dimanche 4 mars 2012

Loving you isn't the right thing to do: The furies (Anthony Mann, 1950)

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Un coin de Texas où les gens et les bêtes ne savent respecter que la main qui les mate, que la volonté qui les met à terre. T.C. Jeffords (Walter Huston) est un peu le Dieu tutélaire de ce pays, un Zeus truculent, ombrageux et protecteur à la fois, mais que la soif de domination foncière rend impécunieux. Son fils est loin de remplir les immenses bottes paternelles, mais heureusement pour le ranch familial "Les furies", sa fille Vance (Barbara Stanwyck) est plus qu'à la hauteur de la situation. Vance est à la fois l'intendante de l'ombre des "Furies" et le substitut de sa propre mère (dans le cœur de T.C., sinon ailleurs... oui, un parfum d'inceste latent flotte sur ce western), une évaporée morte trop tôt et dont le culte est maintenu par l’irascible veuf. Vance est tellement jusqu'à la moelle la fille de T.C. que l'un comme l'autre préfèrerait annihiler l'adversaire (quel qu'il soit), ou être annihilé soi-même, que de se rendre. Tous deux poussent cette logique primitive jusqu'à l'absurde, en s'affrontant plus férocement encore sur le terrain intime (de leur propre relation père-fille, des relations amoureuses de chacun). 




Fatalement (comment ne pas parler de vengeance et de destruction s'agissant des Furies?), leur conflit anéantira par ricochets les gens qui tiennent à eux et qui sont susceptibles de les ramener à la raison. Ainsi, la bourgeoise Flo (Judith Anderson) que devait épouser T.C. est défigurée par une Vance rendue ivre de rage à l'idée de perdre le contrôle des "Furies" au bénéfice de sa future belle-mère. Et peut-être aussi parce que Vance ne tolère pas que T.C. ait choisi une femme raffinée et policée, l'exacte antithèse de sa rude fille... Le tendre Juan Herrera (Gilbert Roland), ami d'enfance de Vance (pas-très-secrètement amoureux d'elle) et chef d'un clan de squatters mexicains refusant d'abandonner la terre de leurs ancêtres à l'appétit de T.C., sera pendu sur ordre de ce dernier sur un prétexte fallacieux. Il n'y a pas à chercher très loin le véritable motif, il s'agissait de priver Vance de son seul soutien désintéressé face à son père, et de venger l'affront que représentait l'attaque contre Flo... Rien de surprenant non plus à ce que Vance choisisse de jeter son dévolu sur Rip Darrow (Wendell Corey, un peu léger pour faire le poids face aux monstres d'acteurs que sont Huston et Stanwyck), le fils d'un ancien rival de T.C. que la déchéance de son père a fait grandir dans une haine farouche du vieux despote. L'homme que se choisit Vance est donc le seul, dans les environs, à être ataviquement obligé de s'opposer sans faillir à la domination de T.C., le seul homme que Vance puisse choisir pour mari avec la certitude absolue de hérisser son père. 




Les Jeffords père et fille sont inaccessibles à la compassion ou à la nuance, la négociation n'a aucun sens pour eux. Leur vie consiste à écraser leurs opposants et aucune autre option n'est jamais considérée - pour quoi faire après tout, puisque leur force suffit à obtenir ce qu'ils souhaitent? Leurs relations de famille sont aussi tendres et protectrices que celles que l'on voit chez certains grands prédateurs: le défi du vieux par le jeune est pour ainsi dire inscrit dans leurs gènes, c'est le passage obligé pour prendre la tête de la meute. Tels des loups, T.C. et Vance se mesurent l'un à l'autre en permanence - se jaugent, se donnent des coups de griffes et de crocs - mais même alors ils se retrouvent toujours pour lécher mutuellement leurs plaies. Car se sont en définitive leurs différends, et leur manière identique de les régler - par le combat jusqu'au sang - qui les définit, qui est l'essence même de leur lien familial.

Les furies, c'est un peu Les Hauts de Hurlevent au Texas: les prises de vues, en extérieur comme en intérieur, ont une saveur clairement gothique (contrastes puissants, constructions et massifs rocheux surplombant les personnages de leur menace), les relations entre les personnages (tous ombrageux, hautains, orgueilleux) claquent comment la foudre sur la lande dépeinte jadis par Emily Brontë. La présence de Judith Anderson, qui fut la Mrs Danvers de Rebecca, film adapté d'un roman reprenant les codes du gothique, renforce encore cette atmosphère insolite. 

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