dimanche 17 juin 2012

I used to be a little boy so old in my shoes: Moonrise Kingdom (Wes Anderson, 2012)

L'enfance est une affaire sérieuse, grave même.

La détestation est instantanée, l'amour tout autant. On ne "s'occupe" pas, on ne "tue" pas le temps, on se jette tout entier dans un autre monde dont on devient le centre, et qui en retour devient notre pays d'adoption. Et personne d'autre que les habitants de cet univers - tous à tailles d'enfants - ne peut nous comprendre, et certainement pas les adultes pour qui tout passe, tout est déjà passé, tout a déjà été comparé à une autre expérience, et décanté au fil du temps.

L'enfance est la terre des premières fois, des pour-toujours, puisque toute l'échelle des mesures de la vie est encore à bâtir. Et comme toute échelle elle s'élabore en partant de soi, de la petite graduation intime, celle que l'enfant créé en étendant les doigts de sa main. A partir de ces dimensions il peut tout régenter méticuleusement, quand bien même le chaos fait rage dehors. L'enfant ne sait que jouer, et en jouant il peut essayer la vie comme on essaye un costume, il peut même essayer plusieurs existences simultanément en occupant tous les postes de son petit théâtre de marionnettes: le héros, le metteur en scène, le dramaturge, le décorateur. 



Ces tentatives, ces esquisses de vie peuvent être fugaces, elles permettent en tout cas des découvertes qui n'en sont pas moins d'une importance capitale, elles aident à cristalliser des sentiments qui n'en sont pas moins vrais. C'est ce que film joli et délicat nous raconte au-travers de l'histoire d'amour que tentent de vivre Sam (Jared Gilman, comme une version plus jeune de Max Fisher, le héros de Rushmore) et Suzy (Kara Hayward, plus rugueuse qu'il n'y paraît). Comme le veut la tradition, quantités d'obstacles s'opposent à la réalisation de cet amour, parmi lesquels une ribambelle d'adultes variablement paumés dans leurs désenchantements respectifs. Ce qui pour Wes Anderson est le prétexte à aligner un casting de gala (les mascottes Bill Murray et Jason Schwartzman, plus Frances McDormand, Bruce Willis, Edward Norton, Harvey Keitel, Tilda Swinton) dont je dois malheureusement dire qu'il est largement sous-employé puisque réduit à jouer les boulets archétypaux (parents avocats tellement obsédés par leur carrière qu'ils ne s'appellent que "Maître" entre eux, chef scout dépassé par la débrouillardise des enfants dont il est censé avoir la charge, employée des services sociaux atifée comme une marâtre de conte de fées). Ce qui sauve Anderson c'est que l'on sent qu'il a une tendresse sans limite pour tous ses personnages, jusqu'au plus petit d'entre eux. Par comparaison avec les objections inconsistantes que leur opposent les adultes (et qui ne peuvent que susciter le rire), les rêves des enfants sont si simples et raisonnables qu'ils en paraissent fous.



Alors même si la composition trop extrêmement contrôlée des plans de Wes Anderson a quelque chose d'irritant (non seulement on se croirait encore dans les coursives du bateau de Steven Zissou vu en coupe, mais les personnages se déplacent ici en suivant des trajectoires rectilignes sans aucune raison valable), il souffle sur Moonrise Kingdom ce vent qui gonflait les voiles de nos vieux bateaux pirates, à l'époque où l'on était encore persuadés d'être qui on voulait. L'époque à laquelle se situe le film (1965) n'est pas choisie au hasard non plus: rien n'était encore venu abattre en vol le sentiment de jeunesse et d'invulnérabilité de l'Amérique.

Aucun commentaire: