dimanche 8 janvier 2012

Little monsters that rule the world: Carnage (Roman Polanski, 2011)

Ou comment des adultes responsables, socialement intégrés et fiers d'eux-mêmes et de leurs accomplissements respectifs, finissent par se mettre sur la figure pour s'être mêlés d'une bagarre entre leurs fils (que ceux-ci ont déjà oubliée). Ou comment ces mêmes adultes ont fini par surinvestir certaines composantes de leur vie (animées - enfants, hamster - ou inanimées - livres d'art, sac à main, Blackberry) et par les considérer comme des appendices irremplaçables, presque des raisons d'être à part entière, ne souffrant ni contestation ni dommage. 






Tout commençait pourtant pour le moins mal, par la conciliation entre les parents de l'agressé, Penelope et Michael Longstreet (Jodie Foster et John C. Reilly), et les parents de l'agresseur, Nancy et Alan Cowan (Kate Winslet et Christoph Waltz). Ces gens-là n'ont rien à se dire et n'auraient jamais dû se rencontrer, mais voilà, ils se sont mis en tête qu'il y avait un problème à résoudre et que pour cela, ils devaient absolument parler ensemble, parce que c'est ainsi que doivent se conduirent, pensent-ils, les parents responsables. Mais de compassion feinte en remarques ambiguës attrapées au vol, de vomissements volcaniques en verres de whisky, la situation ne fait que dégénérer - une course folle de l'empoignade verbale à la confrontation physique, une boule de mauvaise foi massive dévalant la pente des compromissions huileuses et des rancœurs nichées au sein de chaque couple. 

Tout comme dans Art, précédente pièce de Yasmina Reza qui connut un grand succès, Carnage (qui est une transposition au cinéma de la pièce Le dieu du carnage) est centré sur l'affrontement entre des visions irréconciliables du monde et de l'homme, qui finit par lacérer le fin voilage des convenances - ce que nous définissons habituellement comme "la civilisation". On peut tomber (ponctuellement) d'accord sur un sujet particulier, il n'en demeure pas moins qu'Alan est un monument de cynisme et de sans-gêne, que Nancy s'étrangle littéralement d'amertume, que Penelope est une chieuse moralisatrice (l'expression "holier-than-thou" semble avoir été inventée pour elle) et que Michael est un mou de la plus belle eau. Tour à tour ils se retrouvent sur la sellette face au groupe ou à leur conjoint, tour à tour ils se massacrent à belle dents - le style très cruel de Reza fait merveille. Les acteurs ont été choisis pour leur abattage et ils remplissent pleinement le contrat, ils sont excellents. J'avoue un faible pour John C. Reilly qui joue à fond de son physique de gros nounours et de son rôle-type de gros neuneu pour mieux nous laisser la surprise d'un décapsulage dantesque (le "Maybe I just want to be a fucking son a bitch!" lancé à sa femme horrifiée est une splendeur). 

Le format très ramassé du film (à peine 1h20) permet de garder une progression soutenue de la tension et une mouvance constante des rapports de force, sans la lassitude qui aurait pu s'immiscer du fait des limitations d'un huis-clos et de personnages caricaturaux. Il ne faut pas chercher non plus la patte du réalisateur dans tout ceci, ce qui n'est pas forcément un mal pour moi car j'ai toujours eu du mal avec Polanski. The ghost writer, que j'ai apprécié, sentait l'auteur et ses thèmes paranoïaques étaient habilement entre-tissés dans le scénario. Ici on est davantage dans l'exercice de style récréatif, mais finalement pas bien nourrissant - comme un goûter d'enfant, riche en chocolat mais peu soucieux d'apport en vitamines.

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