En surface, le film de Stahl et le film de Sirk, qui lui est postérieur de 25 ans, se ressemblent: on y retrouve la solidarité entre les deux mères, le refus d'une des filles de la condition que lui promet sa couleur de peau. Il y a même quelques plans et scènes qui sont identiques: l'intrusion de la mère Noire dans la classe de sa fille, le dialogue des deux mères alors que l'une masse les pieds de l'autre.
Mais Stahl laisse à Claudette Colbert toute son aura de star adorable et sympathique, avec idylle heureuse à la clé, et finit par atténuer quelque peu l'amertume du constat d'incompréhension entre Noirs et Blancs. Sa Bea, si compatissante soit-elle, ne désire en rien bouleverser l'ordre établi et se paye de quelques intentions charitables pendant que son "amie" travaille à mort. Le tour de force de Sirk, c'est de rééquilibrer totalement l'histoire, et dans sa progression dramatique (on voit ainsi que la recherche identitaire de la petite Noire débute dès son enfance), et dans le parallèle qui est fait entre cette quête et les chimères de la mère Blanche, qui de propriétaire de pancake parlor (chez Stahl) est devenue comédienne. Sans doute pour faire comprendre au spectateur ce que ces deux chimères ont d'illusoire, et le fait que les deux femmes qui en vivent n'appartiennent pas à la réalité du monde, qu'elles ne peuvent qu'en sortir meurtries. Voici bien quelque chose qui ne figure pas, ou peu, dans le film de Stahl (question d'époque? de fidélité au roman originel?): ce sens de la catastrophe en approche qui donne au film de Sirk sa coloration déchirante. Sans doute aussi n'y sent-on pas non plus ces questions sur l'épanouissement individuel et sur l'acceptation de sa pleine identité dans une société normée, qui ne sont pourtant pas des préoccupations récentes (qu'on pense aux sœurs Brontë). En intégrant ces thématiques, Sirk transforme radicalement le matériau de départ et nous donne à voir des êtres dont la réussite dépend de la destruction de ce qui pourrait les rendre heureux.
Mais Stahl laisse à Claudette Colbert toute son aura de star adorable et sympathique, avec idylle heureuse à la clé, et finit par atténuer quelque peu l'amertume du constat d'incompréhension entre Noirs et Blancs. Sa Bea, si compatissante soit-elle, ne désire en rien bouleverser l'ordre établi et se paye de quelques intentions charitables pendant que son "amie" travaille à mort. Le tour de force de Sirk, c'est de rééquilibrer totalement l'histoire, et dans sa progression dramatique (on voit ainsi que la recherche identitaire de la petite Noire débute dès son enfance), et dans le parallèle qui est fait entre cette quête et les chimères de la mère Blanche, qui de propriétaire de pancake parlor (chez Stahl) est devenue comédienne. Sans doute pour faire comprendre au spectateur ce que ces deux chimères ont d'illusoire, et le fait que les deux femmes qui en vivent n'appartiennent pas à la réalité du monde, qu'elles ne peuvent qu'en sortir meurtries. Voici bien quelque chose qui ne figure pas, ou peu, dans le film de Stahl (question d'époque? de fidélité au roman originel?): ce sens de la catastrophe en approche qui donne au film de Sirk sa coloration déchirante. Sans doute aussi n'y sent-on pas non plus ces questions sur l'épanouissement individuel et sur l'acceptation de sa pleine identité dans une société normée, qui ne sont pourtant pas des préoccupations récentes (qu'on pense aux sœurs Brontë). En intégrant ces thématiques, Sirk transforme radicalement le matériau de départ et nous donne à voir des êtres dont la réussite dépend de la destruction de ce qui pourrait les rendre heureux.
2 commentaires:
Le conflit identitaire de Peola la petite métisse commence dès l'enfance : cf le fracassant départ de l'école quand sa mère lui amène un imperméable et des bottes à cause de la violence de la pluie.
Je te trouve un peu injuste avec le Stahl. Tu préfères le Sirk à l'évidence et hors de question bien entendu de critiquer cette affection particulière.
Mais j'aimerais te faire part de quelques points qui pourraient "expliquer" mon "inclination" (j'arrête les guillemets, je le jure!) pour le Stahl.
Du point de vue du casting, on est d'accord que le choix de Lana Turner s'il convient parfaitement en clin d'oeil à sa propre destinée ou image du moins, n'est en rien comparable en terme de qualité d'interprétation avec celui de Claudette Colbert. Non? Il se dégage de cette femme un naturel assez extraordinaire qui est pour beaucoup dans mon embarquement immédiat dans l'histoire du film pour ma part. A de moi même. En mon for intérieur.
Ce que la pauvre mais belle mais pauvre Lana Turner ne parvient finalement que passablement à faire.
J'ai l'impression que la mise en scène, entendons par là le jeu des acteurs particulièrement, est beaucoup moins théâtralisée chez Stahl que chez Sirk.
Les deux scènes finales identiques sur le plan narratif m'apparaissent néanmoins totalement différentes. Le désespoir de Peola beaucoup moins violent à l'égard de sa mère, et plus à l'égard de quelque chose comme le destin me parait de la sorte plus crédible mais surtout plus déchirant. Il est commode d'être aspiré par sa souffrance à l'heure où elle redécouvre le gâchis de sa vie, l'amour de sa mère qu'elle portait en elle malgré tous ses efforts à se le cacher. La Peola de Stahl, Fredi Washington, de ce point de vue laisse passer un désespoir plus humain. Elle est victime de son incapacité à surmonter sa négrétitude. Alors que j'ai le sentiment que la Peola de Sirk en veut d'abord à sa mère avant d'en vouloir à la vie, à la société, à tout le monde même à elle (allant jusqu'à se donner en spectacle dans une décrépitude stipteasique). Il y a une violence injustifiée qui dépasse la mesure chez la Peola de Sirk et la rend antipathique. Alors que chez Stahl, cela vire à un conflit conscient, introspectif à l'égard d'elle même. Sa mère en fait les frais en conséquence. Le lien de cause à effet est inverse. La jeune fille implore son pardon bien avant la fin du film. Il me semble. Je l'ai lu comme ça.
La mise en scène de Stahl moins préoccupée de communiquer par l'esthétique, les cadrages et bien entendu les couleurs est peut-être plus portée sur le naturalisme du jeu imposé aux acteurs selon leur possibilité.
Et je préfère toujours les films qui cherchent à mêler le rire aux larmes. Stahl ne dénature pas son récit en y ajoutant quelques pincées de comédie par le jeu pétillant de Colbert ou l'intrusion du personnage Smith (Ned Sparks), non, m'est avis qu'il l'allège plutôt, comme dans la "vraie vie" (merde!, désolé) sans pour autant verser dans le réalisme à tout crin (on est à Hollywood of course) mais suffisament pour donner un pendant au pathos susceptible de rendre invraisemblable une histoire toujours plus triste et monochrome sinon.
Il y a bien UN exemple du problème de Peola enfant, mais alors un seul, et pas plus... C'est un peu court (je trouve)pour exposer ce qui devrait être le tourment de sa vie, et qui n'est montré, finalement, que dans la seconde moitié du film (ce qui est bien peu).
Je ne nie pas que Colbert soit extrêmement sympathique, mais ayant été conquise par la version de Sirk je ne peux que voir en creux, dans le film de Stahl, tout ce qui "manque"! (Et là je mets les guillements sciemment car on pourrait dire que c'est un film totalement différent et qu'il n'y manque rien... Soit.) Les insuffisances que tu pointes dans les personnages de Lana Turner et de Susan Kohner, qui te les rendent antipathiques ou plus lointaines, le maniérisme de la mise en scène de Sirk, sont précisément ce qui pour moi ajoute à ce que cette histoire a d'inconfortable. Sous les voilages rose bonbon et les coussins satinés, le propos est abrasif, et le rêve pourchassé par chacune de ces dames est bien factice...
En bref, loin de ne pas aimer le film de Stahl, je le vois comme une esquisse prometteuse, courageuse (sans témérité) pour son époque, dont le film de Sirk constitue pour moi un enrichissement.
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