Le Havre. Un porte-conteneur approche
de la rade. Louise (Sophie Quinton) rentre chez elle, fraîchement revenue d'un
déplacement professionnel en Chine. Ce qu'elle ne sait pas, et qui ne va pas
tarder à lui exploser au visage, c'est qu'une jeune fille a été assassinée au
pied de l'immeuble qui fait face au sien, la nuit précédente. Choc, impression
de décalage générés par cette nouvelle - vous viviez tranquillement votre petit
quotidien banal, bateaux qui entrent, bateaux qui partent, fret qui circule à
travers les océans du globe, et paf, vous entrez en collision avec un épisode
des "Experts" en bas de chez vous.
Tout ceci semble d'autant plus irréel
qu'il semble que personne n'ait rien vu ni rien entendu cette nuit-là. Pourtant
l'immeuble dans lequel vit Louise possède de nombreuses baies vitrées qui font
directement face au lieu du crime. Pourtant le quartier est si calme que le
moindre regroupement un peu bruyant fait aussitôt réagir les voisins. Mais non:
aux policiers qui mènent l'enquête tous affirment avoir été absents, ou
endormis, ou paisiblement occupés, cette nuit-là.
Ce meurtre qu'elle n'a fait que
croiser perturbe Louise de plus en plus fort. A travers ses conversations avec
les policiers, puis avec une journaliste (Nicole Garcia), elle perçoit que
quelque chose ne colle pas, entre la violence extrême du crime et l'absence un
peu trop patente de témoins. Elle sent aussi que le renfermement obstiné de son
compagnon, Pierre (Yvan Attal), va plus loin que son mutisme habituel ou que le
travail de nuit qui l'a, dit-il, tenu loin de l'appartement cette nuit-là.
Le titre du film donnant la clé de ce
mystère qui n'en est pas un, ce n'est pas spoiler
que de préciser qu'en réalité, tous les habitants de l'immeuble avaient compris
ce qui se passait en bas de chez eux. Pas seulement entendu ou vu (ce qui
laisse toujours le doute quant à une mauvaise interprétation du témoignage des
sens), mais compris, qu'une femme mourait juste au-dehors de leurs foyers si
sûrs, si soigneusement clos sur eux-mêmes, petites cellules individuelles
nichées dans un grand quadrillage de béton gris. Difficile de démêler ce qui
les a tous figés ce soir-là, de la peur primitive d'être confronté physiquement
au danger ou de l'impression fataliste qu'il était trop tard pour agir. Très
facile, en revanche, de saisir la honte et l'horreur qui les ont tous tenus
muets depuis.
Jusqu'à ce que Pierre, qui crève
d'être seul en son propre silence avec son seul mensonge, décide de tout
révéler publiquement (afin que tous expient ensemble?). Mais en lieu et place
de cette communion dans une improbable pénitence, c'est la rupture: d'avec
Louise qui avait souhaité que Pierre s'ouvre, et qui le découvre étranger,
d'avec leurs voisins et amis qui ne supportent pas que Pierre se soit arrogé le
droit de les confronter à leur lâcheté.
Pour fort que soit le sujet du film
(adapté d'un livre lui-même inspiré d'un fait-divers réel), il ne m'a jamais
complètement convaincue. La faute sans doute à une construction un peu trop
sophistiquée pour convoyer l'émotion. En effet, pendant une première partie
Belvaux nous fait suivre les pas de Louise, qui prend connaissance des faits
par petites touches, et c'est dans son sillage que nous sommes affectés. Puis,
à partir du moment où Pierre commence à prendre la parole, c'est lui que nous
suivons, et dans une moindre mesure la journaliste et le policier qui tentent
de faire éclater le scandale. A partir de là, à mon sens, le film perd le fil:
nous étions jusque-là dans un drame relativement intimiste qui décrivait les
répercussions d'un évènement sur trois niveaux imbriqués (le couple
Pierre-Sophie, les habitants de l'immeuble, la ville du Havre), et nous
basculons dans le film-enquête saveur à l'américaine (ah, si la presse n'était
pas là pour dévoiler au public les dégoûtantes petites compromissions
locales!). C'est beaucoup moins intéressant, moins original en tout cas que le
portrait que Belvaux avait commencé à dresser d'une société dont chaque membre
prie, en tremblant de peur, pour ne pas être déloger de sa petite case
(répétitions des motifs de cubes, de carreaux, de croisillons, dans les intérieurs,
l'architecture géométrique du centre-ville, les vêtements) et pour, surtout, ne
pas avoir à se préoccuper de la douleur des autres. La scène finale de la
reconstitution du crime, éclairant sans pitié cette indifférence monstrueuse et
pourtant si humaine, si collective dans son individualisme, ranimera
heureusement l'intérêt du spectateur.
Autre problème du film (plus
handicapant celui-là), des dialogues emphatiques qui, s'ils sonnent presque
bien dans les bouches de Quinton et Garcia, frôlent le ridicule une fois mis en
contact avec le jeu outré d'Attal. À la décharge de ce dernier, j'avouerai
qu'il se montre tellement émouvant dans la scène (pivot de l'histoire) où il se
confie à Louise endormie, que toutes ses scènes ultérieures semblent, par
comparaison, des redites empruntées.
Un film très intéressant, pour
résumer, mais auquel il manque une narration mieux tenue pour produire sur moi
le même effet que sur une certaine magistrate.
PS qui n'a rien à voir: pendant les vacances, on déconnecte un peu, même sans bouger. Je ne peux pas m'expliquer autrement le fait d'être passée à côté de l'annonce du décès de William Finley, l'inoubliable Winslow Leach de mon premier film-culte d'amour à moi, Phantom of the Paradise.
I was not myself last night,
Couldn't set things right
With apologies or flowers....
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