents, pour des époques différentes de sa vie) qui donne à sentir l'humiliation et la douleur, l'incapacité à pardonner ou à oublier, la futilité même de tout jugement moral. J'ignore si le film ressemble au livre sur ce point, je vais tâcher de me faire une idée dès que possible.
Kate Winslet est incroyable mais bon, que pouvais-je vous dire d'autre?
4 commentaires:
J'ai trouvé également que le film était admirable parce qu'il montrait toute la difficulté de juger quelqu'un. Et je n'ai pas compris les rejets violents de certains critiques.
Moi non plus je n'ai pas vraiment compris.
J'ai une interprétation qui vaut ce qu'elle vaut mais qui semble en tout cas s'appliquer à une bonne partie des critiques négatives que j'ai pu lire ou entendre jusqu'ici sur ce film. C'est comme si le simple fait que le film traite de la Shoah (marginalement, au fond) constitue en soi un "point de Godwin" qui empêche de voir toute autre thématique développée par le film et discrédite d'office tout ce qu'il cherche à dire (comme si on n'avait pas le droit d'en parler de cette manière-là). C'est un peu, à une autre échelle et pour d'autres raisons, ce qui est arrivé à "La vie est belle" de Benigni.
Je suis en train de rattraper mes podcasts du "Masque et la Plume" en retard et j'ai écouté récemment les commentaires concernant "The reader". Une critique (Danièle Heymann? Sophie Avon?) soulignait qu'elle voyait dans le film ce qui se trouvait déjà dans le livre, la thèse que la barbarie naissait "mécaniquement" de l'ignorance. N'ayant pas (encore) lu le livre, je ne peux pas me prononcer sur ce point, mais je n'ai pas eu une seconde l'impression que le film soutenait cette théorie.
C'était le Masque et la Plume, en effet. J'ai l'impression, comme toi, qu'il y a une sorte de surinvestissement affectif en ce qui concerne la Shoah. Si l'on s'en tient au film, je n'ai pas lu non plus le livre et cela n'est pas nécessaire pour parler du film, le personnage de Winslet n'est pas dédouané de ses fautes, il possède juste une épaisseur psychologique supplémentaire, un drame personnel qui s'ajoute au rôle qu'elle a tenu durant cette période. Cela ne l'excuse en rien, cela en fait un être humain dans toute sa complexité. Beaucoup ne voient dans cette période qu'un conflit manicchéen, il faut être un barbare ou un innocent... Juger que c'est son ignorance qui provoque la barbarie est un peu court, trop expéditif. C'est plus une estime de soi, un manque d'identité qui l'amène à se surpasser dans ce qu'elle sait faire, ce qu'on lui demande de faire, une fuite aveugle du comportement où il lui manquerait la réflexion, la distance critique. Sa fêlure personnelle est son drame. La sensualité de Winslet et la dureté qu'elle sait rendre de ce personnage complexe n'est pas traitée par ce genre de critiques expéditives. Dommage.
"C'est plus une estime de soi, un manque d'identité qui l'amène à se surpasser dans ce qu'elle sait faire, ce qu'on lui demande de faire, une fuite aveugle du comportement où il lui manquerait la réflexion, la distance critique."
C'est aussi ma lecture du personnage. Dans le film on a d'ailleurs connaissance de deux moments de sa vie où on lui propose une promotion vers un travail de bureau (ce qui l'exposerait à révéler son analphabétisme) et où elle réagit en prenant la fuite (elle abandonne son jeune amant, ou elle s'engage dans la SS). On voit bien que dans ces instants-là elle s'humilie, s'avilit délibérément pour se remettre à un niveau de subordination où personne ne viendra lui demander d'accomplir une tâche assez "noble" pour nécessiter de savoir lire ou écrire. C'est comme si elle se voyait comme du bétail, en fait.
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