Il arrive, lorsque vous jetez votre dévolu sur un DVD pour occuper votre soirée, que votre choix se porte sur un western - genre codifié, pour ne pas dire bourré d'archétypes, peuplé de personnages rudes mais nobles, de femmes perdues mais fières, de sauvages cruels mais sages, de paysages arides mais somptueux. Un genre qui convient très bien au cadre urbain métroboulododotifié par son quotidien usant et en quête d'un peu d'oxygène pour ses neurones sclérosés (vis ma vie...).
Il arrive que vous lisiez la jaquette du DVD avant d'enfourner la galette dans votre lecteur, et que vous y distinguiez (en caractères ridiculement petits) le nom du réalisateur: William A. Wellman. Autrement dit "Wild Bill" Wellman, authentique tête brûlée passée par la Légion Etrangère, réalisateur mythique de films labellisés "films d'hommes", entre autres le couillu Wings (1927) qui inaugura la vogue pour les films sur l'aviation et le violent L'ennemi public (1931) avec sa légendaire scène dite "du pamplemousse". Un homme connu pour boire sec, parler fort, rudoyer acteurs et actrices et, d'une manière générale, être un emmerdeur de première catégorie (ce qui ne devait pas être étranger au fait que, dans tout Hollywood, David O. Selznick, lui même un sacré coco, était l'un des seuls à le trouver sympathique).
Lorsque vous avez entre les mains cette conjonction (western + Wellman), vous ne vous attendez pas exactement à une déclaration d'amour à la Femme. Vous êtes donc mûr à point pour une sacrée surprise.
Conquête de l'Ouest, les pionniers sont sur place, ils ont des terres à gogo, mais ils l'ont un peu saumâtre à force de se regarder dans le blanc des yeux entre porteurs de chromosome Y. Ça manque bigrement de femmes. Roy Whitman (John McIntire), un grand propriétaire terrien de Californie, a l'idée de demander au rugueux Buck Wyatt (Robert Taylor) de l'aider à recruter des femmes à Chicago et à les convoyer jusque dans l'Ouest, suivant le même trajet suivi habituellement par Wyatt pour convoyer le bétail. Wyatt, qui a visiblement plus d'estime pour ses vaches que pour les femmes en général, n'est pas très chaud sur le projet et impose très vite ses conditions: pas question de traiter ces dames différemment de ce qu'il traiterait des hommes, et interdiction absolue de tout "rapprochement" (beurk) entre les hommes escortant le convoi et celles dont ils ont la charge. Se laisser attendrir? Quelle horreur!
On voit bien que l'entreprise démarre sous un jour froidement utilitariste et sans la moindre sentimentalité: il s'agit de procurer des femmes (comme on procurerait du tabac) aux hommes établis à l'Ouest pour les "fixer" sur les terres et éviter qu'ils ne partent. Cela ne peut se faire qu'au prix de nombreuses pertes humaines en route, aussi est-il nécessaire de recruter des femmes suffisamment décidées (ou désespérées) pour ne pas se laisser décourager par la perspective qu'un tiers d'entre elles ne parviendront pas à destination. Très vite, dans la masse des femmes volontaires pour ce voyage, des individualités se dessinent: l'institutrice timide et secrète (Beverly Dennis), l'hommasse au vocabulaire de marin en bordée (la formidable Hope Emerson!), les filles de joie en mal de reconnaissance (Denise Darcel et Laurie Smith), les fines gâchettes rivales (Lenore Lonergan et Marilyn Erskine), la veuve italienne (Renata Vanni) et le fils qu'elle couve avec adoration.
La confrontation est double: entre Wyatt et les femmes, entre les vastes étendues américaines (plaines, montagnes, déserts) et les femmes. Pas sûr que la nature se montrent plus rudes envers elles que l'intransigeant cowboy, qui ne leur épargne rien et les fait trimer comme des bêtes de trait - espérant sadiquement leur arracher une plainte, une larme, qui justifierait la piètre opinion qu'il a d'elles (on peut trouver là une certaine analogie avec le comportement souvent reproché à Wellman envers ses actrices).
Mais le voilà bien attrapé, confronté qu'il est à leur courage inouï, leur endurance au mal, leur fierté. Leur solidarité aussi, lors d'une incroyable scène de l'accouchement dans un chariot roulant en plein désert, où les efforts des femmes à empêcher le véhicule de se renverser reflètent en miroir les douleurs de l'enfantement, avant que les cris du nouveau-né ne fasse s'épanouir des sourires radieux sur leurs visages.
C'est un homme changé et plein de respect qui amène les survivantes du groupe à bon port - après bien des catastrophes, défection des hommes, catastrophes naturelles, morts violentes... Car nous ne sommes décidément pas dans un film gentil et prévisible selon les conventions d'Hollywood, qui voudraient qu'aucun des personnages "sympathiques" d'un film ne décède en cours de route. Si changé qu'il soutiendra leur désir de faire leur entrée dans le village des pionniers à leur heure et selon leurs propres termes, au point de sermonner vigoureusement les hommes qui les attendent - "Si vous ne les traitez pas comme elles le méritent, vous aurez affaire à elles, et ensuite à moi!".
Au terme de ce voyage aussi étonnant qu'initiatique (qui n'est pas sans rappeler New York-Miami - est-ce un hasard dans la mesure où Frank Capra est l'auteur de l'histoire originale?) ces femmes qui auront gagné "à la dure" leur place au soleil choisiront leur compagnon, en égales.
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