dimanche 16 septembre 2012

Prometheus (Ridley Scott, 2012): mystique organique

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Quelle friandise que la perspective d'un approfondissement de la mythologie mise en place dans Alien, qui plus est proposé par le chef d'orchestre du film original, sir Ridley Scott lui-même! Si vous me demandez (en tout cas, je vais faire comme si, ne vous dérangez pas), ça ne se refuse pas, quand bien même on se doute que ce prequel ne saurait atteindre le degré d'innovation de l'illustre prédécesseur. Mais c'est ainsi, on ne révolutionne pas un genre (ni, a fortiori, plusieurs genres) chaque matin en grignotant son petit-déjeuner, aussi le cinéma a-t-il tendance à nous alimenter abondamment en références croisées, quand ce n'est pas en redites. 



Prometheus ne peut pas prétendre à la portée d'Alien, c'est entendu, mais pour ceux qui se sont régalés des sophistications cruelles du cycle biologique de notre xénomorphe préféré et de son rapport, disons, conflictuel à l'espèce humaine (un coup je te tue, un coup je t'utilise comme incubateur), c'est la fête du slip. Ou de la petite culotte de Sigourney, l'équivalent (en bande Velpeau) étant ici porté par la menue Noomi Rapace (la Lisbeth Salander de la première adaptation de la trilogie Millenium).

J'ai l'air narquoise comme ça mais en fait pas du tout, je trouve qu'elle incarne une héroïne d'emblée plus vulnérable que ne l'était Ripley (celle-ci n'a montré ses failles qu'au cours des déclinaisons d'Alien, notamment vis-à-vis de la maternité). Il me semble que le choix de Rapace, actrice relativement peu connue et au visage approprié pour son nom de scène (elle a effectivement le profil d'un oiseau de proie), est futé car il ajoute à l'empilement des facteurs qui font d'elle ou d'Elizabeth Shaw, son personnage, une étrangère (alien en anglais) et un élément perturbateur dans l'histoire: suédoise dans un casting anglo-saxon, scientifique dans un équipage commercial, terrienne en quête de réponses chez des extra-terrestres pas nécessairement bienveillants, femme stérile confrontée à une théorie de la panspermie revisitée, aux implications dramatiques...

Les archéologues Elizabeth Shaw (Rapace) et Charlie Holloway (Logan Marchall-Green) ont rassemblé des preuves, provenant de différentes civilisations à travers le monde, qui tendraient à prouver que des extra-terrestres humanoïdes, surnommés les "Ingénieurs", ont engendré l'humanité (ce que nous a montré la séquence pré-générique: un "Ingénieur" venu sur Terre absorbe une substance noire qui désintègre son corps et provoque le remodelage de son ADN). Tous ces artefacts montrent une constellation singulière dont une petite lune présente des caractéristiques proches de celles de la Terre, et vers laquelle le riche Peter Weyland (Guy Pearce) commissionne une expédition autour des deux scientifiques. Ce que l'équipage trouve sur la petite planète les laisse perplexe: les "Ingénieurs" existent bien mais semblent avoir été surpris par une mort brutale, et leur repère semble être un silo plein de curieuses urnes fuselées dont suinte un fluide noir.


Les consignes sont strictes, il ne faut toucher à rien dans la mesure du possible et ne rien ramener de vivant dans le vaisseau, et c'est bien parce qu'elles sont strictes qu'elles doivent être enfreintes pour les besoins du scénario. David l'androïde (Michael Fassbender), qui suit un agenda différent de celui de la mission officielle, ramène en cachette une urne et en extrait un peu du liquide, qu'il fait absorber à Holloway.



Dans la mythologie grecque, le Titan Prométhée à l'habileté légendaire fut puni (d'horrible manière) par les Dieux pour avoir dérobé le feu de l'Olympe - mais il fut aussi celui qui dissuada Zeus de détruire l'humanité. Dans le film, l'équipage du vaisseau Prometheus est décimé par la substance noire qui est capable d'altérer directement ou indirectement toute forme de vie avec laquelle elle se trouve en contact. Lorsqu'un "Ingénieur" encore vivant est retrouvé et sorti de son sommeil, les questions métaphysiques (d'où venons-nous? pourquoi nous avez-vous créés? pourquoi êtes-vous ensuite partis?) sont réduites à néant: la mission du créateur est de détruire ses créatures et la substance noire est son arme de destruction massive.

Comme dans Alien l'espace et les créatures qui peuplent sa rare matière sont froids et, plus qu'hostiles, incompatibles avec l'humanité. Tous créateurs qu'ils sont, les "Ingénieurs" n'ont aucune bienveillance envers les humains venus les trouver, soit qu'ils n'en aient jamais eu pour leur malingre progéniture (fruit d'une expérience ratée? je peux comprendre, moi aussi ça m'arrive de m'énerver sur une manip qui part en sucette), soit qu'ils aient changé d'avis, que les humains les aient déçus ou trahis. La substance noire, qui avait autrefois dissout le corps de l'un des leurs pour en ensemencer la Terre, serait une sorte de super-enzyme capable de renvoyer toute vie organisée à la soupe organique des origines, avant de réorganiser les composants de base en un nouvel être - un influx destructeur et créateur dans le même temps, un Deus ex machina sans Deus, reposant sur des bases purement moléculaires. On sent derrière cette conception la vision cynique et viscéralement agnostique de Scott: il n'y a pas de Dieu, maladroit mais de bonnes intentions, juste des biotechnologistes inconscients et ivres de leur propre pouvoir qui font mumuse avec la vie, finissent brûlés par leurs propres inventions, anéantissant des mondes au passage. Chacun est libre de voir en filigrane une critique de notre société - à titre personnel, cette possible interprétation du film ne m'intéresse pas.



Quel lien entre le monde décrit par Prometheus, qui est antérieur à l'apparition des xénomorphes, et la saga Alien où les humains ont toutes les peines du monde à les combattre? Les indices sont disséminés partout dans le film, parfois à peine entraperçus (les bas-reliefs mouvants sur les parois du silo évoquent les formes des xénomorphes à venir), jamais complètement expliqués (la faute sans doute à un montage trop condensé pour la sortie en salles qui nous aura privé de scènes essentielles pour la compréhension: vivement le director's cut!).


Toutefois, pour ceux que l'esthétique instillée par Hans Ruedi Giger a marqués dans le premier Alien, la parenté visuelle sert de fil conducteur et compense les manquements de la narration (je plains par contre ceux des spectateurs qui n'étaient pas des fans de base, raccrocher les wagons doit être quasiment impossible vu la masse d'informations nouvelles qui viennent émailler les références au film de 1979). Ainsi les urnes contenant les ampoules de fluide noir évoquent-elles par leur forme les œufs, et comme ceux-ci elles sont disposées régulièrement sur le sol. Les créatures nées/transformées par le liquide noir se succèdent selon un ordre qui suggère une complexité évolutive croissante. Lorsque le liquide (qui lui-même se meut d'une manière qui évoque une reptation plutôt qu'un écoulement passif) tombe sur des vers au pied des urnes, des êtres vermiformes attaquent les humains. Puis Shaw, qui ne peut concevoir, est néanmoins fécondée par Holloway après qu'il ait bu le liquide, et "met au monde" une créature en forme de calamar (bon évolutif: toujours un invertébré, mais un mollusque). Celle-ci, au bout de quelques heures, devient gigantesque et attaque le dernier "Ingénieur" à la manière du face-hugger, donnant ainsi naissance à un proto-xénormophe (nous voici chez les vertébrés).

A la fin de Prometheus le questionnement du début (d'où vient l'homme?) est résolu dans l'indifférence générale, et la question à laquelle il est devenu vitalement urgent de répondre est: qu'avons-nous fait de si terrible pour mériter la haine de nos créateurs? (et quelle haine, si elle implique de lâcher les xénomorphes, prédateurs ultimes, sur la Terre!) Est-il possible de les faire de nouveau changer d'avis sur nous, de les dissuader de nous détruire? Nous quittons Elizabeth Shaw et David en route pour rencontrer les "Ingénieurs" sur leur planète, et j'ai hâte de connaître la suite...



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