New York, 1955. Le détective privé Harry Angel (Mickey Rourke) est approché par le très étrange et manucuré Louis Cyphre (Robert De Niro) pour retrouver le crooner Johnny Favourite. Celui-ci, en dette vis-à-vis de Cyphre, semble avoir disparu après être rentré de la guerre, blessé et amnésique. La piste de l'ancien chanteur de charme emmène Harry sur les terres imprégnées de vaudou de la Nouvelle Orléans, alors que sur son passage les cadavres s'accumulent...
Angel heart est un film que j'affectionne pour sa qualité de cauchemar poisseux et oppressant. Jusqu'à un certain point, la méticulosité de la reconstitution de l'Amérique des années 50, la perfection des éclairages (un peu poudrés, ambrés et comme chargés de la fumée des clopes qu'aujourd'hui on ne peut plus griller en intérieurs), bref la qualité picturale pure de chaque plan (Rourke conversant avec un type dans un transat à Coney Island, le ciel rosé du couchant les écrasant de sa splendeur; Rourke et M. Kruzemark au bord du champ de courses dont les lices dessinent des lignes de fuite impeccables) peut faire "sortir" de cette histoire il est vrai tirée par les cheveux. On peut au contraire considérer que l'esthétisme raffiné déployé par Parker (comme peut être raffinée, sous la subtile pourriture, une vieille demeure Sudiste au milieu de son bayou) et les multiples rappels des motifs mêlant les visions de Harry à des symboles religieux et à souvenirs enfouis (dans des proportions que l'on ne connaîtra vraiment qu'à la fin) renforcent l'impression de pénétrer dans un songe aussi maléfique que cohérent dans sa logique déviante. Pour moi ça fonctionne à mort, j'adore avoir peur, j'adore les histoires de sorcellerie, et les vieux machins rouillés qui font "croui-croui-croui" pendant des heures me donnent la chair de poule - ah mince faut pas parler de volailles, Harry les a en horreur.
C'est aussi un plaisir de revoir Mickey Rourke à l'époque où il avait un visage et pas un œdème de Quincke géant, de redécouvrir que, bien que ce film-ci soit sorti peu avant du très surfait Neuf semaines et demie (on ne dira jamais assez l'influence déplorable de ce truc sur les carrières de Rourke, Lyne, Basinger et sur les galipettes érotico-alimentaires), c'était un acteur à part entière. Dans ce rôle il a en même temps la dégaine blasée et chiffonnée du private eye archétypal (genre je bosse sur l'affaire même quand je sirote mélancoliquement un bourbon dans un bar sorti d'un tableau d'Edward Hopper) et le sourire vague et mouillé du petit garçon perdu qui ne comprend plus rien à ce qui l'entoure. On ne peut pas s'empêcher de regretter qu'il ait perdu, avec le temps et les opérations, la capacité faciale à restituer autant d'émotions, et je me suis prise à rêver de ce qui aurait pu être... D'autant qu'en face, apparaissant de temps à autres dans l'histoire, il y a quelqu'un qui était déjà, qui est toujours, un des plus grands acteurs qui existe, Môssieur Bob De Niro en personne. Qui biche visiblement à incarner un être inquiétant à force d'être suave et debonair, sans extravagance autre qu'une chevelure luxuriante (il sortait de Mission, forcément) et des ongles à la manucure... inhabituelle. Il se fait d'autant plus impassible et courtois que Rourke se liquéfie d'angoisse au fur et à mesure que l'histoire progresse, et le face-à-face entre les deux hommes en est d'autant plus délectable.
Je finis sur une petite gourmandise pour ceux qui aiment repérer certains visages, pas forcément les plus célèbres, là où on ne les attend pas, et les suivre de film en film. L'un des deux inspecteurs de police qui viennent interroger Rourke à la Nouvelle Orléans n'est autre que l'excellent Pruitt Taylor Vince, acteur bouleversant du méconnu Heavy (premier film de James Mangold, hé non ce n'était pas Cop Land) et vu plus récemment dans plusieurs séries TV (il est notamment J.J. LaRoche dans The mentalist). A l'époque de Angel heart, il était considérablement moins corpulent que maintenant, mais si l'on regarde bien on peut remarquer son nystagmus caractéristique.
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