dimanche 4 mai 2014

Qui veut de moi et des miettes de mon cerveau: Le loup de Wall Street (Martin Scorsese, 2013)

L'ascension et la chute de Jordan Belfort, d'après sa propre autobiographie. Jordan (Leonardo DiCaprio) est un jeune courtier d'origine modeste, qui fait ses débuts à Wall Street sous l'aile d'un mentor (Matthew McConaughey) persuadé que seule une consommation abondante et soutenue de drogues, d'alcool et de sexe permettent de faire face au stress du métier. Malheureusement pour lui, le jour de la réussite de son examen final coïncide avec le grand crash du Black Monday de 1987 - signe s'il en est que les "lois du marché" ne riment à rien et que même les traders ne font que feindre de comprendre la sarabande absurde à laquelle ils participent. 

Armé de son seul bagout, il repart quasiment de zéro et forme une petite armada de bras cassés (au premier rang desquels Donnie Azoff, joué par Jonah Hill, très bon) à des techniques de vente extrêmes sur des titres faiblement cotés, mais pour lesquels les commissions sont particulièrement juteuses. Cette combine lui permet très vite d'amasser une fortune et de faire remarquer la compagnie qu'il a fondée, Stratton Oakmont - mais si les candidatures affluent, les agissements plus que limite de la société attirent également l'attention du FBI.



Gigantesque bacchanale filmée, Le loup de Wall Street tient plus de l'exercice de style déjanté (pensez Les affranchis avec des gangsters en cols blancs et plus de drogue, et peut-être un sens du grotesque encore plus poussé) que de la parabole de moraliste déguisée en tragédie antique (comme Casino, au hasard). C'est clair dès la scène d'ouverture (un concours de lancer de nains organisé entre cadres supérieurs hystériques dans un open space grand comme un gymnase, très La garçonnière), non seulement rien n'a de sens mais cela n'a aucune espèce d'importance puisque nous sommes du côté de ceux qui profitent des failles du système pour s'en mettre plein les fouilles (et les narines, voire d'autres orifices.... mais je préfère ne pas vous en dire trop pour ne pas vous gâcher la surprise). Les seules réunions de travail auxquels se livrent les aigles de la finance façon Stratton Oakmont visent à organiser la prochaine orgie au bureau ou à trouver la méthode optimale pour protéger leur argent des attentions du fisc américain, leurs vices se nourrissant les uns des autres dans une spirale infernale. 



L'impression d'ensemble est à la fois cauchemardesque, à cause de la frénésie des personnages sur laquelle se calque le montage de Scorsese, et jouissive - car les dialogues comme les situations sont drôles, cyniquement drôles, pendant la plus grande partie du film. 
Le réalisateur s'offre même un malicieux clin d'œil à une autre débauchée célèbre, en l'occurrence la Patsy de la série anglaise culte Absolutely Fabulous, au travers du personnage de la tante Emma joué par l'inénarrable Joanna Lumley (laquelle essuie un reste de coke sous le nez de DiCaprio le jour du mariage de celui-ci tout en lui susurrant de sa belle voix rauque et un peu lasse: "Tu sais mon chéri, j'ai connu les 60's."). 



La pièce maîtresse du film, c'est indubitablement la composition de DiCaprio, dont il demeure incompréhensible pour moi qu'elle ne lui ait pas valu l'Oscar. Oubliez que vous avez connu DiCaprio en minet pour jeunes filles romantiques, à ses débuts, oubliez même ses derniers rôles complexes et diversement torturés (dans Les infiltrés ou Shutter Island chez Scorsese, ou ailleurs dans Les noces rebelles ou Inception). Acceptez l'évidence: Leo est, depuis tout petit, un admirateur inconditionnel d'un autre grand wolf d'Hollywood, à savoir Jack Nicholson, et de fait il semble avoir basé son incarnation de Jordan Belfort sur une compilation des mimiques, grimaces et cabotinages les plus flamboyants de son aîné. Le résultat est proprement hallucinant (au vu des quantités de psychotropes ingérées par son personnage, je pense que le terme qui convient), DiCaprio bave, rampe, baise, sniffe, dance, hurle comme le grand Jack l'aurait fait, il est méconnaissable et bouffe tout sur son passage.




Et même si nous ne sommes pas, comme mentionné plus haut, dans un compte moral, dans le dernier plan Scorsese retourne son miroir déformant vers nous. Bien après avoir été broyé par le fisc et la justice, Jordan a rebondi une fois de plus: il parcourt à présent le monde pour animer des séminaires de développement personnel. La caméra se détourne alors de lui (quasiment pour la première fois en trois heures de film) pour nous montrer le contre-champ, les visages anxieux et plein d'espoir tournés vers lui, le suppliant presque de les duper. Parce que la faille sur laquelle Jordan aura joué toute sa vie n'est pas une faille légale ou financière, mais une faille humaine - donc impossible à colmater.


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