dimanche 18 juillet 2010

Trouble every day (Claire Denis, 2001)

Trouble every day est peut-être (est à mes yeux, en tout cas) le film qui capture le mieux la sensualité de la peau humaine, le trouble diffus qui vous envahit lorsque vous fixez un morceau d'un corps qui vous attire, l'excitation extrême de se se tenir dans l'arôme qui en émane, le frisson du toucher dérobé.... 

Toute l'histoire semble n'être qu'un prétexte ténu pour explorer cette dimension, un exercice de style de haute volée pour la metteuse en ambiance Claire Denis et pour Agnès Godard, sa chef-op de prédilection et complice de longue date.



Ah oui au fait, l'histoire. Un peu tirée par les cheveux du fantastique sans doute? (oui enfin c'est sans doute la professionnelle de la blouse blanche en moi qui ne peut s'empêcher de rouméguer) Léo Sémeneau, la femme de celui-ci, Coré, et Shane Brown (Alex Descas, Béatrice Dalle et Vincent Gallo) étaient autrefois trois chercheurs scientifiques travaillant sur les propriétés de plantes de la forêt vierge guyanaise. Shane, trop sensible aux offres financières alléchantes d'un puissant groupe pharmaceutique, avait un jour volé les découvertes faites par Léo, son supérieur, et expérimenté dans son dos certaines des substances isolées sur lui-même et sur Coré, qu'il convoite. 


Nous découvrons tout ceci au fil des rares dialogues et flashes-back qui émaillent l'action (qui se situe des mois ou des années plus tard par rapport à ces évènements fondateurs), alors que les trahisons semées par Shane trouvent leur conclusion désastreuse. Coré est devenue une bête fauve, gardée (enfermée) tant bien que mal par un Léo reconverti en médecin de campagne pour mieux cacher au monde le mal de sa femme. Car Coré ne se contente pas de "lever" des camionneurs de passage (adultère sordide mais somme toute banal), elle les dévore, littéralement, ses pulsions ne se satisfaisant que dans un contact vorace avec les chairs de l'autre. 


Il ne nous faut que quelques plans pour comprendre que Shane souffre du même mal: il suffit de le voir effleurer (en se contenant à grand-peine) le bras blanc de l'enfantine June, sa toute jeune femme (Tricia Vessey), se masturber douloureusement dans la salle de bain, incapable de lui faire l'amour sans aussitôt la déchirer en lambeaux, ou encore fixer la nuque gracile d'une femme de chambre frondeuse (Florence Loiret-Caille, impeccable dans un rôle quasi-muet)...



L'angoisse et la souffrance coulent aussi placidement que le sang répandu sur les herbes du bas-côté d'une route par Coré, elles s'exhalent par les pores de ces épidermes arpentés de si près par la caméra de Claire Denis, dans des clairs-obscurs qui donnent le sentiment que le tournage s'est déroulé sous terre. Tellurique aussi, l'interprétation de Béatrice Dalle: qui d'autre qu'elle aurait pu aussi pleinement donner libre cours à l'animalité absolue requise par le rôle? On la voit infra-humaine, déployant tour à tour des réflexes et un regard de prédateur (lors de ses "chasses") et un abandon las de tout, lorsque son mari la lave patiemment du sang qui la recouvre. 



Ces ardeurs cannibales induites chez Shane et Coré, métaphores d'une libido inextinguible et pathologique, les obligent l'un et l'autre à une fuite en avant vers plus de victimes, tout en les rendant incapables de trouver le bonheur avec leurs conjoints respectifs. Sans vouloir interpréter pour autant le film à la lumière d'un moralisme prêchant la monogamie voire la chasteté (je ne pense pas que ce soit ni le style ni le propos de Claire Denis), j'y vois en tout cas une représentation (extrême, mais facile à ressentir car personne ne peut ignorer l'effet de la faim, c'est sans doute une des sensations les plus basiques du règne animal) des ravages de l'addiction (quelle que soit cette addiction) sur ceux qui en souffrent et sur leur entourage.




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