dimanche 22 avril 2012

38 témoins (Lucas Belvaux, 2012)

Le Havre. Un porte-conteneur approche de la rade. Louise (Sophie Quinton) rentre chez elle, fraîchement revenue d'un déplacement professionnel en Chine. Ce qu'elle ne sait pas, et qui ne va pas tarder à lui exploser au visage, c'est qu'une jeune fille a été assassinée au pied de l'immeuble qui fait face au sien, la nuit précédente. Choc, impression de décalage générés par cette nouvelle - vous viviez tranquillement votre petit quotidien banal, bateaux qui entrent, bateaux qui partent, fret qui circule à travers les océans du globe, et paf, vous entrez en collision avec un épisode des "Experts" en bas de chez vous.

Tout ceci semble d'autant plus irréel qu'il semble que personne n'ait rien vu ni rien entendu cette nuit-là. Pourtant l'immeuble dans lequel vit Louise possède de nombreuses baies vitrées qui font directement face au lieu du crime. Pourtant le quartier est si calme que le moindre regroupement un peu bruyant fait aussitôt réagir les voisins. Mais non: aux policiers qui mènent l'enquête tous affirment avoir été absents, ou endormis, ou paisiblement occupés, cette nuit-là.



Ce meurtre qu'elle n'a fait que croiser perturbe Louise de plus en plus fort. A travers ses conversations avec les policiers, puis avec une journaliste (Nicole Garcia), elle perçoit que quelque chose ne colle pas, entre la violence extrême du crime et l'absence un peu trop patente de témoins. Elle sent aussi que le renfermement obstiné de son compagnon, Pierre (Yvan Attal), va plus loin que son mutisme habituel ou que le travail de nuit qui l'a, dit-il, tenu loin de l'appartement cette nuit-là.


Le titre du film donnant la clé de ce mystère qui n'en est pas un, ce n'est pas spoiler que de préciser qu'en réalité, tous les habitants de l'immeuble avaient compris ce qui se passait en bas de chez eux. Pas seulement entendu ou vu (ce qui laisse toujours le doute quant à une mauvaise interprétation du témoignage des sens), mais compris, qu'une femme mourait juste au-dehors de leurs foyers si sûrs, si soigneusement clos sur eux-mêmes, petites cellules individuelles nichées dans un grand quadrillage de béton gris. Difficile de démêler ce qui les a tous figés ce soir-là, de la peur primitive d'être confronté physiquement au danger ou de l'impression fataliste qu'il était trop tard pour agir. Très facile, en revanche, de saisir la honte et l'horreur qui les ont tous tenus muets depuis.

Jusqu'à ce que Pierre, qui crève d'être seul en son propre silence avec son seul mensonge, décide de tout révéler publiquement (afin que tous expient ensemble?). Mais en lieu et place de cette communion dans une improbable pénitence, c'est la rupture: d'avec Louise qui avait souhaité que Pierre s'ouvre, et qui le découvre étranger, d'avec leurs voisins et amis qui ne supportent pas que Pierre se soit arrogé le droit de les confronter à leur lâcheté.

Pour fort que soit le sujet du film (adapté d'un livre lui-même inspiré d'un fait-divers réel), il ne m'a jamais complètement convaincue. La faute sans doute à une construction un peu trop sophistiquée pour convoyer l'émotion. En effet, pendant une première partie Belvaux nous fait suivre les pas de Louise, qui prend connaissance des faits par petites touches, et c'est dans son sillage que nous sommes affectés. Puis, à partir du moment où Pierre commence à prendre la parole, c'est lui que nous suivons, et dans une moindre mesure la journaliste et le policier qui tentent de faire éclater le scandale. A partir de là, à mon sens, le film perd le fil: nous étions jusque-là dans un drame relativement intimiste qui décrivait les répercussions d'un évènement sur trois niveaux imbriqués (le couple Pierre-Sophie, les habitants de l'immeuble, la ville du Havre), et nous basculons dans le film-enquête saveur à l'américaine (ah, si la presse n'était pas là pour dévoiler au public les dégoûtantes petites compromissions locales!). C'est beaucoup moins intéressant, moins original en tout cas que le portrait que Belvaux avait commencé à dresser d'une société dont chaque membre prie, en tremblant de peur, pour ne pas être déloger de sa petite case (répétitions des motifs de cubes, de carreaux, de croisillons, dans les intérieurs, l'architecture géométrique du centre-ville, les vêtements) et pour, surtout, ne pas avoir à se préoccuper de la douleur des autres. La scène finale de la reconstitution du crime, éclairant sans pitié cette indifférence monstrueuse et pourtant si humaine, si collective dans son individualisme, ranimera heureusement l'intérêt du spectateur.

Autre problème du film (plus handicapant celui-là), des dialogues emphatiques qui, s'ils sonnent presque bien dans les bouches de Quinton et Garcia, frôlent le ridicule une fois mis en contact avec le jeu outré d'Attal. À la décharge de ce dernier, j'avouerai qu'il se montre tellement émouvant dans la scène (pivot de l'histoire) où il se confie à Louise endormie, que toutes ses scènes ultérieures semblent, par comparaison, des redites empruntées.

Un film très intéressant, pour résumer, mais auquel il manque une narration mieux tenue pour produire sur moi le même effet que sur une certaine magistrate.


PS qui n'a rien à voir: pendant les vacances, on déconnecte un peu, même sans bouger. Je ne peux pas m'expliquer autrement le fait d'être passée à côté de l'annonce du décès de William Finley, l'inoubliable Winslow Leach de mon premier film-culte d'amour à moi, Phantom of the Paradise

I was not myself last night, 
Couldn't set things right 
With apologies or flowers....


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