Je ne me suis pas encore remise du
choc que j'ai éprouvé en découvrant ce film, à l'été 2008. Les sentiments,
maintenant que je me suis décidée à le revoir, ne se sont manifestement pas
altérés. Il fallait bien ces quelque quatre ans, un tel film ne peut se
visionner à la légère. Aussi, le moment semblait adéquat pour le revoir, je
venais juste de terminer l'album "Gaza1956" de Joe Sacco, qui traite des exactions commises à Khan Younis et Rafah par les soldats
Israéliens.
Ari Folman, à sa manière, fait
également œuvre documentaire en nous racontant sa quête, au départ très
personnelle. Jeune soldat Israélien de 19 ans, il est envoyer participer à la
première guerre du Liban. Des années plus tard, devenu quarantenaire, il
s'aperçoit qu'il n'en garde aucun souvenir. Il sait juste qu'il était sur les
lieux, sait, parce qu'on le lui a dit, qu'il a été témoin de la découverte des
massacres perpétrés dans les camps de Sabra et Chatilah. Ce qui reste obscur,
c'est son rôle à lui dans cette histoire. Le cauchemar qu'un ami (lui aussi ancien
soldat) lui raconte fait remonter quelques images, quelques visages de ce
temps-là. En partant à la recherche de ces visages - des personnes qui l'ont
cotoyé à l'armée et peuvent l'aider à se repérer dans ce passé occulté - il
fait petit à petit émerger ses propres souvenirs, entrelacés aux souvenirs des
autres protagonistes.
La grande réussite du film est dans ce
mélange délicat, sensible mais sans pathos racoleur, entre l'intime et le
collectif, entre la subjectivité et la page d'Histoire. C'est sans nul doute
lié à la démarche d'enquêteur assumée par Folman et à son besoin personnel de
ranimer sa mémoire. Toujours est-il que cela imprègne chaque étape du parcours
d'une poésie déchirante - non dans un souci d'embellir des faits insoutenables,
mais comme une composante à part entière du point de vue de chacun des
interlocuteurs rencontrés par le réalisateur. La géante qui emporte le soldat
puceau loin des combats à venir, l'aube factice des fusées éclairantes sur une
ville Libanaise, la paix trompeusement idyllique d'un verger où guettent les
ennemis, les pirouettes désespérées et gracieuses d'un soldat acculé par les
snipers: autant d'images derrière lesquelles de très jeunes hommes, presque des
enfants, jouent à ne pas voir la mort qui fait des ravages parmi eux et dont il
sont parfois les instruments. Comme si la peur dans laquelle ils vivent
conjurait la beauté, ou du moins son apparence, en guise de mesure de survie.
Le recours à l'animation procède de
cette volonté de mise à distance d'un réel trop cru, trop blessant. Je sais que
ce procédé a fait débat, mais pour moi il contribue à traduire visuellement le
tissu d'autofiction (on pourrait dire aussi d'illusionnement, tout est question
de point de vue) qui s'est déroulé chez Folman, et sans doute aussi, dans des
mesures variables, chez d'autres personnes qui ont vécu de semblables
traumatismes. Jusqu'à ce que ce fin voile se déchire, et que l'animation laisse
place aux prises de vues réelles - qui nous montrent ce que les yeux du
réalisateur avaient oublié avoir vu.
Valse
avec Bachir est un film terrible à voir parce qu'il affirme que même
lorsqu'on ne savait pas, même lorsqu'on savait sans savoir (une partie de
l'horreur mais pas la totalité), même lorsqu'on n'a jamais été le bourreau, on
ne peut être considéré comme innocent. Et il n'est pas tout à fait impossible
que ce soit ce message subversif qui l'ait privé de récompenses
qu'artistiquement il méritait mille fois....
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