L'enfance est une affaire sérieuse,
grave même.
La détestation est instantanée,
l'amour tout autant. On ne "s'occupe" pas, on ne "tue" pas
le temps, on se jette tout entier dans un autre monde dont on devient le
centre, et qui en retour devient notre pays d'adoption. Et personne d'autre que
les habitants de cet univers - tous à tailles d'enfants - ne peut nous
comprendre, et certainement pas les adultes pour qui tout passe, tout est déjà
passé, tout a déjà été comparé à une autre expérience, et décanté au fil du
temps.
L'enfance est la terre des premières
fois, des pour-toujours, puisque toute l'échelle des mesures de la vie est
encore à bâtir. Et comme toute échelle elle s'élabore en partant de soi, de la
petite graduation intime, celle que l'enfant créé en étendant les doigts de sa
main. A partir de ces dimensions il peut tout régenter méticuleusement, quand
bien même le chaos fait rage dehors. L'enfant ne sait que jouer, et en jouant
il peut essayer la vie comme on essaye un costume, il peut même essayer
plusieurs existences simultanément en occupant tous les postes de son petit
théâtre de marionnettes: le héros, le metteur en scène, le dramaturge, le
décorateur.
Ces tentatives, ces esquisses de vie
peuvent être fugaces, elles permettent en tout cas des découvertes qui n'en
sont pas moins d'une importance capitale, elles aident à cristalliser des
sentiments qui n'en sont pas moins vrais. C'est ce que film joli et délicat
nous raconte au-travers de l'histoire d'amour que tentent de vivre Sam (Jared
Gilman, comme une version plus jeune de Max Fisher, le héros de Rushmore) et Suzy (Kara Hayward, plus
rugueuse qu'il n'y paraît). Comme le veut la tradition, quantités d'obstacles
s'opposent à la réalisation de cet amour, parmi lesquels une ribambelle
d'adultes variablement paumés dans leurs désenchantements respectifs. Ce qui
pour Wes Anderson est le prétexte à aligner un casting de gala (les mascottes
Bill Murray et Jason Schwartzman, plus Frances McDormand, Bruce Willis, Edward
Norton, Harvey Keitel, Tilda Swinton) dont je dois malheureusement dire qu'il
est largement sous-employé puisque réduit à jouer les boulets archétypaux
(parents avocats tellement obsédés par leur carrière qu'ils ne s'appellent que
"Maître" entre eux, chef scout dépassé par la débrouillardise des
enfants dont il est censé avoir la charge, employée des services sociaux atifée
comme une marâtre de conte de fées). Ce qui sauve Anderson c'est que l'on sent
qu'il a une tendresse sans limite pour tous ses personnages, jusqu'au plus
petit d'entre eux. Par comparaison avec les objections inconsistantes que leur
opposent les adultes (et qui ne peuvent que susciter le rire), les rêves des
enfants sont si simples et raisonnables qu'ils en paraissent fous.
Alors même si la composition trop
extrêmement contrôlée des plans de Wes Anderson a quelque chose d'irritant (non
seulement on se croirait encore dans les coursives du bateau de Steven Zissou
vu en coupe, mais les personnages se déplacent ici en suivant des trajectoires
rectilignes sans aucune raison valable), il souffle sur Moonrise Kingdom ce vent qui gonflait les voiles de nos vieux
bateaux pirates, à l'époque où l'on était encore persuadés d'être qui on
voulait. L'époque à laquelle se situe le film (1965) n'est pas choisie au
hasard non plus: rien n'était encore
venu abattre en vol le sentiment de jeunesse et d'invulnérabilité de
l'Amérique.
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