Anders a 34 ans, il vit (depuis
longtemps, devine-t-on) dans un centre fermé pour toxicomanes. Deux semaines
avant sa sortie définitive, il obtient la permission de passer toute la journée
du 30 août à Oslo à l'occasion d'un entretien d'embauche. Il en profite pour
revoir (ou, du moins, pour tenter de recontacter) ceux qu'il pense être ses
proches, les gens (parents, amis, ex-copines) que son addiction a fait souffrir
pendant des années.
Mais beaucoup de temps a passé pendant
qu'il était enfermé. La vie a continué à couler pour les autres: ils ont fondé
une famille, ou sont partis vivre à l'étranger, ou encore ont décidé de vendre
leur maison pour mieux voyager. Le temps a continué à couler pour tous mais pas
pour lui. Comme sorti d'une hibernation, il se réveille dans un monde où tous
ont accompli quelque chose, même si ce quelque chose semble médiocre et
dérisoire en regard des rêves de la jeunesse (cruelle scène du café au cours de
laquelle une jeune fille dévide pour une amie la longue liste décousue de ses
souhaits). Tout le monde a fait quelque chose de sa vie, engendré des enfants,
battu un record dans un jeu vidéo, tout le monde s'insère dans un réseau de
connaissances, tout le monde communique selon les codes propres à sa
communauté. Mais pas Anders.
Lui revient dans la vie de ceux qui
l'ont aimé comme un rappel (plus gênant que flatteur, à bien y regarder) de ce
qu'ils étaient tous naguère, avant le temps de l'installation dans la société
et des compromissions, comme un rappel du peu qu'ils ont progressé depuis. Et
quand bien même son ex-meilleur ami tente de lui remonter le moral en lui
détaillant ses petites misères de père de famille petit-bourgeois honteux de
l'être, Anders ne peut que constater que les existences étriquées des autres
dépasseront toujours, de la tête et des épaules, son absence de vie à lui.
Qu'au mieux, il ne sera bienvenu chez ses anciennes fréquentations que comme le
pourvoyeur (et la victime) d'anecdotes un peu trash, parce que c'est tellement distrayant de rire des années où
il était encore Anders le camé, Anders la tête brûlée au brillant sens de la
répartie.
Ce qu'il découvre, et qui achève de
lui briser le cœur, c'est que ses proches ne sont plus ses proches, qu'ils se
sont réfugiés derrière un cordon sanitaire tendu entre eux et lui. Trop
profondément marqués par l'ancien Anders, ils ne peuvent ou ne veulent plus
faire une place dans leurs vies au nouvel Anders. Ses peurs, son sentiment
d'inadéquation et d'échec trouvent une confirmation dans la méfiance qu'il
éveille chez ceux qui l'ont connu junkie manipulateur,
tout autant que dans les paroles lénifiantes de ceux qui tentent de minimiser
son mal-être - lui si brillant, il va
forcément s'en sortir. Ni les uns ni les autres ne peuvent concevoir qu'Anders
ne se voit aucune issue, mais c'est pourtant le cas. Il a compris que sa cure
l'a isolé davantage que ne l'avait fait la drogue, que ce qu'il a fait pour
sauver sa vie est un marché de dupes puisqu'au passage il a tout perdu. La
tentation de confirmer les craintes (et les déceptions déjà causées) sera
finalement la plus forte...
Voilà un film doux et déchirant sur
une époque qui s'est déjà achevée lorsque débute l'histoire, ce dont nous ne
prenons conscience que progressivement en suivant les pas d'Anders qui pourtant
est censé prendre un nouveau départ. Vieilles photos, affaires rangées dans des
cartons de récupération en attendant un déménagement, piscines de fin d'été pas
encore vidangées - tout autour d'Anders les pages des vies des autres se
tournent, et ces symboles visuels en témoignent. La mise en scène use également
d'un environnement sonore très intelligemment travaillé pour ajouter à la
subjectivité de cette journée aux côtés d'Anders: brouhaha du café où chaque
propos capté semble un message soulignant l'isolement d'Anders, abrutissement
phonique d'une boîte de nuit. Anders ne ressent déjà plus la vie que comme
quelque chose de lointain, tout juste en perçoit-il les signaux affaiblis.
Je saluerai, pour finir, la
performance de l'acteur principal, Anders Danielsen Lie, dont le beau et grand
sourire triste me suit partout.
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