Une fois n'est pas coutume, je vais
vous entretenir d'une série TV. Et juste comme d'hab', je vais vous parler
d'une série que si ça se trouve vous connaissiez longtemps avant que j'en
entende parler pour la première fois, illustration accablante de ma propension
à suivre une orbite quelque peu fantasque.
Car je viens de dévorer, ces derniers
temps, les trois premières saisons (sur 7) de A la Maison Blanche - titre pour moi beaucoup moins facile à
retenir que la V.O. The West Wing,
qui a au moins le mérite de nous situer plus précisément et le lieu et le
concept de la série: une immersion parmi les conseillers et le petit personnel
peuplant l'aile Ouest de la Maison Blanche, leurs vies, les défis dérisoires ou
monumentaux auxquels leur travail au service du Président des Etats-Unis les
confronte au quotidien.
Ce qui frappe dès le premier abord
dans cette série, ce sont ses dialogues, si brillants et si vifs qu'ils
déroutent le spectateur accoutumé à une mise en situation plus progressive des
personnages et des enjeux. Contrairement à la plupart des gens sans doute j'ai vu
The social network, scénarisé par le
même Aaron Sorkin, avant The West Wing,
ce qui m'a permis de constater que le feu roulant de répliques très écrites, à
l'humour parfois très pince-sans-rire, est décidément une signature chez lui. Et si comme moi vous ne concevez pas de regarder
un film ou une série anglophone autrement qu'en V.O., la rapidité démente des
échanges, dès la première minute du pilote, associée à la plongée tête la
première dans une situation pleinement développée mais dont on ignore tout (une
quasi-constante dans ce que j'ai pu voir de la série) a de quoi désarçonner
sévèrement. Imaginez que vous attrapiez La
dame du vendredi en cours de route (en plein milieu d'une dispute entre
Cary Grant et Rosalind Russell, tant qu'à faire) sans rien connaître au
préalable de son intrigue, et vous aurez une assez bonne idée du degré de
déboussolement. Mais Sorkin sait exactement où il veut nous mener et comment
nous distiller les informations sans passer par le procédé tarte à la crème du
personnage qui en appelle un autre pour le mettre au courant (et nous avec), on
finit donc par retomber souplement sur ses pattes, et par savoir qui est qui
dans la baraque.
Ce qui est heureux car les (richement
décrits) personnages, et les relations qui existent et évoluent entre eux, sont
l'autre grand délice de The West Wing.
Je vous en présente quelques-uns parmi les piliers de la série, sachant que de
nombreux personnages, plus ou moins développés, entrent et sortent
régulièrement de l'histoire.
Josiah "Jed" Bartlet (Martin
Sheen): prix Nobel d'économie (mazette!) devenu sénateur (Démocrate) du New
Hampshire puis président des Etats-Unis d'Amérique grâce à l'équipe de talents
réunie autour de lui (les rouages de cette campagne fondatrice nous sont
dévoilés par flashes-back lors du
double épisode qui inaugure la saison 2: In
the shadow of two gunmen). Ne se départissant jamais totalement de son aura
professorale, il est capable d'improviser de véritables cours magistraux sur
n'importe quel sujet ou presque devant ses collaborateurs diversement médusés/amusés/accablés.
Heureusement plusieurs défauts ou
faiblesses attachants le font descendre du piédestal où son brillant intellect
pourrait le figer dans la pédanterie: sa maladresse physique (la saison 1 le
voit se prendre une inexplicable gamelle en vélo), sa couardise devant sa
femme, la volcanique et très féministe Abigail (Stockard Channing, qui a
toujours été ma préférée dans Grease
et que je n'avais plus revue depuis Six
degrés de séparation), sa profonde sensibilité qui le conduisent par deux
fois au bord d'un conflit armé, sa mauvaise foi presque puérile, son attitude
de petit garçon devant sa secrétaire, la vénérable Dolores Landingham (Kathryn Joosten),
son adoration pour l'équipe (de football américain? de base-ball?) de l'Université
de Notre Dame (ce qui vaudra quelques vexations à C.J. dans l'épisode The Portland trip, saison 2), mais plus
encore sans doute la maladie qui l'affecte. Cette dernière nous est révélée
dans l'épisode He shall, from time to
time... au milieu de la saison 1 et constituera un ressort majeur de la
saison 2 et de la première moitié de la saison 3 (jusqu'à l'épisode H. Con-172).
Leo McGarry (John Spencer): directeur
de campagne du sénateur Bartlet, devenu son directeur de cabinet (White House chief of staff). Son
dévouement total à son Président et à son travail provoquent assez rapidement
son divorce. Sa fille Mallory (Allison Smith) sortira brièvement avec Sam, ce
qui fera ressortir son instinct exagérément protecteur de papa, en sus d'un
tempérament naturellement bourru. C'est lui qui tient la boutique depuis les
coulisses, et il est le seul qui puisse se prévaloir d'une relation assez
intime avec le Président Bartlet pour le rappeler à l'ordre ou pour pallier son
inexpérience (ce qui ne le met pour autant pas à l'abri des colères de son
orgueilleux patron).
Il se ferait découper en rondelles
pour protéger ses "fils" adoptifs Toby, Josh et Sam, et la réciproque
est tout aussi vraie: lorsque l'addiction passée de Leo à l'alcool menace
d'être exposée publiquement (épisodes The
short list et Take out the trash day,
saison 1) ou de blesser politiquement le Président (Bartlet for America, saison 3), les garçons mettent tout en œuvre pour
le tirer d'affaire. Ses relations respectives avec sa secrétaire, la lunaire
Margaret (NiCole Robinson), et avec celui qui deviendra l'ambassadeur du
Royaume-Uni à Washington, le très peu orthodoxe Lord Marbury (Roger Rees),
donnent lieu à des scènes comiques très savoureuses basées sur le contraste
entre les deux protagonistes.
Josh Lyman (Bradley Whitford): adjoint
de Leo, ami de longue date de Sam avec lequel il partage un certain panache, un
certain idéalisme - la candeur en moins. Foisonnant d'idées, ayant toujours en
tête la topographie des alliances du Congrès, il est aussi terriblement
brouillon et bordélique (quelques illustrations dans le pilote de la série,
ainsi que les épisodes Celestial
navigation, saison 1 et le double épisode Manchester, saison 3). Il a tendance à se croire capable de se
sortir de toutes les chausse-trappes (ce qui s'avère souvent vrai, il faut le
reconnaître) mais ne serait probablement pas capable de survivre trente
secondes sans l'aide de sa secrétaire, Donna Moss (Janel Moloney). Donna qui
nous apparaît d'abord comme l'archétype de la blonde idiote mais qui conquiert
très vite une place à part entière dans la série (grâce à l'insistance de
Whitford) de par ses côtés un peu cinglés (on pense à une sœur cachée de la
Phoebe de Friends, surtout dans
l'épisode The fall's gonna kill you,
saison 2) mais aussi par sa finesse d'analyse qui en surprend plus d'un. Elle
sauve ainsi la face du Président et de ses conseillers au grand complet lors de
l'épisode The stackhouse filibuster,
saison 2, et met la Première Dame en face de ses contradictions dans Dead Irish writers, saison 3.
On se demandera beaucoup, à voir leur grande
complicité, à quel moment Josh et Donna vont enfin se décider à sortir
ensemble, mais il semble que cette piste ait été abandonnée au profit de
développements concernant leurs vies amoureuses respectives. Josh va ainsi
s'intéresser brièvement à Joey Lucas (Marlee Matlin) le temps des épisodes Take this Sabbath day, 20 hours in L.A. et Mandatory minimums (saison 1), une
spécialiste des sondages qui va le secouer dans ses idées reçues, avant de
jeter son dévolu sur une lobbyiste féministe, la remuante Amy Gardner
(Mary-Louise Parker), qui va lui donner du fil à retordre aussi bien dans le
cadre de leur relation privée qu'en-dehors (The women of Qumar, We
killed Yamamoto et Posse comitatus,
saison 3). Quant à Donna, son unique rendez-vous en apparence réussi (épisode Ways and means, saison 3) la place dans
une situation des plus embarrassantes (épisode War crimes).
Toby Ziegler (Richard Schiff):
directeur de la communication. Personnage tout droit sorti d'un film de Woody
Allen: divorcé d'une (très belle) femme dont il n'est pas totalement dépris,
bilieux, misanthrope, intimement persuadé que ses apports aux discours du
Président (où les mérites relatifs de la virgule et du point-virgule sont
laborieusement soupesés) en sont la pierre angulaire, doté d'un sens mordant de
l'ironie et d'un fatalisme inamovible. Il est celui qui détecte l'info qui va
faire le buzz, celui qui démine en
urgence les fuites explosives - ou qui crucifie froidement le malheureux qui
n'aura rien vu venir. A ce titre, sa cible est souvent C.J. que la fonction de
"voix" de la Maison Blanche" expose sans cesse au risque d'un
dérapage susceptible de ruiner les efforts de son supérieur hiérarchique.
Comme beaucoup de cyniques
auto-proclamés, Toby est surtout un être profondément pudique qui dissimule
(mal) son souci des autres et une vraie tendresse derrière sa raideur physique:
envers son frère coincé à bord d'une navette spatiale victime d'une avarie (What kind of day has it been, saison 1),
un ami détenu en Indonésie (épisode The
State dinner, saison 1), Sam victime de sa propre naïveté (... plein
d'épisodes...), un SDF mort de froid dans l'indifférence générale (In Excelsis Deo, saison 1), une
charmante poétesse un brin évaporée (The
U.S. poet laureate, saison 3) ou carrément l'ensemble du personnel de la
Maison Blanche qu'il gratifie d'une émouvante déclaration d'amour (Bad moon rising, saison 2). Conséquence
logique, il est profondément heurté lorsqu'il apprend tardivement la vérité sur
l'état de santé du Président (17 people,
saison 2), ce qui l'amène à dire crûment ses quatre vérités à Jed Bartlet à la
grande fureur de celui-ci (The two
Bartlets, saison 3), avant que les deux hommes ne se réconcilient
finalement autour d'une partie d'échecs (Hartfield's
landing, saison 3).
Sam Seaborn (Rob Lowe):
directeur-adjoint à la communication, et à ce titre sparring-partner/punching-ball
attitré de Toby (ceci doit être compris au sens littéral puisque Toby a
l'habitude de faire rebondir inlassablement une balle sur la cloison vitrée qui
sépare son bureau de celui de Sam lorsqu'un sujet le préoccupe). Très beau
gosse au cerveau anormalement puissant, il est une base de données ambulante
sur les sujets les plus divers, ce qui lui donne parfois une touchante aura de geek déconnecté des réalités triviales
de l'existence.
Le trait distinctif de Sam c'est sa
nature profonde de "chevalier blanc", défenseur éternel des idéaux
progressistes, pourfendeur des injustices, ennemi de toute médiocrité - et
polisseur infatigable de discours plein de flamme et de rêve (un processus
détaillé dans 100,000 airplanes,
saison 3). Il ressemble au Mr Deeds
de Capra, jusqu'aux yeux bleus de Gary Cooper. Fonçant sans toujours évaluer
les dangers, et sans calcul vis-à-vis de la possible duplicité de ses
adversaires, il laisse quelquefois des plumes dans le combat, pour mieux
rebondir ensuite. Ainsi, développée au long de la saison 1, son amitié avec
Laurie (Lisa Edelstein), une étudiante jouant les call-girls pour financer ses études, manque de le propulser à la
une des journaux à scandales; dans Take
this Sabbath day (saison 1) il suspend ses plans de week-end pour plancher
sur le dossier de recours en grâce d'un condamné à mort; dans Somebody's going to emergency, somebody's
going to jail (saison 2), il remue ciel et terre pour obtenir la
réhabilitation posthume d'un homme dont la vie a été ruinée par les accusations
d'espionnage au bénéfice de l'U.R.S.S.
Le gentil Sam se métamorphose en arme
ballistique lorsqu'il a été mis à la faute et qu'il passe en mode
"revanche", ainsi que le souligne Toby suite aux incidents relatés
dans The black Vera Wang et We killed Yamamoto, saison 3: "I don't want him feeling better. I want him
feeling mad. Is there anyone you'd rather have as a blood enemy less than Sam?
That's how I want him."
Claudia Jean "C.J." Cregg
(Allison Janney, la belle-mère de Juno): porte-parole (press
secretary). Grande femme élégante à la langue bien pendue, supporte mal
d'être traitée comme quantité négligeable et ne manque jamais de le faire
savoir (épisode Lies, damn lies and
statistics, saison 1) et de faire valoir son instinct très sûr (Ways and means, saison 3). Jamais à
l'abri de commettre quelques gaffes retentissantes en salle de presse (What kind of day it has been) ou de se
laisser aller à parler en femme de cœur plutôt qu'en routière de la politique (Take out the trash day, saison 1; The women of Qumar, saison 3), elle
sait aussi distribuer des piques assassines (On the day before et Gone
quiet, saison 3). Se retrouve à plusieurs reprises à gérer des dossiers
potentiellement sensibles tels les autoroutes à loups (The crackpots and these women, saison 1), la cartographie (Somebody's going to Emergency, somebody's
going to jail) ou le choix de la dinde qui doit être graciée par le
Président à Thanksgiving (Shibboleth,
saison 2). Ses deux histoires sentimentales sont éphémères: l'une, à peine
esquissée, avec le senior White House
correspondent Danny Concannon (Timothy Busfield), tourne court dès le tiers
de la saison 2 à cause de l'évident mélange des genres que constitue leur
idylle; la seconde, avec l'agent des services secrets Simon Donovan (Mark Harmon)
chargé de sa protection à compter de Enemies
foreign and domestic, s'achève brutalement lors de l'épisode final de la
saison 3.
Si ce n'est pas pour autre chose, son
personnage restera dans l'histoire pour son numéro du "Jackal"
(inventé par l'actrice elle-même) dans l'épisode Six meetings before lunch (saison 1), qui fait dire à Sam " If you haven't seen C.J. do The Jackal, then you haven't seen Shakespeare the way
it's meant to be done."
Que vous en dire de plus? (j'en vois
qui bâillent, moi ça tombe je suis au bord du syndrome du canal carpien) Que
c'est une série jouissive pour quiconque s'intéresse à la plomberie intime de
la politique (c'est mon cas), que ça vous fait frétiller de la carte d'électeur
(une année d'élections majeures, quelle aubaine!), que toutefois on se cogne
régulièrement quelques flons-flons patriotiques façon "ah que l'Amérique elle est belle et grande
et qu'elle protège bien ses enfants et la démocratie dans le monde et la
libre-entreprise" (je ne vous le cache pas, c'est parfois un brin
lourd) mais que c'est pas très important par rapport à toutes les très très
bonnes raisons (détaillées ci-dessus, ou dans une très bonne page Wikipedia) de courir découvrir cette série si vous
ne la connaissez pas encore.
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