samedi 21 mai 2011

Les proies (The beguiled), Don Siegel, 1971

Quelque part au cœur du Sud Confédéré sous la mousse espagnole qui pend partout des arbres, vers la fin de la Guerre de Sécession. Miss Martha (Geraldine Page), vieille fille issue de l'aristocratie Sudiste, mène d'une main ferme et rigoureuse un pensionnat de jeunes filles, assistée de la douce Edwina (Elizabeth Hartman). L'existence de l'école est tout entière suspendue à la protection toute relative procurée par les quelques patrouilles Confédérées qui résistent tant bien que mal à l'avancée des Nordistes. Encore que, dès lors que l'établissement n'est peuplé que de femmes, quel que soit le bord elles sont en danger, cernées comme elles le sont par des hommes qui, par temps de guerre, se permettent tout et surtout le pire...

 
Leur équilibre précaire va se trouver totalement bouleversé lorsque la plus jeune des élèves, Amy (Pamelyn Ferdin), va s'aventurer à l'extérieur et en ramener un soldat Yankee gravement blessé. Amy se prend d'une affection d'abord enfantine pour le caporal John McBurney (Clint Eastwood), qu'elle se propose de soigner à la manière de la tortue et du corbeau qu'elle a recueillis. Mais ce sentiment pur va se teinter d'une convoitise plus trouble tandis que la présence de cet homme (le premier qu'elles aient vu de près depuis longtemps, le seul alentour qui soit totalement à leur merci du fait de son état, qui le rend plus faibles qu'elles) déchaîne les passions et réveille les frustrations des femmes, jeunes et moins jeunes, emmurées vivantes en ce lieu. 



Les pulsions de Carol (Jo Ann Harris), la dévergondée locale, sont celles, plutôt simples, d'une adolescente frondeuse en pleine tempête hormonale, mais McBurney a tôt fait de flairer une aubaine qui s'étend bien au-delà de la jeune fille qui ne demande qu'à s'offrir à lui. Il comprend que ce gynécée improbable, qu'il est le seul à pénétrer (heu, sic), le met à l'abri du conflit qui fait rage au-dehors s'il trouve le moyen de se rendre indispensable à chacune. Il s'attache alors à fournir à chacune ce qui lui manque désespérément: à Carol le sexe sans façon (c'est peut-être là sa mission la plus facile), à Edwina l'illusion d'avoir trouvé un homme qui, enfin, la respecte, à Martha un substitut à son frère disparu, à Amy un confident. Il joue ainsi cyniquement sa partition avec chacune, les manipulant toutes sans vergogne, jusqu'à ce que, sa duplicité (triplicité? quadruplicité?) découverte, l'histoire tourne au cauchemar... 


Arrivée à ce point du film je m'interdis d'en dévoiler plus. Il me semble de toute manière que la description de la suite ne suffirait pas à rendre pleinement la brutalité du basculement dans l'horreur, une horreur d'autant plus glaçante qu'elle est administrée en douceur par Miss Martha, passée du statut de princesse fanée à celui de prêtresse folle dévouée à la permanence d'un monde qui s'écroule. Le film prend une qualité de plus en plus onirique pour nous montrer comment le conte, pour pervers qu'il soit, n'en déroule pas moins sa logique déviante avec une froide méthode. Les proies, les abusées du titre (français comme anglais), poussées à bout par une tromperie venue éclairer trop crûment leur étouffante vulnérabilité, sont finalement devenues bourreaux à leur tour.

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