jeudi 19 avril 2012

Zodiac (David Fincher, 2007)

C'est curieux pour moi de dire cela d'un film dont le sujet (la traque sur plusieurs décennies d'un tueur en série) n'a aucun rapport avec moi, mais j'ai beaucoup pensé à mon métier en regardant Zodiac. Je suis chercheuse scientifique, et j'ai retrouvé beaucoup d'éléments, de notations familières dans les portraits des personnes dont les vies croisent, dans le film, le parcours sanglant du tueur sinon le tueur lui-même (bien que mon travail, à moi, n'implique rien d'aussi glauque! je rassure d'éventuels lecteurs). 


Le lent travail, moitié terrain, moitié documentation, qui conduit à l'assemblage de faits collectés sans a-priori quant à leurs liens respectifs les uns par rapport aux autres. Puis soudain le moment d'illumination venu d'ailleurs (conversation avec un collègue, lecture ou juste particule de l'air du temps) qui vous fait entrevoir la cohérence miraculeuse qui jusque-là vous échappait. Le cœur qui manque un battement, le cerveau qui tente de calmer le jeu, debout sur le frein.

Attends, attends.... si cette nouvelle hypothèse est correcte, comment est-ce que je dois m'y prendre pour la confirmer en toute rigueur, sans la moindre approximation? La reptation, encore plus lente, vers la validation tant désirée - voulue parfois si fort que l'on distord, légèrement d'abord, la réalité pour qu'elle colle à la théorie chérie de l'instant. Puis, lorsque les nouveaux faits s'éloignent un peu plus franchement de nos vœux (devenant incompatibles avec l'hypothèse, la rendant caduque par la force des choses), la volonté qui s'arque-boute une dernière fois en dépit de toute logique, pour continuer à croire, ne pas jeter (encore) l'éponge. 


 Et, courant en-dessous de tout cela comme le magma sous la croûte terrestre, l'obsession qui vous fait tout traverser, qui vous fait passer au-travers de tout, les conjoints qui ne comprennent pas ou plus, les boulots perdus, les amis qui se sont détournés longtemps avant qu'on ne s'en soit avisé. Le temps qui a passé sans vous avoir fait totalement dévier de ce qui vous mouvait de l'intérieur. Une obsession qui se nourrit d'elle-même comme un trou noir, vacance dans le tissu des choses connues ou compréhensibles qui forme le monde, absence de solution insupportable qui déstabilise et attire tout à la fois. L'homme n'est pas fait pour demeurer impassible devant ce manque. 


Il y a tout cela au centre de Zodiac, vortex mêlant les enquêtes simultanées de policiers et de journalistes dont les vies furent à jamais chamboulées par un tueur (ou plusieurs?) sévissant à la fin des années 60 dans la région de San Francisco. Et qui ne fut jamais formellement, irréfutablement identifié - quoique le film nous présente la piste la plus probable de toutes. Le scénario a l'honnêteté de ne pas aligner parfaitement les indices, ainsi qu'il serait tentant de le faire pour rendre le récit plus fluide. 
Ce qui accentue encore la parenté entre l'investigation et la recherche, d'ailleurs: en recherche, les observations et mesures n'accréditent ni n'infirment jamais à 100% une hypothèse. Sans qu'aucune omission patente n'ait été vraiment commise, sans que personne n'ait à proprement parlé fait une erreur, la preuve parfaite (si tant est qu'elle ait jamais existé), n'a jamais été trouvée. Et tous doivent vivre avec: le dessinateur naïf (Jake Gyllenhaal), le journaliste excentrique porté sur la bouteille (Robert Downey Jr.), les flics débordés de travail (Koteas, Ruffalo, Edwards-le-Dr-Greene-d'Urgence). 




Une vérité qui se dérobe, un problème sans solution, une porte dont la clé est introuvable sont autant de choses qui interfèrent avec la marche normale du monde - par "normale" je veux dire: la marche d'un monde qui est réductible au raisonnement humain, épris de symétrie, et qui se soumet à lui. Nous ne sommes pas faits pour évoluer dans un monde de précarité et d'incertitude, et pourtant les personnages de ce film se retrouvent au bord de ce gouffre, et y réagissent chacun comme il le peut.

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