dimanche 23 décembre 2012

Now the dreams won't do: La fleur de mon secret (Pedro Almodóvar, 1995)

Cet article a été pour la première fois publié sur mon ancien site web, que j'ai déserté depuis l'ouverture de ce blog fin 2007. Comme je trouve dommage de laisser orphelins certains articles que je me suis donné du mal à écrire (et qui pour certains concernent des films qui me tiennent à cœur), je vais m'employer à les rapatrier peu à peu ici. 


Espace fragmenté, vue brouillée, cœur à l’étroit

Leo (écrivant):  
Parfois ton souvenir, comme ces bottines, me serre le cœur jusqu’à l’étouffement. Je ne peux pas les quitter !
 
Leo (Marisa Paredes) partage sa vie « de plume » entre le sentimentalisme monnayable d’Amanda Gris et ses essais plus sérieux, qu’elle rechigne à publier (et oublie de signer, comme si elle n’osait être reconnue pour elle-même). De la même manière, sa vie se découpe entre deux apparitions-éclair de son évasif mari en poste à l’étranger. Très logiquement, les cadrages d’Almodóvar sont sans cesse fragmentés et hachurés, par des embrasures de porte ou des stores. Ce procédé met à mal et l’intégrité de Leo en tant que personne et la continuité de sa vie, la sépare des autres et la coupe (au sens le plus littéral) du monde extérieur.




« Quand je dis fiction, je veux dire mensonge »

Les mensonges abondent dans cette histoire, et s’imbriquent étroitement les uns dans les autres. Il y a la simulation filmée, au début, des médecins tentant de convaincre une mère de faire don des organes de son fils décédé.
Le pseudonyme d’Amanda Gris, sous lequel Leo écrit ses romans sentimentaux ; l’imbrication d’une troisième identité lorsqu’on lui demande de rédiger une critique d’un de ces romans. Ángel (Juan Echanove), en décidant d’écrire à sa place, ajoute une quatrième couche d’imposture.
Le manuscrit dérobé par Antonio (Joaquín Cortés), le fils de sa bonne et le plagiat (« Chambre froide »).
L’adultère, et l’impossibilité pour Leo de l’admettre, avant que Betty (Carmen Elías), sa meilleure amie, ne finisse par l’avouer. Il est intéressant de noter que le premier geste de Leo, en l’apprenant, est d’aller vers la fenêtre pour l’ouvrir en grand (Betty la referme aussitôt, croyant qu’elle va se défenestrer). La compartimentation du film tombe enfin, Leo est entière, même si le morceau d’histoire qu’on vient de lui restituer la fait souffrir et la laisse, pour un temps, seule.

D’une manière plus générale, le film tout entier repose sur la difficulté pour Leo à exprimer ses désirs réels, ses aspirations profondes – en somme, à les « publier », les rendre publics. Avec son mari, elle use de mots couverts, empruntés à une publicité, plutôt que de déclarer son amour. Elle biaise plutôt que de stopper tout net la production d’Amanda Gris, et se montre velléitaire devant l’idée de publier des écrits plus personnels sous son vrai nom. Des panneaux routiers et des affiches (et une manifestation) apparaissent tout au long de l’histoire, comme pour mieux souligner cette opposition entre la femme publique, comblée de succès qui semblent lui appartenir, et la femme privée, en pleine déroute et vivant de compromis avec la réalité. Certains de ceux-ci étant d’une petitesse comique, comme de s’attribuer le mérite d’une paella, alors qu’elle est incapable de cuisiner ! La réconciliation entre ces deux facettes interviendra après la tentative de suicide et le retour au village natal : après avoir touché le fond, Leo ne peut que remonter, renaître à elle-même.


Les références (plus ou moins) cachées à d’autres films:
La garçonnière : analogie avec l’espace de travail ouvert de C.C. Baxter, référence franche amenée par les personnages eux-mêmes. Référence plus indirecte ensuite, lorsque Leo se retrouve à errer dans les rues après sa tentative de suicide, et qu’Ángel (amoureux d’elle sans qu’elle en ait conscience) la recueille dans son appartement et prend soin d’elle.
Casablanca : là encore, c’est Ángel qui raconte le passage où Rick et Ilsa se remémorent leur première rencontre, et il dresse un parallèle avec le caractère inoubliable de sa rencontre avec Leo.
Riches et célèbres : Leo établit la comparaison avec le dernier film réalisé par George Cukor, qui parle de l’amitié au long cours entre deux romancières, l’une écrivant des livres « sérieux » et l’autre des romans de gare (parallèle avec sa propre double vie littéraire, désormais partagée avec Ángel).
Dans les ténèbres : sœur Rat d’égout écrit des romans de gare sous le pseudonyme de Concha Torres.
Tout sur ma mère : la mise en situation (sous forme de jeu de rôles) des chirurgiens cherchant à obtenir l'accord d'une mère pour le don des organes de son fils décédé.




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