Vincent (Reda Kateb) vient de laisser
partir Gaëlle (Agathe Bonitzer), qu'il séquestrait depuis plusieurs années dans
le sous-sol de sa maison. La jeune fille avait été enlevée devant son école
alors qu'elle était enfant, elle a donc vécu captive ses "années de
formation" et voilà qu'elle retrouve, toute jeune femme, le monde
extérieur. Les parents (Jacques Bonnafé et Noémie Lvovsky) tellement brisés par
le kidnapping qu'elle est obligée de leur répéter qu'elle est bien vivante.
L'ancien camarade de classe dont la vie s'est poursuivie, et à côté duquel
l'étrangeté de sa propre expérience éclate d'autant plus. La psy (Hélène
Fillières) qui attend patiemment le récit des inévitables sévices. Tous avec
leurs idées sur ce qui s'est passé, le jour de l'enlèvement et depuis, tous
avec leurs questions qu'elle esquive. Elle se rend compte qu'elle ne peut plus
être vue que comme la protagoniste d'un faits-divers, une rescapée, qu'elle
n'est plus envisagée qu'au travers de ce prisme-là....
Cet "après" vu par les yeux de
Gaëlle contraste avec l'"avant" de la captivité, qui nous est montré
en flash-back désordonnés, au gré des
souvenirs (nostalgiques? traumatiques?) de la jeune fille. Les attentions de
Vincent, soucieux de lui procurer tout ce qu'elle désire, ses accès de colère
subits. Ses promesses de ne jamais lui faire de mal (tenues, pour ce qui nous
en est montré). Les vêtements constellés de motifs enfantins dont il l'habille,
leur complicité autour d'une phrase relevée dans un roman ou un film. Les
lunettes qu'il veut lui acheter en imitant ses défauts de vision à elle.
Rien n'était normal dans cette relation,
mais tout n'était pas corrompu non plus, ni dénué d'une forme de tendresse,
d'une certaine paix. La seule certitude donnée par le film, c'est que Vincent
est seul dans la vie et qu'il entend que Gaëlle lui tienne compagnie, contre
son gré mais en achetant un certain consentement en lui fournissant ce qu'elle
lui demande (livres, musique). Mais la petite fille a changé et les exigences
aussi, elles débordent du cadre imposé par Vincent: Gaëlle veut faire des
expériences, sur sa couleur de cheveux d'abord, puis sur sa sexualité. On ne
saura pas si Vincent, bouleversé par ces avances mûrement calculées, les
acceptera effectivement, mais elles précèderont de peu sa décision de relâcher
Gaëlle.
Cette coïncidence dans le temps font que l'histoire est (aussi) le
récit, presque métaphorique, d'une émancipation sous contrainte, un passage à
l'âge adulte qui, pour être hautement singulier dans sa forme n'en est pas
moins classique dans le fond (l'apprentissage de l'individualité comme un
arrachement à son univers). Gaëlle, comprenant qu'elle ne peut ni prétendre
retrouver les repères de son enfance (balayés par le temps et le choc de
l'enlèvement), ni la normalité (impossible de croiser un regard qui ne soit pas
biaisé par son statut de miraculée), s'en ira conquérir une vie à elle, forte
malgré tout de ses années de prisonnière.
À
moi seule est un film déroutant, de la meilleure manière pour moi. Il ne va
jamais là où l'on attendait un peu trop le scénario (nos imaginaires saturés
d'informations plus glauques les unes que les autres nous jouent des tours),
tout en explorant au-travers de la fiction les questions laissées en suspens
par l'affaire Natascha Kampusch. Les personnages, quant à eux, gardent jusqu'au
bout leur complexité, leurs angles morts. Agathe Bonitzer, petit oiseau de
proie blafard, joue très bien la partition un peu crissante d'une très jeune
femme butée, tendue entre ses stratégies défensives et des poussées de
spontanéité qui trahissent la jeunesse de son personnage. Reda Kateb, avec sa
trombine à la Joeystarr, m'a énormément impressionnée. Son rôle s'inscrit
presque en filigrane de l'histoire centrée autour de Gaëlle, et pour cette
raison son temps de présence à l'écran est bien moindre - tout en étant
essentiel puisqu'il est le détonateur, presque le metteur en scène de la mue.
L'acteur est intense, captivant l'attention chaque fois qu'il traverse le
cadre, bouleversant à chacun de ses regards. Une sacrée performance lorsqu'on
incarne un personnage aussi ambigu, qui aurait pu facilement, entre des mains
moins délicates (celles de l'interprète comme celles du réalisateur-auteur),
verser dans le sordide.
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