mardi 31 décembre 2013

Till the landslide brought me down: Blue Jasmine (Woody Allen, 2013)

La belle, la raffinée socialite New-Yorkaise Jasmine French (Cate Blanchett) voit son monde basculer lorsque son mari Hal (Alec Baldwin), universellement célébré comme un talenteux investisseur immobilier, est démasqué. Bien loin d'être un spéculateur de génie, il est à la tête d'un véritable système de Ponzi qui a causé la ruine de nombreuses personnes dans l'entourage du couple, et dont le démantèlement réduit à néant le luxueux train de vie de son épouse. Dépressive, Jasmine achète sur un coup de tête un billet d'avion (en première classe tout de même, car on ne se refait pas si facilement) et débarque chez sa sœur Ginger (Sally Hawkins) à San Francisco. 



Enfin, quand je dis "sa sœur" - "Ma demi-sœur", ne peut s'empêcher de rectifier Jasmine, y compris devant les quidams (voisine d'accoudoir dans l'avion, chauffeur de taxi) devant qui elle déverse inlassablement le récit plus qu'à moitié fantaisiste de sa vie. Comme si, même face à de parfaits inconnus qui s'en fichent éperdument, elle voulait préserver les apparences, se draper dans les lambeaux de sa splendeur évanouie, et marquer que, bon, tout de même, elle n'était pas si étroitement apparentée que cela aux occupants de ce boui-boui où elle vient chercher un peu de repos (comme naguère elle se rendait au spa). "Tu pourrais faire mieux", ne cesse-t-elle de répéter à Ginger, fût-ce au sujet de son appartement ou à celui de son mec, le macho gominé Chili (Bobby Cannavale) - sans que l'on sache vraiment si Jasmine a conscience de la violence monstrueuse du jugement de valeur contenu dans ces paroles, ou si elle essaie sincèrement (mais maladroitement) de pousser sa sœur à plus d'ambition dans ses choix. Sans que l'on sache non plus si elle réalise l'indécence d'asséner un tel conseil à celle à qui une précédente tentative de "faire mieux" a déjà coûté si cher - puisque l'ex-mari de Ginger a tout perdu à cause des investissements recommandés par celui de Jasmine.


Si défaite soit-elle par l'abus de pilules et d'alcool, si paumée semble-t-elle être entre nécessité de faire quelque chose de sa vie (quelque chose de rémunérateur, s'entend) et name-dropping hautain destiné à tenir le commun des mortel à distance, Jasmine est-elle si innocente que cela de l'escroquerie commise par Hal - enfermée dans sa bulle couleur champagne, n'a-t-elle rien vu venir? ou s'est-elle accommodée, par confort, d'une version de la vérité qui lui permettait de ne pas se remettre en question? La réponse se fait jour progressivement alors que Jasmine se trouve un nouveau compagnon doré sur tranche, et ne peut s'empêcher de maquiller ce qu'elle lui livre de son passé...



Il y a beaucoup de Gena Rowlands dans la Jasmine qu'incarne superbement Cate Blanchett (une actrice que j'adore et que je me réjouissais de retrouver chez Woody Allen, lequel n'est jamais aussi bon que lorsqu'il trouve, comme ici, des interprètes à la hauteur). Certes, ce serait une Gena en tailleur Chanel et qui porterait constamment ses lunettes de soleil Dior en serre-tête - mais il y a indéniablement un peu de la frénésie alcoolisée de la Myrtle Gordon d'Opening night, un peu de la lente dissolution psychique de la Mabel d'Une femme sous influence, dans la manière dont elle plante le personnage. De Myrtle, Jasmine a aussi le tempérament d'actrice souveraine et névrosée, arc-boutée sur la nécessité de jouer sa vie avec panache quand bien même son public n'en serait pas dupe. Regarder la vérité en face équivaudrait à une défaite - car dès lors le réel aurait prise sur elle, brisant l'enchantement. Elle ne se laisse d'autre choix que de se réinventer perpétuellement, rejetant comme une peau morte les conséquences de ses actes.

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